En Israel, un bon Arabe est un Arabe invisible

“En Israël, un bon Arabe est un Arabe invisible» … et un bon Africain est blanc”                         

Bulletin 64, Juin 2015

 La démocratie israélienne raciste ?

Les élections israéliennes ont donné lieu à un florilège de déclarations racistes ou à la limite du racisme. Il y a eu Netanyahou qui a appelé à aller voter car « Le gouvernement de droite est en danger. Les Arabes (des citoyens israéliens !) arrivent en masse aux urnes ». Puis on a entendu Lieberman, dont on connaît déjà la délicatesse, déclarer très simplement qu’il fallait décapiter à la hache ceux qui ne sont pas loyaux envers Israël, soit les Arabes. Puis encore Naftali Bennett, ministre de l’Education et des Affaires liées à la Diaspora dans le nouveau gouvernement, l’homme qui n’a aucun problème à tuer des Palestiniens, et qui sous-entend clairement que les citoyens arabes sont des voleurs de voitures. Quant au président du parti travailliste, Isaac Herzog, accusé par ses opposants de n’être pas un leader assez fort, son parti l’a défendu en diffusant une vidéo où ses camarades d’armée expliquent qu’il comprend la mentalité des Arabes et qu’il les a vus dans toutes sortes de situations, y compris à travers le viseur de son fusil… Que dire alors de Ayelet Shaked qui appelait notamment à tuer les mères des « terroristes » et actuelle ministre de la Justice…

 Comment le racisme se pare des plumes du paon

2015. Lucy Aharish, une Palestinienne d’Israël, présentatrice vedette de l’édition anglophone de la chaîne d’infos i24news, a eu  l’honneur d’être choisie pour allumer un des flambeaux sur le Mont Herzel, au Jour de l’Indépendance. Présentée officiellement comme l’exemple des Arabes israéliens qui « promeuvent le pluralisme social et la coexistence », elle est, comme le dit Gideon Levy, une bonne Arabe (Gideon Levy, In Israel, a good Arab is an invisible Arab, Haaretz, 12/05/2015). Elle n’a pas l’air arabe, elle ne s’habille pas comme une Arabe et elle n’a pas l’accent arabe.

Elle est si bien intégrée qu’à l’égal du dernier des nationalistes juifs, elle décrie Haneen Zoabi (députée Balad qui défend avec force les Palestiniens d’Israël) et va jusqu‘à se prononcer pour l’exclusion de celle-ci des élections à la Knesset. La même bonne Arabe avait, en pleine agression contre Gaza, fait une sortie contre le Hamas en demandant  « Pourquoi les habitants de Gaza ne se révoltent-ils pas contre le Hamas, qui les a placés dans une situation aussi inextricable ? »

Sa position est claire : « Nous avons d’autres choses à faire que combattre l’occupation et la discrimination (…) » (Nathalie Hamou, Lucy Aharish, l’Arabe israélienne qui défraye la chronique, CCLJ, 21/04/2015).

Le choix de cette Palestinienne israélienne pour une cérémonie qui signifie pour les Palestiniens la Nakba démontre ce qu’Israël considère comme un Arabe acceptable : « Le deal est évident. Si vous vous comportez comme un Juif, parlez comme eux, vous serez considéré comme de bons Arabes et peut-être même comme des Israéliens ». (Gideon Levy)

Comment le racisme perd ses plumes

17 août 2014. Morel Malka et Mahmoud Mansour. Il est Palestinien israélien de Jaffa, ville « mixte » ; elle est juive et s’est convertie à l’islam. Ils publient sur Facebook leur faire-part de mariage et aussitôt la machine raciste s’emballe. Lehava, groupe d’extrême-droite qui milite contre “l’assimilation des juifs et les mariages mixtes”, appelle à une manifestation. Rien que de normal pour un tel groupe. Ce qui l’est moins, c’est qu’alors que le futur marié demande l’interdiction de cette manifestation, le juge l’autorise à condition que les manifestants se tiennent à 200 m de la salle de mariage. Les mariés sont alors obligés de recruter des gardes du corps pour fouiller les invités et vérifier les listes tandis qu’une centaine de policiers tentent d’éviter les bagarres. Quant aux invités, ils ont dû se frayer un passage sous les cris de « Mort aux Arabes » et « Arabes, faites gaffe, ma sœur n’est pas un bien public. » et autres slogans racistes, y compris contre Haneen Zoabi et Ahmed Tibi (deux députés arabes à la Knesset). Le père de la mariée n’est pas venu puisque sa fille épousait un Arabe.

En permettant cette manifestation, la cour a donné une tribune à une organisation raciste et même si le président Reuvlin a félicité le couple, il n’a pas appelé à interdire Lehava ou à modifier les lois discriminatoires envers les Palestiniens israéliens. Il semble bien, comme le dit Mairav Zonszein, que ce genre d’organisation serve Israël dans sa volonté de préserver la souveraineté juive contre la « menace palestinienne » (Fighting for Israeli democracy atop a wedding cake, 27 août 2014) Pour Zvi Barel, le slogan «Arabes, faites gaffe, ma sœur n’est pas un bien public » résume parfaitement « les valeurs d’un État juif antidémocratique, chauvin, ultranationaliste et raciste». Ce n’est pas le musulman qui est visé mais bien l’Arabe, ennemi national. (Arabs watch out (for Israeli racism), Haaretz, 20/08/2014)

A signaler tout de même qu’une dizaine de contre-manifestants juifs étaient présents avec des fleurs et que le groupe Lehava les a copieusement vilipendés.

Comment le racisme n’a plus de plumes

L’Arabe n’est pas juif. Le Falasha (Juif éthiopien), lui, l’est. Est-il sauvé du racisme pour autant ? En réalité, il a une tare : il n’est pas un juif comme les autres, il est noir. C’est ainsi qu’une députée juive d’origine éthiopienne qui voulait participer à une collecte de sang à la Knesset en 2013 s’est vu répondre que « selon les directives du ministère de la Santé, il n’est pas possible d’accepter le sang spécial d’origine juive éthiopienne ». Rien d’étonnant puisque déjà en 1996, les dons de sang de cette communauté avaient été purement et simplement jetés à la poubelle. Le prétexte : risque de SIDA. Netanyahou s’en est ému et a déclaré vouloir revoir les directives… Rien n’a changé jusqu’à présent.

Toujours en 2013, le gouvernement israélien reconnaît avoir procédé à des injections de Depo-Provera (un contraceptif), à leur insu, à des femmes d’origine éthiopienne et parfois de force. Pour Hedva Eyal, membre de l’organisation féministe « Woman to Woman », il est clair qu’il s’agit de réduire la population noire. Lors de sa recherche, interrogeant les officiels sur le nombre anormalement élevé de femmes falasha utilisant le Depo-Provera – par ailleurs dangereux pour la santé -, les quelques réponses d’officiels manifestent un racisme patent. On lui a suggéré que les femmes éthiopiennes devaient être traitées non de manière individuelle mais « comme un groupe dont la reproduction nécessitait un contrôle ». (Jonathan Cook, Israel’s treatment of Ethiopians « racist », sur son site http://www.jonathan-cook.net )

Sait-on, par ailleurs, que les nouveaux immigrants ne sont pas considérés comme juifs et ne bénéficient pas de la loi du retour ? Ils n’obtiennent la citoyenneté israélienne qu’après avoir été placés dans des centres d’absorption où on les fait passer par un processus de conversion au judaïsme orthodoxe et où, le plus souvent, on a changé leur nom pour les judaïser.

Mais le racisme anti-noir n’est pas qu’institutionnel. Bien que citoyens d’Israël, bien que juifs, les Falashas (2% de la population israélienne, 135 000 personnes) sont en butte aux discriminations  à tous les niveaux : deux fois plus nombreux en chômage, quatre fois plus nombreux en prison. Des villes et des propriétaires refusent de les loger, des écoles refusent leurs enfants, la police les harcèle et l’armée ne les traite pas mieux. Plus d’un tiers des familles (38,5%) vivent sous le seuil de pauvreté, contre 14,3% dans l’ensemble de la population juive, et la plupart d’entre eux habitent des ghettos, des quartiers à l’allure de bidonville.

Rien d’étonnant dès lors que, suite à la publication d’une vidéo montrant un soldat falasha agressé, battu et emprisonné par des policiers, la communauté falasha se soit mobilisée en mai et ait manifesté en masse à Jérusalem et Tel Aviv. Des manifestations réprimées avec une brutalité inhabituelle vis-à-vis de Juifs. Un manifestant brandissait une pancarte explicite : “En Europe, on tue des juifs parce qu’ils sont juifs et en Israël on tue des juifs parce qu’ils sont noirs“. Le racisme est une manière de tuer en effet.

Marianne Blume

 

 

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