
Bulletin 65, Septembre 2015
Par Babou Sanchez
Depuis 2011, un projet de création d’école de cirque se poursuit à Gaza malgré le blocus, les bombes, le chômage et la non-mixité imposée aujourd’hui par la société palestinienne.
Pourquoi le cirque ?
Cet art de saltimbanque a la particularité de se composer de multiples disciplines, la jonglerie (balles, massues, diabolo…), l’équilibre sur objets (fil, monocycle, boule…) l’acrobatie, le jeu de clown… Cette palette offre la possibilité à chacun de trouver son propre outil d’expression tout en faisant partie d’une « famille » plus large où l’esprit de groupe et l’entraide sont primordiaux. Sans parade (partenaire assurant la sécurité), l’acrobate ne peut se lancer dans une figure à risque, l’équilibriste a besoin d’une épaule à ses débuts pour trouver sa balance, le clown doit tester ses gags sur un public complice,…
Depuis de nombreuses années en Europe, le cirque s’est développé comme outil de résilience et de cohésion sociale auprès de publics fragilisés. Le corps en mouvement devient un “ami” avec lequel on réussit à s’exprimer, à se présenter aux autres, à exister. Des enfants aux adultes, la formule magique a fait ses preuves.
Proposer cet outil en Palestine, où des décennies d’occupation et de guerre blessent physiquement et moralement une population entière, relevait pour nous de l’évidence.
Le cirque à Gaza
De 2005 à 2009, l’association française « Une toile contre un mur » accompagnait la création de l’école de cirque « Sirk-Saghir » (le petit cirque) à Naplouse/Cisjordanie. Riches de cette première expérience, « Une toile contre un mur » et l’asbl « Aljabal » décident de se rendre à Gaza pour proposer le même type de projet. Le projet consistait d’une part à apporter du matériel de cirque et d’autre part, à former en technique et en pédagogie des arts du cirque des animateurs de cirque palestiniens qui pourraient former à leur tour des enfants palestiniens. Notre but ultime était de mettre en place une structure de cirque palestinienne autonome.
Lors de notre première venue, nous avons rencontré plusieurs animateurs appartenant à différentes associations socioculturelles de toute la bande de Gaza, de Khan Yunes au sud à Jabalia au nord. Ils ont tout de suite compris l’intérêt de développer cet outil auprès des enfants avec lesquels ils travaillaient. Mais avant d’accepter notre proposition, ils ont imposé leur seule et unique condition : que l’on s’engage sur le long terme à leur donner une formation complète. Ils avaient déjà reçu le même type de proposition de la part d’associations européennes qui pour finir leur avaient donné du matériel sans leur expliquer à quoi cela servait puis n’étaient plus jamais revenues. Leur condition nous plaisait car elle nous mettait, Européens et Palestiniens, sur pied d’égalité et nous confrontait à l’engagement que nous prenions.
Cette première rencontre scellée par ce contrat moral nous a donné des ailes. De notre côté, nous avons réussi la première année à nous rendre 3 fois à Gaza pour chaque fois des périodes d’un mois. Nous apportions du matériel, nous développions avec les Gazaouis le contenu de la formation en fonction de leurs besoins, de leurs demandes et surtout, nous constations leur évolution spectaculaire : entre chacune de nos venues, les participants continuaient leur formation de manière autonome en allant voir des vidéos sur Internet. Très vite, ils ont organisé des cours pour les enfants, filles et garçons, au sein de leurs associations. Leur implication était remarquable : durant les stages que nous donnions, certains travaillaient dans les tunnels la nuit et suivaient les cours le jour. Des cours très éprouvants physiquement, sous une chaleur accablante.
Le blocus pour les clowns aussi !
Des ailes, nous aurions aimé en avoir au sens propre. Le plus grand frein à ce projet était et reste le blocus de Gaza. N’étant pas soutenus par une institution type ONU, il nous était impossible de passer par Israël et nous sommes donc passés par l’Égypte qui vivait son “printemps arabe”. L’ambiance était particulière ; les Égyptiens étaient fiers, ils avaient réussi à détrôner leur dictateur. Lorsqu’ils apprenaient que nous nous rendions à Gaza pour un projet culturel, ils nous offraient un soutien et une aide généreuse. Sans cela, aurions-nous réussi à franchir par trois fois la frontière qui sépare l’Égypte de Gaza, deux fois à l’air libre et une fois sous terre, par les tunnels ? Ce n’est pas sûr, car même en l’absence du dictateur, les militaires postés à la frontière continuaient à la rendre imperméable et les règles pour la passer n’étaient pas claires. Aujourd’hui encore, nous ne comprenons pas comment nous avons réussi. Le fait que nous ayons réussi à la passer une première fois, le fait que le projet ait pu démarrer et que nous nous sentions liés par notre engagement à nos partenaires gazaouis nous confirmaient la justesse de notre option et la nécessité d’aller à Gaza. Ainsi, à notre troisième voyage, devant des militaires égyptiens qui nous refusaient catégoriquement le passage pour Gaza, nous avons pris les tunnels sans aucune hésitation. Pour nos collègues et amis palestiniens, ce fut la manifestation définitive de l’authenticité de notre engagement!
Initialement nous avions prévu un programme de formation s’étalant jusqu’en 2015 avec en moyenne deux stages par an. C’était sans prendre en compte la situation instable de Gaza et de l’Égypte. Depuis août 2012, nous n’arrivions plus à nous rendre à Gaza, nous en avons été empêchés successivement par des attentats, le coup d’État en Égypte, les bombardements de Gaza, les conflits dans le désert du Sinaï égyptien. Par désespoir et naïveté politique, nous avons sollicité un passage par Israël qui nous fut bien sûr refusé. Devant ces obstacles, un nouvel ennemi est apparu, le découragement. Cela fait trois ans que nous travaillons pour aller à Gaza afin d’honorer notre contrat auprès de nos partenaires palestiniens, et cela fait trois ans que notre travail est balayé d’un revers de la main du fait des refus des institutions égyptiennes et israéliennes. Sans parler du “non-soutien” de nos ambassades belge et française.
Mais nous ne pouvions pas baisser les bras, car là-bas à Gaza, la graine du cirque a été plantée et malgré le manque d’eau, elle pousse. Si nous ne pouvons nous rendre sur place pour accompagner le projet physiquement, nous devions trouver le moyen de l’accompagner à distance et surtout de maintenir un lien qui est une source de soutien et d’encouragement vitale pour les Gazaouis coupés du monde.
L’avenir du cirque à Gaza et en Palestine
La formation de base que nous avons pu apporter à Gaza et le travail autonome développé par les participant-e-s ont donné à ce projet des bases solides. Aujourd’hui, deux écoles de cirque sont en train d’émerger à Gaza, une à Jabalia, l’autre à Shijaiya. Dans chaque groupe, deux à trois jeunes qui ont suivi notre formation l’ont transmise à leurs amis si bien qu’il y a actuellement plus de 10 formateurs aux arts du cirque à Gaza qui donnent des cours et des stages aux garçons et aux filles. Par ailleurs, ils ont développé des contacts vers l’extérieur, tout d’abord avec les écoles de cirque palestiniennes de Naplouse et de Ramallah et ensuite avec deux ONG italiennes.
Ces contacts sont l’avenir du cirque à Gaza et ouvrent des perspectives à une collaboration entre les écoles de cirque palestiniennes. Les ONG italiennes soutiennent ce projet, l’une en apportant des moyens financiers afin de louer un lieu où donner les cours, l’autre en essayant de trouver un moyen pour que les professeurs gazaouis puissent se rendre à l’Ecole palestinienne de cirque de Ramallah afin de recevoir une formation technique plus poussée.
L’art, la culture, le jeu, l’amusement sont des armes pacifiques à opposer face à l’absurdité de la guerre. En nous rendant en Palestine avec ce projet de cirque nous étions porté-e-s par la conviction que s’amuser est un droit humain de base comme boire et manger. Sur place, cette conviction s’est renforcée.
Envie d’en savoir plus sur ce projet ? Rendez-vous sur www.aljabal.be