Bulletin N°67
Par Nathalie Jane d’Othée
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne fait pas bon vivre en Israël pour ceux qui osent critiquer la politique gouvernementale. Rassemblant la droite extrême et l’extrême droite israéliennes, le gouvernement Netanyahou IV ne laissait rien présager de bon. Et les mauvais augures se confirment : lois liberticides, climat général d’impunité pour les actes racistes, attaques contre les organisations de droits de l’Homme israéliennes, abandon total du processus de paix, relance de plus belle de la colonisation, répression violente du soulèvement palestinien,… Pour les Palestiniens, rien de neuf sous le soleil. Mais à l’ouest de la Ligne verte, le déni de démocratie et la violation des droits humains prennent une ampleur inédite.
En 2011, la Knesset avait approuvé une loi anti-boycott interdisant à toute personne ou organisation d’appeler au boycott d’Israël sous peine de poursuites civiles pour dommages et intérêts, voire de retrait de subsides ou de suppression de l’exemption de taxes publiques. Cette loi avait été largement critiquée par la communauté internationale ainsi que par les organisations de droits humains israéliennes. Même s’ils n’affichent pas tous ouvertement leur soutien au mouvement BDS, certains de nos partenaires israéliens se sont ainsi retrouvés ostracisés par la société israélienne. Ces organisations ont pour particularité, étant très peu soutenues par la population israélienne, qu’elles dépendent pour la plupart de financements étrangers. Le gouvernement israélien considère le financement de ces organisations, pourtant créées et gérées par des Israéliens, comme de l’ingérence étrangère. Mais pour les Israéliens néanmoins, les libertés d’expression et d’information restent toujours respectées.
ONG « de gauche » dans le collimateur du gouvernement
Le gouvernement israélien a durci les mesures contre les organisations de droits humains ou plus généralement dites « de gauche ». La Knesset a récemment approuvé un projet de loi proposé par la ministre de la Justice, Ayelet Shaked. Issue du parti ultranationaliste Le Foyer Juif (Habayit Hayehudi en hébreu), celle-ci avait annoncé la mesure dès son entrée en fonction (cf. Palestine n°64). Si la loi passe, elle contraindra les organisations recevant plus de 50% de leur financement de l’étranger à rendre publiques toutes leurs sources de financement. Les représentants de ces organisations devront également porter un badge spécifique lors de leurs interpellations à la Knesset ou d’autres institutions du pouvoir !.
Ayelet Shaked donne pour exemples les organisations comme Adalah, B’tselem et Breaking the silence qui ont apporté des éléments de preuves lors de l’enquête diligentée par les Nations Unies à la suite de l’attaque israélienne contre Gaza durant l’été 2014 (Voir « Israël : taxé de traître, car il dénonce l’absurdité de l’occupation des Territoires palestiniens » sur LeVif.be, 7/12016). Selon elle, ces organisations « érodent la légitimité d’Israël d’exister comme un Etat Juif et démocratique” (« Israeli NGOs feel the heat from Netanyahu’s new government » sur Reuters.com, 10/6/2015). Or si les Nations Unies récoltent des éléments de preuves auprès de ces organisations, c’est parce qu’Israël refuse systématiquement aux enquêteurs mandatés l’entrée sur son territoire ou celui de la bande de Gaza.
L’acharnement contre l’organisation d’anciens soldats Breaking the silence est également assez nouveau. Jusqu’ici, cette organisation bénéficiait d’un certain crédit de par le fait qu’elle ne prend pas d’autre position politique que la dénonciation de l’occupation israélienne des Territoires palestiniens. Ses membres ne sont pas non plus des refuzniks (soldats israéliens refusant de servir dans les Territoires palestiniens) mais des Israéliens ayant accompli leur service militaire et voulant en dénoncer les abus. Or même la critique de Breaking the silence ne passe plus en Israël. L’organisation s’est ainsi vue interdite d’accès dans les écoles et à l’armée, ce qui restreint drastiquement son travail de sensibilisation.
Le gouvernement est partie liée avec les organisations ultra-nationalistes
Ces derniers temps, le climat tourne de plus en plus à la chasse aux sorcières contre tous ceux qui délégitiment Israël ou son gouvernement. Et les attaques contre ces organisations ne proviennent pas seulement du monde politique.
En décembre, l’organisation sioniste d’extrême-droite Im Tirtzu a diffusé un clip dénonçant ces organisations « implantées » dans la société israélienne au profit d’intérêts étrangers. La vidéo visait à renforcer le soutien au projet de loi de Shaked à la Knesset. Outre sa mise en scène violente, cette vidéo est odieuse parce qu’elle identifie nommément et avec photos à l’appui quatre personnes, une par organisation visée: Yishaï Menuhin du Comité public contre la torture, Avner Gvaryahu de Breaking The Silence, Hagaï Elad de B’Tselem et Sigi Ben Ari de Hamoked, le Centre pour la défense des droits de l’individu. Chacune de ces personnes est reliée à une puissance étrangère, que ce soient les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède ou encore l’Union européenne. Im Tirtzu les accuse de défendre les intérêts des terroristes et d’être des agents de l’étranger. La vidéo renvoie également à une proposition de loi d’un député du Likoud qui viserait à renforcer le projet de loi d’Ayelet Shaked en imposant une amende de 100 000 shekels (24 000 euros) à toute organisation qui enfreindrait le texte de la loi (« Israël : ces “nouveaux traîtres” à la tête des ONG de gauche » sur LePoint.fr, 20/12/2016).
Chasse aux sorcières
Sale temps donc pour les défenseurs des droits humains en Israël. C’est une véritable chasse aux sorcières qui commence à se dessiner, comme est venu le confirmer une émission de télévision très regardée sur la chaine israélienne Channel 2. On y suit un groupe d’extrême droite nommé Ad Kan qui infiltre l’organisation pacifiste israélienne Ta’ayush. Leur but est de capter des faits ou des paroles qui peuvent jeter l’opprobre sur cette organisation de gauche… et ils semblent y parvenir. La vidéo montre en effet Ezra Nawi, une figure très connue du mouvement s’adonner à un double jeu, attirant des Palestiniens qui veulent vendre leur terre aux colons et les dénonçant ensuite auprès des autorités palestiniennes, lesquelles, suivant la vidéo, n’allaient pas manquer de les torturer et les exécuter.
La nouvelle a agité la presse et la classe politique israélienne. Benjamin Netanyahou s’est montré soudainement très soucieux du sort de Palestiniens et de la torture qu’ils pourraient subir dans les geôles de l’Autorité palestinienne. Une attitude on ne peut plus hypocrite quand on sait que la plupart des Palestiniens emprisonnés dans les prisons israéliennes y subissent la torture. De plus, les responsables politiques israéliens ont eu tôt fait de récupérer l’histoire pour chercher les liens avec le mouvement BDS ou d’autres organisations « de gauche » comme B’tselem. Sans détenir la moindre preuve de tels liens, Naftali Bennett s’est en effet empressé d’appeler l’ambassadeur anglais à Tel Aviv pour l’inciter à mettre un terme à leur soutien à B’tselem (« Human rights groups smeared over actions of one man » sur 972mag.com, 8/1/2016). L’histoire a en tous cas tous les aspects d’un piège tendu au militant israélien.
Ezra Nawi ainsi qu’un Palestinien travaillant sur le terrain pour B’tselem ont été arrêtés dans les jours qui ont suivi l’émission. La presse n’en a pas parlé au moment même à cause d’une ordonnance de non-publication imposée à l’affaire. Ce n’est que quelques jours plus tard que l’information a fuité et que la mobilisation a commencé aux Etats-Unis et ailleurs pour dénoncer ces arrestations (« Israel arrests human rights campaigner Ezra Nawi and puts gag order on case as part of growing ‘witch hunt’ against activists » sur Mondoweiss, 20/1/2016). La chasse aux sorcières est lancée !
Des réactions internationales ?
La situation des droits humains se détériore donc sérieusement et cela, à l’intérieur des frontières d’Israël. Les rares Israéliens qui osent s’opposer à la politique d’occupation et de colonisation du gouvernement se retrouvent mis sous pression extrême. Celle-ci vient d’organisations nationalistes d’extrême droite agissant main dans la main avec le gouvernement.
La situation est à ce point préoccupante que la très sioniste Anti-Defamation League elle-même a critiqué les mesures anti-démocratiques prises par le gouvernement israélien (« American Jews’ Concern for Israeli Democracy Ends at ’67 Borders » sur Haaretz.com, 14/1/2016). Et pourtant, du côté de la communauté internationale, aucune réaction ne se fait publiquement entendre. On a même assisté à la démission du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés. Et pour cause : Israël ne l’a jamais laissé entrer sur son territoire ni sur la bande de Gaza… Jusqu’à quand va-t-on encore laisser faire Israël ? On peut en effet toujours attendre que cela empire encore. On ne sera jamais déçu.