Bulletin N°77
Le 25 juin dernier, l’Association belgo-palestinienne proposait une rencontre exceptionnelle avec la membre de la Knesset Haneen Zoabi. Ni la chaleur caniculaire, ni la fièvre du Mundial – un soir de victoire de la Belgique ! – n’auront entamé l’intérêt d’une assistance venue en nombre écouter cette figure de la résistance des citoyens palestiniens d’Israël.
« Je resterai debout, car je n’ai pas pour habitude de tenir en place. » D’entrée de jeu, le ton est donné pour un exposé à la fois direct, pointu et incisif. À l’image de celle qui s’est imposée comme la pasionariade la lutte contre le processus colonial en vigueur au sein même des frontières de 1948.
Depuis sa première élection en 2009, ses prises de position résolues en faveur de la résistance palestinienne en ont fait une cible privilégiée de la majorité au pouvoir. Hormis la gauche de la gauche et ses collègues de la « liste d’unité » – coalition pro-palestinienne représentant le troisième groupe en nombre de l’assemblée – rares sont les factions politiques à ne pas avoir cotisé au pot du Zoabi-Bashing[i]. À travers elle, c’est tout un peuple dont on cherche à miner la résistance.
Invisibiliser les citoyens palestiniens
L’existence même de ceux qui descendent des 250000 premiers occupants des lieux restés sur leur terre après la Nakba représente un défi bien encombrant pour les autorités israéliennes. « Ceux qui sont restés en 1948 comptaient parmi les plus pauvres. Les autorités sionistes s’imaginaient pouvoir nous déconnecter du reste de notre peuple. Ce projet a échoué. Nous sommes la contradiction vivante du mensonge sioniste d’une terre sans peuple. Aujourd’hui, nous représentons 18 % de la société israélienne, mais pour les différents gouvernements israéliens, nous n’existons tout simplement pas, que l’on parle de l’accès à la terre, au logement, ou de notre représentation dans le système éducatif. Malgré cela, le pouvoir persiste à exiger de la loyauté de notre part.»
Si Zoabi reconnaît volontiers que leur est sort préférable à ceux qui endurent l’occupation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ou le blocus à Gaza, elle estime les Palestiniens citoyens d’Israël bien placés pour témoigner des affres de l’apartheid. « La citoyenneté israélienne ne nous a pas été octroyée pour nous offrir la liberté, mais pour nous demander d’adhérer aux valeurs du sionisme, en renonçant à notre identité et à nos racines. » Inacceptable pour ceux dont les ancêtres occupaient ces terres des générations avant l’installation des premiers colons juifs. « Nous ne sommes pas une minorité nationale comme il peut en exister en Europe : nous sommes les autochtones de ces terres, et nous voulons être reconnus comme tels ! »
Aux multiples dispositifs discriminants qui frappent les citoyens palestiniens s’ajoutent désormais des mesures ciblant ostensiblement ses représentants politiques. En 2013, le seuil électoral est passé de 2% à 3,25%. Une manière d’empêcher la présence des petits partis palestiniens –qui aura paradoxalement eu l’effet de forcer l’entente entre ces formations avec la constitution de la Liste d’unité. En outre, depuis peu, une disposition de la Knesset permet à une majorité des ¾ d’exclure un de ses membres pour ses propos jugés inacceptables. En vertu de cette règle, Haneen Zoabi a été bannie six fois de l’assemblée en un an et demi.
Extrême droite et « libéraux racistes »
Pour Zoabi, ces mesures doivent être replacées dans le contexte du glissement à droite manifeste des gouvernements israéliens, dont elle dresse un bien sombre tableau. « Le processus de paix d’Oslo se fondait jusqu’ici sur l’obsession de maintenir une supériorité démographique juive à travers la séparation. Aujourd’hui, le pouvoir ne cherche même plus à s’assurer d’un semblant de démocratie : il est uniquement motivé par l’obsession identitaire en vue d’assurer la domination juive». En témoigne le projet de loi fondamentale dite « d’Etat-Nation », qui réserve le droit à l’autodétermination au seul peuple juif, supprime l’arabe comme langue officielle et érige la colonisation en valeur cardinale (NDLR Adopté entre-temps le 19 juillet). « On passe d’un État libéral raciste à une structure fasciste. »
« Il y a une corrélation très claire entre l’incitation du gouvernement à la haine et les actes racistes commis par les citoyens. »En juin 2018, un propriétaire de la ville d’Afuna annulait la vente d’un logement à une famille arabe à la suite d’une manifestation.« Nous ne sommes pas racistes, mais c’est notre droit de vivre entre juifs », justifiera, après coup, l’adjoint au maire de la ville… De fait, ce glissement – « qui ne représente pas une rupture, mais une continuité», insiste-t-elle – est loin d’épargner la société israélienne. L’involution la plus manifeste porte sans nul doute sur le poids croissant de l’idéologie messianique du mouvement des colons. « Jusqu’en 2003, les colons étaient en dehors de la société israélienne. Depuis, ils ont accumulé tellement de pouvoir qu’ils sont aujourd’hui le groupe le plus influent. »
L’opposition israélienne à Netanyahou, Zoabi n’y croit plus. « Jusqu’il y a dix ans, on pouvait encore parler d’une gauche en Israël. Aujourd’hui on a affaire au mieux à des libéraux racistes, obnubilés par l’équilibre entre le caractère juif et démocratique d’Israël. Or les deux notions sont une contradiction dans les termes, puisque offrir des avantages spécifiques à une catégorie de la population s’oppose frontalement à la définition d’un État de tous ses citoyens ! Il y a désormais un énorme consensus nationaliste dans la société israélienne autour de la vision nationaliste, et les divergences ne portent que sur le pourcentage de territoire à annexer et sur le degré d’autonomie à octroyer aux territoires palestiniens résiduels, si autonomie il y a. »
Faire sentir à Israël le poids de l’occupation
On l’aura compris, Haneen Zoabi ne compte pas sur un sursaut démocratique et humaniste spontané de la société israélienne. Lorsqu’on l’interroge sur les initiatives visant à rapprocher les deux communautés, elle se montre catégorique. « Ces initiatives ne sont pas très nombreuses, et entretiennent l’illusion que l’on aurait affaire à une confrontation entre deux parties qui ne se comprendraient pas, alors qu’il s’agit d’une situation d’oppression d’un dominant sur un dominé. »
Comment dès lors réorienter un État visiblement peu soucieux de son aspect démocratique vers le chemin de la paix et de la justice ? Au niveau des revendications, il convient de ne pas tomber dans le piège de l’adversaire : « Un Etat, deux Etats, c’est une mauvaise question : nous ne devons pas parler en termes d’arrangements politiques, mais de droits et de leur violation. »
Pour ce faire, les Palestiniens d’Israël ont un rôle important à jouer pour déconstruire le discours d’Israël se présentant comme la victime. « Nous sommes bien placés pour faire revivre le paradigme de l’occupation, de l’apartheid et du racisme, et souligner qu’Israël est un Etat colonial. Nous devons porter ce discours à l’étranger. » Une approche possible si les mouvements de solidarité parviennent à le relayer, tout en ciblant l’occupation, notamment par l’arme du boycott, que Zoabi souhaite voir pratiquer à la plus large échelle possible.« Il ne peut se résumer à l’économie. Les Israéliens doivent sentir concrètement le poids de l’oppression des Palestiniens. »
D’ailleurs, quel regard jette la députée sur ce mouvement? « On assiste à un mouvement paradoxal : si nous ressentons de plus en plus le soutien de la population occidentale, il en va tout autrement des autorités publiques, qui continuent, à des degrés divers, de soutenir Israël. »Et de s’interroger, avec malice : « Peut-être est-il temps pour nous d’aider les Européens à se libérer de leurs gouvernements ? »
[i]Le bashing est un anglicisme utilisé pour décrire le « jeu » ou la forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet.
La Liste Unifiée en tournée contre la « loi d’apartheid »
Les 3 septembre 2018, une délégation de la Liste unifiée s’est rendue à Bruxelles pour alerter les responsables belges et européens sur le danger que représente le vote de la loi « Etat-Nation » le 18 juillet dernier. Il s’agissait également, pour la coalition qui regroupe communistes, religieux et nationalistes, de faire face à cette nouvelle législation qui consacre la logique d’apartheid. « Cette mesure tente de nous affaiblir, mais elle nous a unifiés comme jamais. Par-delà le combat pour un Etat, il importe pour nous d’insister sur le fait que tous les Palestiniens forment un seul et même peuple », expliquait ainsi Jamal Zahalka (Balad) lors d’une rencontre publique organisée le soir même par l’Association belgo-palestinienne. La délégation a notamment pu s’entretenir avec la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini et plusieurs chefs de groupes, ainsi qu’avec des représentants du ministère belge des Affaires étrangères.
A quelques encablures de là, dans les locaux du Parlement européen, l’intergroupe des « Amis de la Judée et de la Samarie » organisait au même moment une réunion consacrée à la lutte contre le BDS. Le collectif pro-israélien fondé il y a un an par des eurodéputés situés sur les bancs les plus à droite de l’hémicycle, avait choisi pour thème la « coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens » qui prévaudrait selon lui dans les territoires occupés. Un angle d’attaque qui ne manquait pas de sel, moins de 24h après que la Cour suprême d’Israël eût donné son feu vert à la destruction du village de Khan al-Ahmar et à l’expulsion de ses 173 habitants…
Refusant de cautionner cette initiative en rupture frontale avec le droit international le droit international, Mme Mogherini a décliné l’invitation à rencontrer le collectif, à la grande fureur de son président Yossi Dagan et de ses parrains européens.