Un parti pris inacceptable

Bulletin  N°66

Un parti pris inacceptable : le conflit israélo-palestinien selon deux manuels scolaires utilisés en Belgique  

[Morceaux choisis*]

Dans une analyse critique de deux manuels scolaires, FuturHist 6ème pour l’enseignement officiel (public), et Construire l’histoire, tome 4 pour l’enseignement catholique, Michel Staszewski dénonce le parti pris des auteurs sur le conflit israélo-palestinien. Le Palestine reprend ici quelques-uns de ses développements mais la lecture de l’analyse dans son intégralité est vivement recommandée.

1945-1949

Voici ce que les auteurs écrivent concernant ce qui s’est passé en Palestine entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et 1949 : « Après 1945, la Grande-Bretagne décide de renoncer à son mandat. L’ONU propose alors un plan de partage de la Palestine, que les Palestiniens rejettent. Pourtant l’indépendance de l’État d’Israël est proclamée le 14 mai 1948. Immédiatement les armées égyptienne, transjordanienne, syrienne, libanaise et irakienne interviennent militairement aux côtés des Palestiniens. C’est la première guerre israélo-arabe. Elle se termine en faveur d’Israël qui agrandit le territoire concédé par le plan de partage. Les Palestiniens quittent massivement le pays ».

C’est pour le moins laconique… et obscur. Pourquoi le Royaume-Uni a-t-il renoncé à son mandat ? Que contenait le plan de partage ? Pourquoi les Palestiniens l’ont-ils rejeté ? Les dirigeants sionistes l’ont-ils accepté ? Qui a proclamé l’indépendance de l’État d’Israël le 14 mai 1948 ? Dans quel contexte historique ?

Cette période-clé et particulièrement dramatique du conflit méritait à coup sûr un développement plus important susceptible de faire comprendre les raisons de l’opposition irréductible entre les aspirations des Palestiniens et celles des Juifs sionistes. D’autant plus que les évènements de cette période sont abondamment documentés. (…)

Le destin des « Accords d’Oslo »

Il n’est pas mentionné que ces accords, signés en 1993, devaient déboucher sur une paix définitive cinq ans plus tard. Les auteurs affirment sans aucune autre précision que « les engagements pris à Oslo ne sont pas entièrement respectés ». Ils attribuent le blocage du « processus de paix » à « la montée des partis radicaux dans les deux camps » (sans aucune précision sur ce qu’on entend par là ni sur ce qui pourrait avoir causé cette « montée des partis radicaux ») ; à « la complexité de certaines questions comme le retour des réfugiés palestiniens » (aucune explication n’est donnée quant à cette supposée complexité) ; à « la poursuite de la colonisation israélienne en Cisjordanie », ce point n’intervenant qu’en troisième position. Aucune information n’est donnée sur l’ampleur de cette colonisation, sur ses conséquences pour la vie quotidienne des Palestiniens, ni à propos de la responsabilité des gouvernements israéliens successifs dans cette affaire. De quoi laisser croire aux lecteurs que la colonisation de la Cisjordanie n’a été que l’affaire de « partis radicaux », en particulier religieux et que les gouvernements israéliens successifs ont fait tout ce qu’ils ont pu pour la limiter. (…)

Outre le fait qu’il n’est pas vrai que la majorité des centaines de milliers de colons sont « orthodoxes ou ultra-orthodoxes » malgré « leur croissance démographique largement supérieure à celle d’Israël » (tiens, un autre « péril démographique »), les travaux des historiens ont démontré à quel point, depuis 1967, tous les gouvernements israéliens ont été activement impliqués dans cette colonisation. Et plus de dix ans après l’intervention musclée dont témoigne la photo, la colonie « non autorisée » d’Yitzhar existe toujours et continue à se développer.

La « barrière de sécurité »

Dans le paragraphe introductif au dossier documentaire il est fait mention, entre guillemets, d’une « clôture de sécurité », sans mentionner qu’il s’agit d’une appellation utilisée par les officiels israéliens. (…)

La phrase suivante donne un bilan officiel israélien qui tend à démontrer le bien-fondé de l’édification de cette « barrière de sécurité » : « Selon un rapport du ministère des Affaires étrangères israélien, ce mur serait efficace, puisque le nombre d’attentats-suicides serait passé de 60 en 2002 à 5 en 2006 ». Nulle trace, ni d’un point de vue critique sur cette « analyse », ni même du fait que cette barrière a été érigée dans les territoires occupés et non en territoire israélien et que sa construction a, pour cette raison, été condamnée  en octobre 2003 par une résolution de l’Assemblée générale de l’O.N.U. par 144 voix pour et 4 contre ; que, constatant que les dirigeants israéliens ne tenaient aucun compte de cette résolution, l’Assemblée générale a saisi la Cour internationale de justice de la Haye ; que, dans son jugement, celle-ci a exigé le démantèlement de cette « barrière » et que ce jugement a été appuyé par une nouvelle résolution de l’Assemblée générale de l’O.N.U. votée massivement le 20 juillet 2004. (…)

Le Hamas

On ne trouve dans ce manuel qu’un seul texte émanant d’une source palestinienne. Il s’agit d’extraits de la Charte du Hamas, datant de 1988. Il n’est accompagné d’aucun commentaire susceptible de le replacer dans son contexte historique (naissance du Hamas alors qu’éclatait ce qu’on appellera la « première Intifada »). Ce texte dont personne ne niera qu’il contient des passages virulemment antisémites, même s’il n’a pas été officiellement renié par les dirigeants actuels de ce mouvement, est largement obsolète si on en juge par d’importantes prises de position politiques ultérieures du Hamas telles que son programme électoral (2005), son projet de « programme de gouvernement d’union nationale » (mars 2006) et la plate-forme gouvernementale présentée par le Premier ministre Ismaïl Haniyeh au nouveau parlement le 27 mars 2006. Dans ces deux derniers textes, rédigés après la surprenante et nette victoire électorale du Hamas aux élections législatives palestiniennes de janvier 2006, il apparait clairement que le Hamas était prêt à accepter une « trêve de longue durée » en cas de création d’un État palestinien sur les territoires palestiniens conquis par Israël en 1967. En 2010, Khaled Mechaal, le leader du Hamas, déclarait d’ailleurs que la Charte est « un document historique qui n’est plus pertinent mais qui ne peut pas être changé pour des raisons internes ».

Le choix de ce seul document d’origine palestinienne, présenté sans mise en contexte, n’est évidemment pas innocent : il permet de diaboliser le Hamas (et indirectement les nombreux électeurs palestiniens qui ont voté pour ses candidats en janvier 2006), de continuer à suggérer qu’il s’agit d’un « mouvement terroriste » avec lequel aucun dialogue n’est possible et de lui attribuer une responsabilité majeure dans le « blocage du processus de paix ».

Dans le document qui suit dans Construire l’Histoire, le Hamas et le Djihad islamique sont présentés comme les principaux obstacles à un règlement négocié du conflit, pourtant souhaité par le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

L’analyse détaillée qui précède prouve à suffisance, me semble-t-il, le manque de rigueur intellectuelle et la partialité des auteurs des pages consacrées au conflit israélo-palestinien dans ces deux manuels scolaires. Mais de quel parti pris s’agit-il exactement ?

Un point de vue sioniste « de gauche »

Les mots « sionisme » et « sioniste » sont complètement absents. Sous couvert d’une présentation objective des évènements par les auteurs et à travers un choix de documents qui pourrait paraître à première vue « équilibré » (parce que des avis divergents s’y côtoient), c’est pourtant un point de vue clairement sioniste qui se manifeste. En voici la preuve.

Le fait de considérer l’ensemble des Juifs du monde, y compris ceux qui étaient établis en Palestine avant le début de l’arrivée des sionistes, comme faisant partie d’un même peuple, unanimement désireux de créer un État juif en Palestine (voir ci-avant « Qui a fondé l’État d’Israël ? ») relève sans aucun doute d’une conception sioniste selon laquelle le sionisme serait le « mouvement de libération nationale du peuple juif ». Il en est de même de l’obsession démographique dont il a été question dans le paragraphe que j’ai intitulé « le péril démographique » : convaincus que l’antisémitisme ne peut être éradiqué, les sionistes pensent que le meilleur moyen de s’en préserver efficacement est la création d’un État-refuge destiné à accueillir tous les Juifs du monde qui le souhaiteraient, et tout particulièrement ceux qui seraient victimes de persécutions antisémites. Pour ceux des sionistes qui se veulent démocrates (c’est le cas de la majorité d’entre eux), pour que soit préservé le « caractère juif » de cet État, il faut à tout prix que les Juifs y restent majoritaires. Cette peur de l’Autre, qui débouche sur la volonté de s’en séparer, leur a fait accepter et même défendre la construction de la « barrière de sécurité » considérée comme un moyen efficace « d’empêcher les infiltrations palestiniennes » ; ce que le texte des auteurs avalise sans aucun recul, comme on l’a vu. (…)

Ce point de vue d’un sioniste « de gauche » semble bien partagé par les auteurs de nos deux manuels puisque dans leurs textes, ils décrivent la multiplication des colonies juives en Cisjordanie, qu’ils attribuent aux « partis radicaux » et, en particulier, aux colons « orthodoxes » ou « ultra-orthodoxes », comme le principal obstacle à la paix. (…)

Par Michel Staszewski,
professeur d’histoire dans le secondaire, formateur de professeurs d’histoire,
collaborateur scientifique du service des sciences de l’éducation de l’ULB

* Cet article se trouve dans son intégralité sur le site de l’ABP. Voir sur http://bit.ly/1GhBe6C ou vous pouvez également consulter l’ensemble des notes de bas de page.

 

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