Enseigner à Gaza

Bulletin N°77

Longtemps considéré comme exemplaire, le système d’enseignement palestinien est soumis à rude épreuve dans la bande de Gaza, sous le double effet du blocus et des coupes budgétaires que subissent l’UNRWA et l’Autorité palestinienne. Conseiller pédagogique à Gaza, Abdelnasser Alsayyed se bat depuis des années pour promouvoir l’enseignement du français dans l’enclave. L’Association belgo-palestinienne l’a rencontré à l’occasion de son passage à Bruxelles.

Que dire de la qualité du système éducatif palestinien et de la manière dont il se décline à Gaza ?

Le système éducatif palestinien compte parmi les meilleurs du monde arabe. Tout le monde sait lire et écrire. Même les pays du Golfe, qui regorgent pourtant d’argent, n’ont pas la même qualité d’enseignement.

Comment explique-t-on ces performances?

Nous n’avons pas le choix. Il y a 85 % de chômage et les meilleures places sont pour les champions. Tout le monde essaye donc d’avoir la meilleure éducation. En dépit de la situation catastrophique à Gaza, l’enseignement y reste une chose prise très au sérieux par les parents et les enfants, lesquels poursuivent leur scolarité au moins jusqu’à 16 ans.

Quel est l’impact de la situation politique et socio-économique de Gaza, à commencer par le blocus, sur ce système ?

Le blocus a un effet catastrophique. Nous sommes en pleine pénurie de moyens, ce qui fait que les classes sont surchargées, avec plus de 50 élèves en moyenne par classe. Nous manquons cruellement de locaux et de fournitures scolaires de base. A titre d’exemple, je ne dispose pas d’ordinateur, et les coupures d’électricité chroniques font que l’on a besoin de batteries et de lampes pour pouvoir travailler le soir. Avec deux batteries, mes enfants peuvent se réunir dans une chambre pour travailler, mais c’est compliqué. Ma fille qui est à l’université est obligée de travailler avec des enfants qui sont à l’école primaire.

Justement, quels sont les besoins spécifiques des enfants ?

Les mêmes que partout dans le monde : ils ont besoin de liberté et d’accès aux services de base (eau, soins, énergie…), qui sont tout sauf garantis à Gaza. Le blocus rend pratiquement impossible les voyages à l’étranger qui pourraient notamment permettre une formation dans la durée, par exemple dans le domaine linguistique.  Nous avons essayé de mettre sur pied des partenariats avec des écoles en France, et je l’espère, bientôt en Belgique. On aimerait aussi faire venir des enfants et des professeurs étrangers.

Deux filières éducatives coexistent en Palestine : celle de l’UNRWA et celle de l’Autorité palestinienne (AP). Pouvez-vous nous en parler ? 

Elles entrent dans le même système éducatif, disposent des mêmes méthodes, ont les mêmes objectifs à atteindre et les mêmes périodes scolaires.  L’AP et l’UNRWA se coordonnent au niveau des programmes et les filières ont toujours collaboré en bonne intelligence. La différence porte sur l’autorité de tutelle et le financement. Depuis avril 2017, les fonctionnaires  de l’AP a Gaza dont je fais partie touchent entre 50 et 55 % de leur salaire (NDLR : à la suite des représailles économiques décrétées par l’AP contre les fonctionnaires travaillant sous l’autorité du Hamas à Gaza).

Il est normalement beaucoup plus intéressant de travailler pour l’UNRWA, qui rémunère ses enseignants à des tarifs environ deux fois supérieurs à ceux de l’AP, et qui offre une meilleure stabilité en la matière. La décision des Etats-Unis de cesser leur contribution à l’UNRWA remet t néanmoins tout cela en cause. Depuis deux mois, l’agence a diminué ses activités, fermé certains établissements scolaires, et mis au chômage technique certains fonctionnaires et enseignants. Beaucoup d’élèves et de parents ont déjà commencé à renvoyer leurs enfants vers l’AP car la viabilité des écoles de l’UNRWA n’est plus garantie. Mais tout cela reste très vague. Nous sommes dans une situation de grande incertitude.

Quelle place occupe le français dans le système d’enseignement en Palestine? Les différentes filières éprouvent-elles un intérêt à le développer ?

Le français existe dans les écoles de Gaza depuis 1995, soit un an après la création officielle de l’AP. Il y a notamment eu un intérêt pour le français notamment dans la foulée de la visite de Jacques Chirac et de son coup d’éclat dans la vieille ville de Jérusalem. Avant 1967, dans les écoles de Gaza et de Cisjordanie, le français était toujours présent, car on a toujours eu conscience de l’importance des langues étrangères pour la jeunesse, mais c’était surtout réservé aux écoles privées. On sait bien qu’on ne peut pas faire grand-chose sans parler plusieurs langues. Aujourd’hui, on a 30 sections de français dans les écoles publiques et 15 dans les privées.

Il  y a beaucoup d’intérêt des parents et des enfants pour cette langue, mais depuis 10 ans on a du mal à développer ce programme. Vu les faibles moyens dédiés aux matières essentielles, il est en effet difficile de songer à financer les cours optionnels.

Comment vous y prenez-vous pour développer l’intérêt du français dans ces conditions?

Nous accordons beaucoup d’importance aux manifestations culturelles. On célèbre la fête de la francophonie en préparant poèmes, chansons et pièces de théâtre. Il y a aussi des concours que le consulat français lance chaque année. La préparation de l’examen pour l’obtention du Diplôme d’études en langue française (DELF) organisé par la France est également une occasion de développer l’intérêt des élèves et des étudiants, car il confère une grande valeur à la langue. Le taux de réussite est de 100 % à Gaza, car les professeurs offrent un très bon encadrement. Malheureusement l’inscription au concours n’est plus subsidiée depuis deux ans, et de nombreux enfants se sont retirés de l’examen. Nous essayons de lancer des appels à financer la participation au concours des personnes déjà inscrites.

Il y a également beaucoup d’intérêt pour le français chez les étudiants qui terminent leurs études universitaires et veulent continuer leur thèse à l’étranger. Je suis moi-même inscrit à l’université de Liège, mais j’ai dû abandonner, faute de moyens. Le problème, ce n’est pas tant les frais d’inscription que le fait de devoir vivre à l’étranger. Avec mon salaire raboté de moitié et des enfants eux-mêmes inscrits à l’université, j’ai dû faire des choix.

Vous avez rencontré des représentants de la Fédération Wallonie-Bruxelles lors de votre passage à Bruxelles. Quel bilan en tirez-vous ?

Notre visite a été très positive. La FWB est prête à nous aider à développer les partenariats dont nous avons besoin. J’espère qu’on pourra commencer un projet cette année, qui débouchera notamment sur des correspondances avec des élèves francophones, de l’aide en matière de fournitures scolaires, des échanges, etc.

Quelle solidarité peut-on mettre en place de l’extérieur ?

 La première priorité est de faire cesser le châtiment collectif exercé sur deux millions de Gazaouis que représente le blocus de Gaza. C’est essentiel pour que les enfants développent leurs compétences et se forment. Nous avons également un besoin d’infrastructures scolaires. On aimerait également développer des projets qui permettent aux étudiants de réaliser des études universitaires ou postuniversitaires à l’étranger.

Il y a certaines spécialités qui n’existent pas à Gaza. Mon fils, particulièrement choqué par le nombre de handicapées à vie du fait des guerres, souhaiterait devenir prothésiste, mais cette spécialité n’existe pas à Gaza… Je lance donc un appel pour aider à faire sortir ceux qui veulent apprendre ce type de métier essentiel à notre développement.

Par ailleurs, l’aide financière et les dons sont toujours précieux, de même que les envois de livres et de matériel scolaire. Même nous, les enseignants, peinons à travailler dans des conditions décentes. Ces quelques gestes de solidarité seraient déjà formidables pour nous.

 

 

 

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