La bande de Gaza, une zone de non-droit

Le week-end des 5 et 6 mai derniers, la tension est montée à Gaza entre les groupes armés palestiniens et l’armée israélienne. Comme de coutume, la presse et les responsables politiques ont relayé le narratif israélien, faisant peser la responsabilité entière des affrontements sur les seuls groupes armés palestiniens. En ommettant de rappeler et de condamner l’occupation israélienne, violence première qui pèse depuis plus de 50 ans sur la population de Gaza et cela, dans la plus totale impunité.

Cela fait maintenant 12 ans qu’en outre, Israël impose aux Palestiniens de la bande de Gaza un blocus total, terrestre, aérien et maritime. Ce blocus est considéré comme une punition collective. Or ce type de punition menée sans discernement à l’égard des civils représente une violation claire de l’article 33 de la Quatrième convention de Genève. En plus du blocus, trois attaques massives ont été lancées sur l’étroite bande de terre : la première durant l’hiver 2008-2009, la deuxième en novembre 2012 et la troisième, la plus meurtrière, avec 2251 morts, durant l’été 2014.

Ces attaques, additionnées aux effets du blocus, ont provoqué un réel phénomène de dé-développement à Gaza. Depuis 2007, 90% des entreprises de Gaza ont dû fermer ; 40% de la population sont aujourd’hui au chômage ; 96% de l’eau courante est impropre à la consommation ; 90% des entreprises ont disparu depuis l’imposition du blocus. La distribution d’électricité oscille entre quatre et huit heures par jour.

Israël restreint par ailleurs l’accès des pêcheurs aux ressources halieutiques, limitant la zone de pêche à 6 milles marins la plupart du temps, à 3 milles marins en cas de tensions. Tout comme la pêche, l’agriculture est primordiale pour l’économie et la sécurité alimentaire du territoire. Or Israël restreint aussi l’accès des agriculteurs aux terres arables, pour la plupart situées sur la périphérie de la bande de Gaza. Israël impose en effet un zone tampon allant jusqu’à 500 mètres à l’intérieur des terres, le long de la clôture.

En 2012, les Nations Unies avaient déjà réalisé une projection et prédit que Gaza deviendrait invivable à l’horizon 2020. Mais en 2017, lors de communications données à l’occasion des dix années du blocus, Robert Piper, le Coordinateur des affaires humanitaires pour le territoire palestinien occupé, faisait remarquer que les conditions de vie dans la bande de Gaza étaient déjà devenues invivables.

Une marche pour le droit au retour et à la vie digne

En 2018, face à l’inexorable détérioration de leurs conditions de vie, les Palestiniens de la bande de Gaza ont commencé à manifester dans le cadre de ce qu’ils appellent la Grande Marche du Retour. Leur objectif était double : revendiquer leur droit au retour, septante ans après la Nakba, la catastrophe qui les a chassés de leur terres, mais aussi attirer l’attention du monde sur les conditions de vie indignes dans lesquelles ils vivent.

La réaction israélienne ne s’est pas fait attendre et une répression brutale s’est abattue sur les manifestants. A la suite de la répression particulièrement meurtrière des manifestations du 14 mai 2018, le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a décidé de la mise en place d’une commission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur les responsabilités des dizaines de morts et centaines de blessés lors des manifestations.

Cette commission d’enquête a publié son rapport le 28 février dernier[1]. Selon elle, les forces israéliennes ont la plupart du temps utilisé illégalement la force létale contre des manifestants qui ne constituaient pas de réel danger, ce qui est en soi un crime de guerre. L’utilisation de la force létale par des soldats d’une armée n’est en effet autorisée contre des civils qu’en cas de menace réelle et imminente pour leur vie. La commission d’enquête a en outre conclu qu’il y avait « des motifs raisonnables de croire que les tireurs d’élite israéliens avaient tiré sur des journalistes, des personnels de santé, des enfants et des personnes handicapées, en sachant qu’ils étaient clairement reconnaissables comme tels ».

Les recommandations de la commission d’enquête sont claires. Il est indispensable de prendre des mesures pour qu’une telle violence ne se reproduise pas. La commission d’enquête a établi une liste d’individus responsables de crime de guerre et encourage les Etats à appliquer des sanctions ciblées contre eux, comme des gels d’avoirs ou des refus de visas. Elle encourage également la Haute Commissaire aux droits humains à soumettre la liste des responsables individuels à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.

Ces recommandations ont acquis une force contraignante via une résolution votée au Conseil[2]. De nombreux Etats non membres du Conseil ont accepté de soutenir celle-ci en la « co-sponsorisant ». Malheureusement, pour des raisons qu’on ignore, la Belgique a refusé de se joindre à l’initiative, alors même qu’elle avait voté en faveur de la mise en place de la commission d’enquête un an auparavant.

Une impunité totale

Depuis le 30 mars 2018, les Palestiniens de Gaza n’ont pas cessé de manifester tous les vendredis pour une vie digne et leur droit au retour. Depuis quinze mois, les tirs à balles réelles israéliens ont tué près de 200 Palestiniens et en ont blessés des milliers. Et rien ni personne ne les en empêche.

Depuis le début du blocus, Israël agit en permanence en toute impunité dans la bande de Gaza. La condamnation du blocus par les Nations Unies n’a jamais été assortie de réelles sanctions. A la suite de l’attaque israélienne dite « Opération Plomb durci » en décembre 2008 et janvier 2009, une commission d’enquête avait été mise en place, présidée par le juge sud-africain Goldstone. Le rapport Goldstone indiquait clairement qu’Israël s’était rendu coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Mais le rapport est alors attaqué de toutes parts, le juge Goldstone finit par se rétracter et le rapport est mis au tiroir sans qu’aucune sanction ne soit jamais imposée contre Israël. Le même scénario se déroule avec la commission d’enquête menée par William Schabas à la suite de l’opération Bordure protectrice de l’été 2014.

Une résolution contraignante a beau avoir été votée au Conseil des droits de l’Homme, elle n’a pas reçu l’appui des principaux Etats occidentaux, ce qui laisse présager d’un sort équivalent à celui des commissions d’enquête précédentes.

Quelles perspectives ?

Mais quelles sont les solutions laissées aux Palestiniens de Gaza ? En effet, s’ils envoient des roquettes, on les condamne. S’ils manifestent pacifiquement, on les laisse se faire tuer sans sanctionner les coupables. Aucune condamnation n’est suivie de sanctions. La Cour pénale internationale tarde à se saisir de la situation. Et il n’y a de semblant de volonté politique que le temps que dure l’attention médiatique, c’est-à-dire de manière de plus en plus brève.

Quelles sont les perspectives actuelles laissées aux Gazaouis ? Le « plan de paix » du président américain sera bientôt révélé. Et des fuites ont donné à entendre qu’il prévoyait de désenclaver le territoire, via un pont terrestre, et de l’agrandir par la cession de terres égyptiennes du Sinaï pour la construction d’une zone industrielle et d’un aéroport. Mais à une condition et non des moindres: le Hamas et les groupes armés palestiniens doivent rendre leurs armes à l’Egypte. Et s’ils refusent de le faire, les Etats-Unis menacent de se joindre à Israël dans une guerre contre le Hamas[3].

Les Etats-Unis ont donc mis le droit international définitivement hors-jeu. La logique de puissance et de la négociation d’affaires a pris le dessus. Face à cela, l’Union européenne semble aujourd’hui incapable d’alternative. Pourtant, seuls quelques Etats européens, dont la Belgique, pourraient prendre des mesures ; mais pour cela, ils devront y être activement enjoints par les mouvements de solidarité avec le peuple palestinien.

Nathalie Janne d’Othée

[1] UN HRC, Report of the independent international commission of inquiry on the protests in the Occupied Palestinian Territory, 25 February 2019 (UN doc : A/HRC/40/74)  https://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/CoIOPT/A_HRC_40_74.pdf

[2] Conseil des droits de l’homme, Résolution (UN doc : A/HRC/40/L.25), Faire en sorte que les responsabilités soient établies et que justice soit faite pour toutes les violations du droit international dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, 18 mars 2019. (UN doc : A/HRC/40/L.25) https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/LTD/G19/069/40/PDF/G1906940.pdf?OpenElement

[3][3] « Report: leaked draft of Trump’s peace plan reveals creation of ‘New Palestine,’ promises to join Israel in next war in Gaza if Palestinians reject”, Allison Deger, Mondoweiss, 7 May 2019.

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