
Après l’agression meurtrière contre Gaza, un accord provisoire (GRM) a été conclu par les Nations Unies et approuvé par l’Autorité palestinienne et par Israël. Ce mécanisme a été conçu pour répondre aux préoccupations de sécurité d’Israël tout en permettant l’entrée du matériel de construction (agrégats, ciment et barres d’acier seulement) dans la bande de Gaza. Or Israël définit ces types de matériaux ainsi que bien d’autres comme étant « à double usage » et entrave sévèrement leur entrée dans Gaza.
Dans les faits, ce mécanisme renforce le blocus de Gaza et permet à Israël un contrôle total de la situation. A cet égard, les critiques dont se fait l’écho le Guardian sont sévères : « les plans de surveillance de l’importation, du stockage et des ventes de matériaux de construction – y compris l’installation de caméras vidéo, la mise en place d’une équipe d’inspecteurs internationaux et la création d’une base de données de fournisseurs et de consommateurs – sont plus appropriés pour un programme nucléaire suspect que pour l’ effort de reconstruction d’après-guerre.»
Quelques dispositions prévues par le GRM
1° Israël a accès à la base de données des propriétaires de maisons démolies/endommagées, ce qui inclut les numéros de carte d’identité, les coordonnées GPS de la maison familiale ainsi que d’autres renseignements personnels.
2° Israël a le droit d’approuver ou de refuser, au cas par cas, les demandes de matériel de construction.
3° Israël donne son autorisation aux vendeurs de matériaux de son choix.
4° Les matériaux de construction sont stockés dans des installations spéciales sous la surveillance 24 heures sur 24 d’un circuit de télévision fermé relié à Israël, qui a accès aux enregistrements.
5° Israël contrôle les sites de reconstruction au moyen de drones de surveillance
En 2018, il a été question de revoir cet accord « provisoire » et les autorités israéliennes se sont engagées à donner une réponse pour le matériel à « double usage » endéans les 45 jours. De leur côté, un nouvel organisme des Nations Unies (PMU : Project Management Unit) se donne pour objectif de faciliter le processus de reconstruction en liaison avec le GRM.
En attendant, un projet d’amélioration de la fourniture d’eau dans le gouvernorat de Khan Younis, initié en 2016 et financé par l’UE, ne sera entamé que trois ans après du fait des obstacles des toutes sortes mis à son démarrage par Israël !
Provenance des matériaux
Comme pour à peu près tout ce qui concerne les relations palestino-israéliennes, l’approvisionnement en ciment de Gaza est extrêmement politique. Le marché est dominé par Nesher Israel Cement Enterprises, qui tire environ un tiers de ses revenus des entreprises qui construisent des maisons pour les colons juifs sur des terres occupées en Cisjordanie et contrôle près des trois quarts des ventes légales à Gaza.
«Israël a monopolisé la reconstruction», explique Mkhaimar Abusada, professeur de sciences politiques à l’université Al-Azhar de Gaza. “Il ne fait aucun doute que Nesher gagne de l’argent grâce à la reconstruction.” Grâce au GRM, la compagnie qui a perdu le monopole en Israël a regagné là un marché. Elle a d’ailleurs embauché un ancien gouverneur militaire de Gaza pour l’aider à développer ses activités sur le territoire de la bande de Gaza, qui représente désormais 10% du marché israélien du ciment.
Un secret de Polichinelle
Dès 2014, la quasi-obligation d’acheter en Israël avait déjà été dénoncée. “Si vous souhaitez que les matériels d’aide soient autorisés à entrer, ils proviendront presque inévitablement de sources israéliennes“, a déclaré un responsable de l’UE. «Je ne pense pas que vous le trouverez écrit nulle part dans la politique officielle, mais quand vous arrivez à négocier avec les Israéliens, c’est ce qui se passe. Cela augmente les coûts de construction et de transaction, et c’est un problème politique qui doit être traité. » Ce même responsable affirmait que cette politique avait profité à Israël à hauteur de millions d’euros et qu’elle était délibérée.
L’organisation israélienne Who profits fait le même constat : « Dans le cadre de l’accord parrainé par l’ONU pour la reconstruction de Gaza, Nesher a tiré profit des fonds d’aide investis dans la reconstruction de la bande de Gaza. »
En résumé, l’accord parrainé par l’ONU a à la fois perpétué le régime israélien de contrôle et de restriction sur la bande de Gaza et institutionnalisé une industrie de reconstruction rentable pour Israël. Les autorités israéliennes étant les seules à décider quels matériaux de construction sont autorisés à entrer dans la bande de Gaza, l’accord a permis à Israël d’augmenter ses bénéfices en garantissant que les matériaux de construction et l’assistance proviennent d’Israël et profitent à l’économie israélienne.
La lâcheté mène à la complicité
En concluant cet accord, l’ONU et l’Autorité palestinienne de Ramallah ne font qu’entériner le blocus de la bande de Gaza. En effet, au lieu de sanctionner Israël, on lui permet au contraire de profiter de la reconstruction (très relative) de la bande de Gaza qu’il bombarde et détruit par ailleurs quand il veut. Les deniers internationaux servent à payer des fonctionnaires chargés d’encadrer la reconstruction aux conditions israéliennes et à enrichir l’économie israélienne.
En définitive, financer des aides pour la bande de Gaza dans de telles conditions revient à se rendre complice du blocus et de l’occupation. Par lâcheté politique, l’ONU et les autres bailleurs de fonds évitent soigneusement de remettre en cause les abus de pouvoir israéliens et dansent comme Israël siffle. Pour le plus grand malheur des habitants de Gaza.
Doit-on rappeler qu’un rapport de l’ONU prédit que Gaza sera invivable en 2020 ?
Marianne Blume