Bulletin N°66
Armée, commerce des armes et politique
Le ministre de la Défense intérieure a proposé le général de réserve, Gal Hirsch, au poste de chef de la Police israélienne. Avec l’approbation bruyante de Netanyahou. Cette désignation a soulevé une controverse qui lève un pan du voile sur le commerce des armes en Israël.
Un général reconverti
Le pedigree de Gal Hirsch est impressionnant : de l’attaque contre la Cisjordanie (Bouclier défensif) en 2002 qu’il a lui-même conçue, planifiée et dirigée à la 2e guerre du Liban (2006), de son rôle dans le « Depth Corps », où il est responsable des forces spéciales en territoire ennemi (2012) en passant par les routes de contournement de l’apartheid et son soutien au commandant de brigade, Israel Shomer, qui a tiré sur et tué un Palestinien sans que sa vie ait été en danger, il représente ce que l’armée israélienne appelle « un bon soldat ».
Et comme tout bon militaire, une fois mis sur la touche, il s’est reconverti dans la sécurité et le commerce des armes. Avec fierté sans doute, il a baptisé sa société « Defensive Shield » (Bouclier défensif). C’est là que son étoile va pâlir.
Le FBI s’en mêle
La société de Gal Hirsch, qui a reçu un permis d’exportation du ministère de la Défense, se définit comme fournisseur de solutions stratégiques, opérationnelles et tactiques pour la sécurité et les secteurs de la sécurité intérieure et de défense du monde entier. Elle a des représentants en Europe, en Australie et en Amérique latine. Des liens sont avérés aussi avec le Congo et des entraînements ont été conduits en Asie centrale.
Or, à peine est-il désigné que le FBI publie un rapport d’enquête à son sujet, dont apparemment le ministre de la Défense n’avait pas connaissance. La société de Hirsch fait l’objet d’une enquête pour corruption de fonctionnaires étrangers et blanchiment d’argent, à la suite de transactions effectuées en 2008 en Géorgie et au Kazakhstan. Au final, vu l’enquête en cours et les récriminations de la police qui voyait d’un mauvais œil l’arrivée d’un militaire dans ses rangs, Gal Hirsch ne sera pas nommé chef de la Police.
Armée, marchands d’armes, sociétés de sécurité et monde politique
Cette anecdote est révélatrice de la puissance de l’armée. Non seulement la majorité des militaires de haut rang ont été ou sont ministres voire Premiers ministres (Rabin, Barak) mais encore la plupart d’entre eux se recyclent dans le commerce des armes et la sécurité (voir dans ce bulletin la revue des films p. 23 « The Lab »). Ils ont en effet acquis sur le terrain les compétences requises et ont en plus des contacts privilégiés dans les milieux politiques. Les sociétés comme celle de Gal Hirsch recrutent habituellement des officiers et militaires du rang des unités d’élite à la veille de leur démobilisation, leur offrant des emplois à l’étranger comme instructeurs, avec des salaires de plusieurs milliers de dollars par mois.
En dehors des firmes d’Etat comme Rafael, il y a en Israël plus de 1000 compagnies et plus de 300 individus autorisés à vendre des armes avec l’accord du ministère de la Défense. Or le staff de l’Agence de contrôle de l’exportation des armes est lui-même composé d’anciens officiers de l’armée, d’employés du ministère de la Défense ou d’ex-politiciens si bien que les intérêts de la corporation sont bien gardés. Le ministère de la Défense dénombre jusqu’à 160 violations des règles imposées à l’exportation. Néanmoins, les amendes encourues sont minimes, il n’y a pas de sanctions pénales et les permis ne sont pas retirés. (Ayelett SHANI, Israel would be embarassed if it were known it’s selling arms to these countries, Haaretz, 7 août 2015) D’après le spécialiste interviewé dans le Haaretz, même quand un pays est soumis à un embargo sur les armes, un général ou un politicien retraité se rend dans ce pays et promet d’arranger le contrat d’armement avec une firme privée grâce à ses relations.
Copinage et corruption
Alors que l’Autorité palestinienne est sans cesse accusée de corruption, celle-ci se porte plutôt bien dans le monde politique et économique israélien (voir Olmert, Arieh Deri, Netanyahu, Sharon et bien d’autres). Et, d’après Amos Harel (A rare look into the dark world of Israeli arms traders, Haaretz, 2 sept. 2015), elle est monnaie courante dans le domaine de la vente d’armes. Les marchands et intermédiaires arguent que, pour avoir des autorisations dans le tiers monde, il faut toujours graisser la patte aux officiels. Aussi, de peur d’être accusée de corruption, la plupart des compagnies emploient des intermédiaires qui font le sale travail à leur place. Comme Israël est le 5e exportateur d’armes mondial, que les acteurs dans ce domaine sont des industries étatiques (Rafael, Israel Military Industries et Israel Aerospace Industries), la société Elbit liée à l’Etat et des hommes d’affaires avec un passé militaire notoire et si l’on considère le montant des bénéfices, on comprend pourquoi les autorités israéliennes laissent courir. Finalement, le monde politique et le monde des affaires, tous deux liés à l’armée, pratiquent copinage et corruption.
Un transfert de compétences
La société de Gal Hirsch n’est pas unique en son genre mais peut servir d’exemple pour illustrer le transfert de l’armement, des doctrines de combat, de l’entraînement de milices et des techniques de contrôle des populations. Il est de notoriété publique qu’Israël arme par exemple l’Azerbaïdjan, le Soudan du Sud, le Rwanda, qu’il entraîne des gardes présidentielles en Afrique ou des milices voire des polices en Amérique du Sud. Des intermédiaires israéliens se chargent aussi d’acheter des armes pour le compte de pays sous embargo, comme le Nigéria. La plupart de ces pays font confiance au savoir-faire d’Israël tiré de son expérience de l’administration des territoires occupés et de la lutte contre les organisations palestiniennes. L’opération « Plomb durci » a boosté la vente de l’armement israélien, vanté comme ayant directement fait ses preuves sur le terrain. Le général de réserve Yoav Galant (actuel ministre du Logement) déclarait cyniquement devant l’afflux d’étrangers venus acheter des armes et se former aux stratégies de combat : « Ils sont venus pour voir comment nous transformons le sang en argent ». Très clairement, les marchands d’armes et les théoriciens des stratégies de combat ne font qu’un avec l’Etat d’Israël. A titre d’exemple, au Soudan du Sud, Israël a vendu des armes durant la guerre civile, il entraîne les forces soudanaises sur le terrain et en Israël, de même qu’il coopère avec les services secrets locaux. (Ayelett SHANI, Israel would be embarassed if it were known it’s selling arms to these countries, Haaretz, 7 août 2015). Que l’entreprise de Gal Hirsch ait donc opéré en Géorgie et au Kazakhstan et soit accusée de blanchiment d’argent et de corruption n’a rien d’étonnant : business as usual.
Le choix du candidat
Que dit alors le choix du général Gal Hirsch comme candidat au poste de chef de la Police ? Il est clair qu’en dehors d’une réorganisation de la police, éclaboussée par de nombreux scandales, le but est d’en entreprendre la militarisation. Du point de vue des Palestiniens, on peut voir dans cette désignation (avortée) d’un militaire à la tête de la police la volonté politique de renforcer encore plus le contrôle sur les Palestiniens, que ce soit en Israël ou en Cisjordanie. On sait en effet qu’en Cisjordanie occupée, la police seconde l’armée qui, elle-même, fait la police.