Bulletin 63, mars 2015
Depuis le cessez-le-feu qui a suivi la sanglante agression contre Gaza durant l’été 2014, la situation de la population va en empirant au point que l’UNRWA a déclaré que Gaza était au bord de l’effondrement.
Israël et Gaza
L’accord de cessez-le-feu signé en août 2014 stipulait l’allègement immédiat du blocus qui frappe Gaza depuis 2007: ouverture des points de passages pour l’aide humanitaire et d’urgence, élargissement de la zone de pêche à 6 milles marins, réduction de la zone tampon à 100 mètres. Dans les faits, comme le dénonce Human Rights Watch, Israël n’a en rien changé ses procédures ni supprimé les restrictions au mouvement des biens et des personnes. Rien que l’approbation de projets humanitaires prend au moins 9 mois quand il n’y a pas tout simplement renvoi des projets aux calendes grecques. Par ailleurs, Israël ne permet l’importation des biens que par un seul point de passage qui est mal équipé (Kerem Shalom) contrairement à ceux qui étaient en fonction avant le blocus : dès lors, selon l’ONU, même si Israël permettait à ce point de passage commercial de fonctionner au maximum, il faudrait vingt ans pour pourvoir aux besoins de reconstruction de la population. (Gaza : Donors, UN should press Israel blockade, 12/11/2014, Human Rights Watch) Et ceci ne concerne que la reconstruction !
Par ailleurs, sur mer, la marine israélienne continue à restreindre la zone de pêche (5 milles maximum). Depuis la signature de la trêve, on dénombre : deux pêcheurs blessés, quarante pêcheurs kidnappés et relâchés sauf trois toujours en prison, cinq bateaux de pêche détruits et vingt autres confisqués.
our ce qui est de la zone tampon et donc des terres en bordure de frontière, l’armée continue de tirer sur les fermiers qui y vivent et même à y faire des incursions pour détruire des champs. Depuis août 2014, un civil a été tué et une vingtaine d’autres ont été blessés.
D’août à décembre 2014, on comptait déjà 94 violations du cessez-le-feu par Israël. (94 Israeli Ceasefire Violations Since August, http://www.imemc.org/article/70072)
Comme l’analyse Noam Chomsky, Israël a l’habitude de promettre la levée du blocus de Gaza (voir en 2005, Accord sur la circulation et l’accès) et de ne jamais tenir parole : cela lui permet de gagner du temps et de poursuivre tranquillement sa politique coloniale. (N. CHOMSKY, Ceasefires in which violations never cease. What’s next for Israel, Hamas, Gaza ?, 09/09/2014)
Le problème réside dans l’inaction de l’Europe, des USA et des pays arabes : si toutes les « bonnes âmes » pleurent sur le désastre « made in » Israël dans la bande de Gaza, aucune sanction ni aucune pression sérieuse ne sont exercées pour y remédier.
L’Egypte et Gaza
Après un mois de respect de la trêve, des discussions devaient avoir lieu entre les négociateurs israéliens et palestiniens sur l’ouverture des points de passage aux biens et aux personnes, l’élargissement de la zone de pêche à 12 milles marins, la suppression de la zone tampon, la libération des prisonniers, la construction éventuelle d’un port et d’un aéroport et ce, sous le contrôle des forces de police de l’Autorité palestinienne (et non du Hamas donc). Théoriquement, l’Egypte, qui avait accueilli les pourparlers en vue d’un cessez-le-feu, devait organiser la réunion. Or il est évident, depuis la prise de pouvoir par Sissi, que l’Egypte procède elle aussi à un blocus de Gaza, accusant-sans preuve- le Hamas d’être à l’origine des troubles et des attentats dans le Sinaï. Dès lors, après une réunion en septembre destinée à établir un calendrier et après des incidents dans le Sinaï, l’Egypte a remis à une date ultérieure la poursuite des discussions. Rien n’a avancé depuis sauf que Netanyahou a déclaré que les discussions porteraient uniquement sur la sécurité et que l’Autorité palestinienne ne semble pas avoir fait pression pour finaliser l’accord de cessez-le-feu.
Mais l’Egypte ne se contente pas de traîner les pieds, elle prend des mesures concrètes conte la bande de Gaza et sa population. Tout d’abord, contrairement à ses promesses, la frontière avec Gaza (Rafah) est fermée de manière aléatoire et pour de longues périodes : ouverte 30 jours en septembre 2014, 19 jours en octobre, 3 jours en novembre, 4 jours en décembre. Sur toute l’année 2014, le passage a été fermé 207 jours. Vu la quasi-impossibilité de passer par Israël, des malades, des étudiants, des familles sont bloqués dans Gaza ou hors de Gaza, risquant leur santé et perdant parfois leur emploi ou leur bourse d’études.
Par ailleurs, le gouvernement de Sissi a décidé, à l’instar d’Israël, de détruire la partie égyptienne de Rafah pour créer une zone tampon qui aurait jusqu’à 6,4 km de profondeur. Cela signifie la destruction de milliers de maisons et l’évacuation de près de 75 000 habitants dont beaucoup sont des réfugiés palestiniens. (H. SALLON, L’armée égyptienne va raser Rafah pour isoler Gaza, Le Monde, 10/01/2015) Israël a dû donner son feu vert au déploiement de troupes dans le Sinaï et à la frontière si bien qu’en Egypte comme en Palestine, on parle de collusion entre les deux gouvernements.
Cette zone tampon vise bien sûr à isoler Gaza et à consolider le blocus imposé par Israël : les rares tunnels encore en activité ne pourront plus fonctionner du tout. Ce qui a deux conséquences : pénurie de biens-y compris les de médicaments- pour la population et manque à gagner pour le gouvernement du Hamas qui percevait des impôts sur les tunnels.
Enfin, en février, le gouvernement égyptien a placé la branche armée du Hamas sur la liste des organisations terroristes, contribuant ainsi encore un peu plus à la diabolisation du Hamas et donc à sa disqualification.
Cette attitude de l’Egypte remet profondément en question sa qualité de médiateur. Il n’en reste pas moins qu’Israël, les USA et, dans une certaine mesure, le Fatah privilégient cet intermédiaire.
Les partis palestiniens et Gaza
Le cessez-le-feu avait été négocié via les Egyptiens entre Israël et une représentation palestinienne composée de membres du Fatah, du Hamas et d’autres partis. La levée totale du blocus devait se faire sous les auspices des forces de police de l’Autorité palestinienne, les Israéliens (tout comme les Egyptiens) exigeant leur présence aux points de passage. Les Israéliens mettaient l’accent sur la démilitarisation de la bande de Gaza et le contrôle strict du matériel entrant et des aides financières afin que le Hamas n’en soit pas le destinataire. Or, depuis juin 2014, un gouvernement d’union nationale palestinien, composé de technocrates et d’aucun membre du Hamas, a été mis sur pied. Et rejeté aussitôt par Israël.
Néanmoins, sa mise en place à Gaza est loin d’être effective. Pour différentes raisons dont un différend sur le payement des salaires des fonctionnaires. En effet, alors que le Hamas demande que les fonctionnaires qu’il a engagés depuis 2007 soient dorénavant payés par le nouveau gouvernement, le Fatah, lui, exige la réintégration des anciens fonctionnaires dont l’Autorité palestinienne a versé et continue à verser les salaires alors qu’elle leur avait interdit de travailler avec le Hamas. Jusqu’à présent, les salaires des fonctionnaires engagés après 2007 n’ont pas été payés. La situation est plus que tendue et les grèves se sont succédées dans les hôpitaux comme dans les écoles ou les ministères. Il semble actuellement qu’une solution soit en vue.
L’autre point de discorde est le sort des forces de sécurité. Le Hamas n’est pas prêt à s’en remettre sans condition aux forces d’Abbas qui n’est pas décidé à faire des concessions dans ce domaine.
Bref, une union mal unie qui complique encore la vie des Gazaouis. Car c’est toujours à Ramallah que les fonds d’aide sont versés (en dehors des agences de l’ONU) et c’est donc Ramallah qui décide de leur attribution. Or le Hamas prétend de manière récurrente que la bande de Gaza n’en bénéficie pas comme elle le devrait.
Par ailleurs, maintenant que la Palestine a demandé son adhésion à la Cour pénale internationale, Israël a riposté en retenant le montant des taxes dues à l’Autorité palestinienne. La mauvaise situation financière du gouvernement palestinien est donc aggravée et le payement des salaires retardé.
En bref…
Nous assistons à Gaza à un génocide, lent, comme le décrivait Ilan Pappé. Dans l’inaction générale. Même les promesses d’aides financières humanitaires n’ont pas été tenues…(voir article : Reconstruction de Gaza).
Marianne Blume