Gaza : Une photo qui en dit long

« Quand j’ai vu l’image ci-contre pour la première fois, j’ai pensé que c’était une peinture. Ne vous laissez pas berner par la lumière dynamique, le clair-obscur qui amplifie l’angoisse. C’est une vraie photo de vraies personnes qui se battent les unes contre les autres à un guichet de service de la Chambre de commerce de la ville de Gaza. La photo a été prise plus tôt ce mois-ci peu de temps après l’annonce sur les réseaux sociaux que la chambre accepterait les demandeurs de permis de travail en Israël. En moins d’une heure, les rues autour des différents bâtiments de la succursale ont été inondées de dizaines de milliers de personnes essayant de se frayer un chemin vers les entrées.»

Tareq S. Hajjaj, “Photo reflects devastation of Palestinian economy as Gaza workers struggle for work”, Mondoweiss, 29 octobre 2021

Par Marianne Blume

Octroi de permis pour travailler en Israël

Le coordinateur militaire d’Israël pour les Palestiniens, COGAT, avait annoncé début octobre que 3000 permis étaient destinés aux commerçants. Or 7 000 d’entre eux ont déjà des permis. Cet appel a donc porté leur total à environ 10 000.

Tous les Gazaouis venus s’inscrire sont-ils des commerçants ? Bien sûr que non. La plupart sont de simples travailleurs. Pourquoi alors sont-ils venus ? Comment espèrent-ils avoir un permis ?

Habituellement, les permis sont accordés à des travailleurs ayant des emplois à Gaza, dans les secteurs de l’agriculture et de la construction, enregistrés comme commerçants. Pour ce faire, les travailleurs doivent s’inscrire auprès de laChambre de commerce et payer leur affiliation. Dès lors, et sans certitude d’avoir un permis, ces travailleurs ne sont plus éligibles pour les aides locales (ministère des Affaires sociales) ou internationales (UNRWA). Une situation désastreuse pour les familles paupérisées.

Exceptionnellement, les chômeurs ont été autorisés cette fois à soumettre leur demande à la Chambre de commerce, au lieu de demander un registre de commerce auprès des services gouvernementaux : ils évitent ainsi d’être repris comme commerçants dans les registres gouvernementaux et donc de ne plus pouvoir bénéficier des aides vitales.

Ce que dit la photo

Cette photo, digne d’un tableau de Jérôme Bosch, montre la pauvreté et le désespoir qui règnent à Gaza : 3000 permis pour un total de près de 300.000 sans emploi et un taux général de chômage de 48 % et de 66% chez les jeunes adultes!

Déclarée invivable par l’ONU en 2020 suite au blocus imposé par Israël et aux destructions lors des multiples agressions israéliennes, la bande de Gaza vit dans une situation économique dévastée. Près de 80% des Gazaouis dépendent de l’aide humanitaire. Une situation économique aggravée par la crise du Covid : selon les chiffres de Gisha, une association israélienne à but non lucratif dédiée à la liberté de mouvement des Palestiniens, en 2019, quelque 15 000 personnes étaient autorisées à entrer en Israël. Actuellement, seuls 6% de ce nombre le sont encore.

Le chômage est aussi dû aux destructions intentionnelles par Israël des ateliers, usines et autres infrastructures pourvoyeuses d’emploi comme les hôtels et restaurants. Pour Ali al-Hayek, chef de l’Association des hommes d’affaires palestiniens, le ciblage par Israël des usines palestiniennes traduit clairement son intention de détruire l’infrastructure industrielle palestinienne : « Israël veut, en affaiblissant le secteur industriel palestinien, accroître la dépendance économique des Palestiniens à l’égard d’Israël et affaiblir toutes les opportunités de développement de l’économie palestinienne déjà faibles.”

Privés de tout, ces demandeurs d’emploi sont prêts à travailler douze heures de suite pour à peine 20 shekels ( 5,6 euros). L’entrée de 10 000 ouvriers et commerçants de la bande de Gaza en Israël devrait rapporter plus de 80 millions de shekels (25 millions de dollars) par mois dans la bande de Gaza. Et tout cela sans oublier que le gouvernement de Gaza fait face à une crise financière qui a pour conséquence que beaucoup d’employés ne perçoivent pas de salaire ou, au mieux, n’en perçoivent que 50% . Même topo pour les anciens fonctionnaires de l’Autorité palestinienne dont Mahmoud Abbas a coupé les salaires quand il ne les a pas poussés à la retraite. Une crise financière qui a aussi pour conséquence une augmentation des impôts indirects et donc une flambée des prix des produits de base dont certains sont devenus hors de portée des gens déjà appauvris. Quand on sait tout cela, on comprend mieux encore la ruée vers les permis.

Ce que ne dit pas la photo

Comme le souligne Gideon Levy, l’octroi de ces permis relève plus de la stratégie de sécurité que de la bienveillance israélienne. Il s’agit d’atténuer les tensions sécuritaires à la frontière de Gaza et d’éviter une reprise des hostilités. Début 2020, le nombre de permis s’élevait à 7000, dans le cadre d’un accord informel conclu avec le Hamas en échange de l’arrêt des marches du retour près de la clôture frontalière. Cependant, la mise en œuvre de l’accord a été stoppée en raison de l’épidémie de coronavirus. Par ailleurs, lors de l’opération Gardiens des murailles en mai 2021, Israël a complètement interdit toute sortie de Gaza. Depuis, le nombre de permis a progressivement augmenté. Mais cette augmentation est conditionnée par la « stabilité sécuritaire ». Et donc d’accords formels ou non avec le gouvernement de la bande de Gaza. Ce qui fait dire à beaucoup de Gazaouis que le Hamas collabore, lui aussi, avec Israël.

Ce que la photo ne dit pas non plus, c’est que beaucoup de ces désespérés seront purement et simplement rejetés pour des raisons de « sécurité » : en effet, avoir un parent en prison ou militant, avoir été en prison, avoir une appartenance connue à certains partis, etc. disqualifie immédiatement les candidats.

Ajoutons à cela ce que déclare Sami al-Amasi, chef de la Fédération générale palestinienne des syndicats, à savoir que les bureaux de la Chambre de commerce exploitent le dénuement des chômeurs en annonçant qu’il existe un grand nombre de permis de travail disponibles…alors que, d’après lui, 2600 de ces permis ont déjà été attribués. Par piston ou corruption.

Levée du blocus

Soyons clairs : seule la levée du blocus peut rendre la bande de Gaza vivable et cette solution ne peut être que politique. Ni les quelques permis de travail octroyés ni les aides financières du Qatar ne mettront fin au désastre que vit la population de Gaza. Israël détruit pierre après pierre l’infrastructure de la bande de Gaza : un dé-développement sciemment programmé et organisé. Cent-vingt organisations de Gaza ont fait des recommandations pour la reconstruction de Gaza1. Parmi celles-ci, il y a un appel à la communauté internationale pour exiger la levée du blocus et refuser de récompenser l’occupation israélienne et de la faire profiter de quelque manière que ce soit du processus de reconstruction en boycottant tous les produits israéliens ainsi que les entreprises qui traitent avec les autorités israéliennes.

Il est plus que temps que l’Europe et la Belgique prennent enfin leurs responsabilités, fassent pression sur Israël et lui imposent des sanctions tant qu’il continuera à faire de Gaza un camp de prisonniers privés de droits et de ressources basiques.

On ne pourra pas continuer de parler de retour d’un cycle de violence si les Gazaouis ainsi acculés au désespoir tentent des actions extrêmes. Et les condamnations hypocrites de la riposte israélienne évidemment démesurée ne nous blanchiront pas de notre complicité de fait. On ne pourra pas non plus s’étonner de l’afflux de migrants de Gaza laissés par notre faute dans une situation invivable.

1Nathalie Janne D’Othée, “Quelle reconstruction pour Gaza ? Recommandations de la société civile palestinienne”, 5 août, cncd.be

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