Nouveau gouvernement israélien : rien ne change pour les Palestiniens

Les chancelleries occidentales n’ont guère dissimulé leur satisfaction à voir Benyamin Nétanyahou quitter le pouvoir le 13 juin dernier. Cette alternance politique n’augure pourtant pas plus de ruptures que les précédentes avec les pratiques d’apartheid et la colonisation.

Par Gregory Mauzé

C’est peu dire que la dérive autoritaire de Nétanyahou et son abandon de toute velléité de dialogue pour une paix juste avec les Palestiniens ont écorné l’image du pays. Quoique jusqu’à présent sans conséquences pratiques, le risque, à long terme, d’une progressive délégitimation d’Israël dans le concert des Nations n’en est pas moins pris au sérieux par le nouveau gouvernement israélien dirigé par Naftali Bennett. Sitôt nommé, Yaïr Lapid, le ministre des Affaires étrangères et Premier ministre par alternance, s’est par conséquent attelé à remédier aux carences de la Hasbara1. En ligne de mire : le camp démocrate américain et les pays d’Europe occidentale, négligés par Nétanyahou au profit de « démocrates illibéraux » moins regardants en matière de droits humains.

« Nouveau départ »

En termes d’image, les premiers mois du gouvernement sont, de son point de vue, encourageants. Sa composition politique et culturelle hétérogène lui confère ainsi une sympathie de principe, en particulier dans les sphères pro-israéliennes rebutées par l’ultranationalisme de Nétanyahou. En Belgique, le Centre Communautaire Laic Juif (CCLJ) s’est notamment félicité de la création du « gouvernement le plus diversifié, le plus ouvert et le plus représentatif de l’histoire d’Israël », qui ferait selon lui mentir « les tenants d’un soi-disant (sic) “apartheid” juif ». Au niveau diplomatique, cet état de grâce s’est manifesté par l’invitation faite à Yaïr Lapid à participer au Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne du 12 juillet. Il y a réaffirmé son soutien personnel à une solution à deux États (bien que la jugeant impraticable actuellement), et exprimé la volonté de son gouvernement d’améliorer la situation humanitaire et économique des Palestiniens.

L’audience européenne fut conquise par cette perspective d’un « nouveau départ », au point d’envisager sérieusement la reprise des réunions du Conseil d’association UE-Israël (suspendues depuis 2012)2. Peut-on pour autant prendre ces engagements sur la question palestinienne pour argent comptant ? Bien que peu d’améliorations aient été constatées sur le terrain, certains signaux laissent entrevoir un changement de ton. Le 29 août, le ministre de la Défense Benny Gantz rencontrait ainsi Mahmoud Abbas afin de discuter de questions civiles et humanitaires, inaugurant la première réunion israélo-palestinienne à un niveau diplomatique aussi élevé depuis 2010. Israël a également autorisé de manière inédite la construction de 800 logements palestiniens en zone C et augmenté le nombre de permis de travail octroyés aux Palestiniens pour se rendre en Israël. Il a d’autre part été annoncé que le blocus de Gaza serait allégé, et Yaïr Lapid a proposé un plan de développement pour l’enclave côtière en échange du maintien du cessez-le-feu.

Cette posture tranche avec l’incitation à la haine permanente dont Nétanyahou avait fait sa marque de fabrique. Pour autant, elle ne dévie pas de la trajectoire tracée par les précédents gouvernements consistant à étouffer les prétentions politiques et nationales des Palestiniens, lesquels n’ont dès lors rien à attendre du nouvel exécutif.

Statu quo colonial

D’abord en raison de la composition même de cette coalition, née de la seule commune hostilité de ses membres à Nétanyahou. Tiraillée entre une aile annexionniste et une aile (minoritaire, mais mathématiquement indispensable) favorable au principe d’un retrait des colonies, sa politique palestinienne est en grande partie vouée à l’inertie. Qu’on ne s’y trompe pas : le statu quo ne signifie pas ici l’arrêt de l’accentuation de l’apartheid et de la colonisation, mais sa poursuite au rythme préexistant. De fait, la mécanique administrative de domination des Palestiniens est suffisamment rodée pour fonctionner en roue libre, comme l’ont illustré cet été la répression sanglante des mobilisations de Palestiniens et l’accélération des expulsions et destructions à Jérusalem-Est et dans la vallée du Jourdain.

Il ne faudra pas compter sur les partenaires de coalition les moins favorables à la perpétuation de ce processus pour l’entraver. De retour au pouvoir après deux décennies d’opposition, le Meretz (gauche sioniste) ne dilapidera pas son maigre capital politique sur une question aussi explosive sur laquelle il sait ses positions impopulaires, et entend préserver la stabilité du gouvernement en se cantonnant à ses champs de compétences. Le parti islamiste Ra’am, qui n’apporte qu’un soutien extérieur sans participation à l’attelage, a, quant à lui, fait de l’abandon de la cause nationale palestinienne au profit des seuls intérêts des citoyens palestiniens d’Israël sa raison d’être3.

Diviser pour régner

Ensuite parce que les mesures annoncées répondent avant tout à des considérations stratégiques bien comprises. En l’espèce, il s’agit de renforcer le pouvoir de l’Autorité palestinienne (AP) en Cisjordanie aux dépens de celui du Hamas à Gaza. Délégitimée par sa passivité lors de la crise d’avril et mai, par sa corruption endémique et par sa dérive autoritaire, l’AP semble en effet au bord de l’effondrement (lire « L’autorité palestinienne contre les Palestiniens » pages 24-27). Israël a dès lors tout intérêt à empêcher ce scénario catastrophe, qui signifierait la fin de sa coopération sécuritaire avec l’institution, synonyme d’une explosion des coûts de l’occupation. Si elles sont effectivement mises en place, les mesures consistant à améliorer le sort de la population visent donc avant tout à préserver ce maillon-clé dans la perpétuation du régime d’apartheid.

Il est encore trop tôt pour juger de la sincérité et de la praticabilité du plan de développement de Gaza, officiellement fondé sur le constat lucide selon lequel le blocus de Gaza n’a conduit qu’à un cycle de violence sans fin. On peut en revanche d’ores et déjà évaluer les implications performatives de ses dispositions politiques. Celles-ci prévoient en effet de permettre à l’AP d’y prendre le contrôle des affaires civiles et militaires en lieu et place du Hamas. En attisant ainsi les divisions intrapalestiniennes, Israël cherche à briser coûte que coûte le renouveau du sentiment d’unité nationale apparu à la faveur des soulèvements de mai qui avaient vu les Palestiniens d’Israël, de Gaza et de Cisjordanie manifester ensemble leur solidarité.

Pas question pour autant de laisser s’effondrer un ennemi aussi utile que le Hamas pour justifier l’absence de gestes en faveur de la paix. Les allègements du blocus, bien que tardifs et largement insuffisants au regard de la crise humanitaire qui y sévit et des dégâts causés par la dernière guerre (dont la réparation est toujours entravée par Israël), doivent précisément maintenir à flot le Hamas. Du reste, ce dernier se révèle indispensable pour imposer le respect des trêves entre groupes palestiniens et l’armée israélienne.

Chimérique « paix économique »

On assiste en réalité à la poursuite de la doctrine en la matière amorcée par Nétanyahou lors de son retour au pouvoir en 2009 : améliorer les conditions de vie et de l’économie des Palestiniens en échange de l’abandon de leurs revendications nationales. Cette « paix économique », par opposition à la « paix contre des territoires », consacre le refus israélien de toute concession territoriale et de rupture avec les fondements suprématistes de leur traitement de la question palestinienne, présentée comme un problème strictement domestique. Naftali Bennett a lui-même martelé que le dialogue technique ouvert avec l’AP n’équivalait en aucune manière à une relance du processus de paix.

L’inanité de cette conception a pourtant maintes fois été démontrée. Dissocier les volets politique et humanitaire de ce dossier n’a aucun sens tant ils sont imbriqués. De nombreuses études réalisées notamment par la CNUCED établissent que la fin de l’occupation entraînerait plus que le doublement du PIB du territoire palestinien, soit bien plus que toute augmentation de l’aide ou que le simple desserrement des contraintes dans le cadre actuel d’une économie captive. La défiance viscérale de la population palestinienne à l’égard du plan Trump, fondé lui aussi sur l’idée de paix économique, montre, si besoin en était, que celle-ci n’est pas près de brader ses droits nationaux.

L’UE a déjà su par le passé rivaliser d’ingéniosité pour contourner les obstacles éthiques et juridiques à l’approfondissement de ses partenariats avec Israël. Elle en offre une nouvelle manifestation en accréditant la communication du gouvernement Lapid-Bennett consistant à travestir en changement d’approche ce qui ne sera, au mieux, qu’un ravalement de façade pour le statut des Palestiniens. Un parti pris particulièrement cynique alors que se consolide de façon de plus en plus irrémédiable le régime d’apartheid israélien et que progresse la reconnaissance internationale de sa réalité.

1 Désigne en hébreu l’arsenal de moyens et de techniques déployé par Israël pour « expliquer »et donc justifier ses comportements réprouvés sur la scène internationale, autrement dit la propagande.

2 “Vers une reprise des réunions du conseil d’association UE-Israël ?”, Communiqué de l’Association belgo-palestinienne, 14 juillet 2021

3 Gregory Mauzé, “Palestiniens d’Israël. Un coup porté au mythe de la « coexistence »”, Orient XXI, 29 juillet 2021

Photo : Maison éventrée à Gaza. Quatre mois après la “guerre des 11 jours”, Israël entrave toujours la reconstruction de Gaza. Crédit : Mohammed Zaanoun

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