L’Autorité palestinienne contre les Palestiniens

Après l’annulation des élections, la dérive autoritaire de l’Autorité palestinienne se poursuit. Une situation de moins en moins acceptée par la population, qui perçoit de plus en plus le pouvoir du Président Mahmoud Abbas comme un auxiliaire de l’occupant israélien.

Par Marianne Blume

Nizar Banat était charpentier et avait 5 enfants. C’était aussi un militant charismatique à Hébron. Il dénonçait avec force la corruption de l’Autorité palestinienne et s’attaquait nommément à Abbas ou à d’autres responsables. Il ne mâchait pas ses mots et ses vidéos parlaient à tous les Palestiniens. Il affirmait le droit des Palestiniens à résister. Alaa Tartir, analyste du think tank palestinien Al-Shabaka, dit de lui : « Il s’opposait à tous ceux qui entravaient le peuple et le projet palestiniens ».

Le 24 juin, une unité conjointe de la Sécurité préventive et des services du renseignement palestiniens vient en pleine nuit l’arrêter. Un cousin de Nizar, Ammar Banat, a été témoin de l’arrestation. « Il a dit à Amnesty International qu’un groupe d’environ 25 agents des forces de sécurité a fait exploser la porte d’entrée et a fait irruption dans la maison. Ils n’ont présenté aucun mandat et se sont immédiatement rendus dans la pièce où dormait Nizar Banat. Selon ce témoin, des membres des forces de sécurité se sont mis à le frapper à coups de matraque, y compris sur la tête, et lui ont pulvérisé du gaz poivre sur le visage. Ils lui ont alors ôté ses vêtements, à l’exception de ses sous-vêtements, et l’ont traîné dans l’un des véhicules des forces de sécurité qui se trouvait devant la maison, sans informer la famille du lieu où ils l’emmenaient. » Ils étaient là pour l’assassiner, pas pour l’arrêter ! Il avait une santé de fer. Les forces de sécurité sont responsables de sa mort. », a déclaré un autre cousin. Une heure après, le gouverneur annonçait qu’il avait été emmené à l’hôpital où il était mort.

L’autopsie montrera que la mort n’avait rien de naturelle : ecchymoses et écorchures au niveau de nombreuses zones du corps, dont la tête, côtes fracturées selon la Commission indépendante pour les droits humains de l’AP.

L’UE et les USA ont vaguement condamné et demandé une enquête indépendante. Ce 6 septembre, 14 membres des forces de sécurité palestiniennes ont été accusés par la justice palestinienne de « coups entraînant la mort, abus de pouvoir et violation des instructions sécuritaires ». Aucun officier ou politicien n’est inculpé même si certains médias palestiniens ont désigné le chef adjoint de la sécurité préventive de Hébron, Maher Abu Halawa, comme le responsable ultime de la mort de Banat.

La famille refuse les conclusions de l’enquête, la jugeant partiale. Elle a donc a saisi la justice britannique et sollicité l’ONU, sur la base de la compétence universelle, pour enquêter. Sa plainte met en cause sept hautes personnalités de l’Autorité palestinienne pour torture et crimes de guerre.

Le contexte

Les faits se produisent dans une atmosphère de révolte. Alors que des élections étaient enfin prévues, Mahmoud Abbas suspend le processus au motif fallacieux qu’elles sont impossibles à organiser à Jérusalem. L’espoir de changement est tué dans l’œuf et la population sait que c’est la peur du Fatah de perdre les élections qui a présidé à cette décision. Le mécontentement gronde d’autant plus que les événements de Sheikh Jarrah et les bombardements de Gaza avaient soudé les Palestiniens comme jamais auparavant. Nizar Banat, quant à lui, s’était porté candidat sur la liste électorale indépendante Liberté et Dignité, opposée à la coordination sécuritaire de l’AP avec Israël et à la corruption et défenseur de la résistance. Avec les membres de sa liste, il avait fait appel aux tribunaux de l’UE afin d’ordonner la cessation de l’aide financière à l’AP. Par ailleurs, dans une vidéo devenue virale, il avait accusé l’Autorité palestinienne de corruption, pour avoir accepté la livraison par Israël de vaccins Pfizer proches de la date de péremption en échange du transfert des doses destinées au Territoire palestinien prévues pour l’automne. Un accord qui avait été finalement annulé.

Les critiques de l’Autorité palestinienne montaient de partout et Nizar, à Hébron, était un catalyseur du mécontentement général : selon un sondage publié mi-juin à Ramallah, 84 % des Palestiniens estiment en effet que l’Autorité palestinienne est corrompue. Il n’en fallait pas plus pour qu’il soit particulièrement visé et éliminé. Faire un exemple pour faire taire les opposants.

La répression

Suite à la mort de Nizar, des manifestations ont été organisées à Ramallah et Hébron surtout mais aussi ailleurs en Palestine. L’Autorité palestinienne a alors décidé de les réprimer sans ménagement. Il est vrai que les slogans étaient très clairs : «Le peuple veut la chute du régime», « Va-t-en, va-t-en, Abbas». Outre la répression par les forces de sécurité (gaz lacrymogène, grenades assourdissantes, gaz poivre, coups), les manifestants étaient ciblés par des agents en civil souvent masqués qui n’ont pas hésité à tabasser hommes et femmes, journalistes et militants. Des membres du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme eux-mêmes, qui portaient des gilets de l’ONU, ont été harcelés par les forces de sécurité. Fait notoire, les attaques étaient principalement dirigées contre les journalistes, interdits de filmer, et contre les femmes. Les forces de police ont d’ailleurs pris les téléphones de tous ceux qui filmaient. Près de trente militant·e·s ont été arrêté·e·s, certain·e·s avant même les manifestations, la plupart « accusés de rassemblement illégal, incitation au conflit sectaire et diffamation des autorités » selon l’ONU, qui demande leur libération immédiate.

Rien de nouveau sous le soleil

Depuis longtemps, les autorités palestiniennes, en Cisjordanie comme à Gaza, pratiquent la répression des opposants : arrestations, tortures, harcèlement et répression des manifestations font partie de l’arsenal de maintien du pouvoir. Comme à Hébron quand Issa Amro a été arrêté pour un post sur Facebook dans lequel il critiquait l’arrestation d’un militant pour des raisons politiques et enjoignait l’Autorité palestinienne d’arrêter plutôt les personnes corrompues dans ses rangs. En fait, depuis 2017, avec la Loi sur la cybercriminalité,rédigée et adoptée sans avoir été approuvée par le Conseil législatif palestinien (CLP) et sans que la société civile ou le public n’aient été consultés, les journalistes et les militants critiques sont particulièrement ciblés. Amnesty international considère que « ce texte viole le droit international et va à l’encontre des obligations de l’État de Palestine de protéger les droits à la liberté d’expression et à la vie privée. » L’organisation ajoute que le manque de clarté du texte permet les abus.

Par ailleurs, le 12 juin 2017, le procureur général Ahmad Barak ordonnait aux fournisseurs palestiniens de services Internet en Cisjordanie de bloquer l’accès à un certain nombre de sites . Depuis, l’accès à 29 sites est bloqué en Cisjordanie. Il s’agit notamment de sites de partis politiques, comme le Hamas, de médias d’opposition et de médias indépendants qui critiquent le gouvernement et les autorités basées à Ramallah. Comme le dit à Amnesty International Muhannad Karajah, avocat de l’association Addameer qui assiste bon nombre de journalistes: « Il n’y a plus d’espace pour les libertés, l’Autorité palestinienne en Cisjordanie devient un État policier qui réduit les gens au silence. »

De cette dérive grave, l’UE et les autres bailleurs de fonds sont en partie responsables. Outre qu’ils protègent Israël et paient l’Autorité palestinienne pour que l’occupation reste supportable, ils ont réduit l’Autorité palestinienne à un instrument du maintien de la sécurité d’Israël. Et cette Autorité qui doit demander la permission d’Israël pour se déplacer, ne pensant qu’à son maintien au pouvoir, réprime quiconque la priverait de ses privilèges.

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