Par Gregory Mauzé
Le 21 mai 2024, Karim Khan, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI), a requis des
mandats d’arrêt pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés contre le Premier
ministre israélien, Benyamin Netanyahou, son ministre de la Défense Yoav Galant ainsi que des
dirigeants du Hamas. Quatre mois plus tard, ceux-ci n’ont toujours pas été émis, malgré la
solidité du dossier. La Cour avait pourtant mis moins de trois semaines pour répondre positive-
ment à la demande de mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine en mars 2023. La différence tient, entre autres, aux intenses moyens de pressions qu’Israël et ses relais sur la scène internationale ont déployés pour ralentir la procédure.
Depuis 2015, date de l’adhésion de la Palestine au Statut de Rome de la CPI, Tel Aviv a mené
une véritable guerre de l’ombre (espionnage, intimidations, voire menaces physiques…)
en vue d’assurer l’impunité de ses dirigeants3. Il a également pu compter sur les pressions
politiques exercées par son plus fidèle allié, les États-Unis, lesquelles n’ont pas cessé après
la requête du procureur, qualifiée de «honteuse» par le secrétaire d’État Anthony Blinken.
À cela s’ajoutent les procédures dilatoires. La première est venue du Royaume-Uni, qui a objecté que les Accords d’Oslo excluaient de délivrer des mandats contre des Israéliens, ce qui a ouvert la voie à d’autres interventions. L’Allemagne a ainsi invoqué le principe de «complémentarité», au nom duquel l’institution de La Haye doit se dessaisir d’une affaire si les inculpés peuvent être jugés par une juridiction nationale, ce qui supposerait qu’Israël enquête sur ses propres crimes contre l’humanité… Si les deux arguments seront invalidés le 23 août par le bureau du procureur, ils auront joué un certain temps leur fonction d’obstruction.
En réalité, nombre d’États parties au Statut de Rome redoutent l’obligation qui leur serait faite d’arrêter des dirigeants israéliens s’ils étaient présents sur leur sol. Épinglons à cet égard le trouble jeu de la France. Certes, son gouvernement a officiellement apporté son soutien à la CPI, comme l’ont fait l’Union européenne, par la voix du chef de sa diplomatie Josep Borrell et certains de ses États membres, parmi lesquels la Belgique. Selon Le Monde, le président Emmanuel Macron verrait toutefois d’un bon œil le retardement de la procédure. Il aurait refusé de répondre positivement à la demande de Netanyahou d’appuyer la démarche britannique non pas en raison d’un désaccord sur le fond, mais parce que «cela aurait pu conduire certains États à reconnaître la Palestine pour contourner l’obstacle d’Oslo.»
Le 9 septembre, devant l’«aggravation de la situation humanitaire», Karim Khan a exigé de la
Cour l’émission d’urgence des mandats d’arrêt, ce qu’il devrait en tout état de cause obtenir.
Il n’en demeure pas moins consternant que certains se soient livrés à de telles manœuvres,
lesquelles, outre qu’elles offrent du temps de génocide disponible à Netanyahou, décrédibilisent l’ensemble de la justice internationale.