Les enjeux du contrôle de la « route de Philadelphie »

L’obstination du gouvernement israélien à vouloir conserver le contrôle de cet étroit couloir séparant la bande de Gaza de l’Égypte a conduit à l’échec des dernières négociations pour parvenir à un cessez-le-feu.
par Marianne Blume

Cette route, qualifiée aussi de corridor, se trouve sur le territoire de la bande de Gaza. Elle longe les 14 km de frontière avec l’Égypte sur un profondeur de 100 m. Elle est le résultat des accords de paix entre l’Égypte et Israël en 1979 : l’Égypte récupérait le Sinaï et Israël s’installait à la frontière pour empêcher la circulation d’armes et de matériaux et contrôler strictement le mouvement des Palestiniens via le poste-frontière de Rafah. En 2005, quand Israël se désengage unilatéralement, par l’accord de Philadelphie, l’Égypte est autorisée à créer une force de 750 gardes-frontières et elle s’engage à lutter contre le trafic d’armes et le terrorisme à sa frontière, tout en échangeant en permanence des renseignements avec les Israéliens. L’Autorité palestinienne remplace Israël avec l’assistance de la Mission d’assistance au poste-frontière de Rafah de l’UE (l’EUBAM Rafah). En 2007, quand le Hamas prend le pouvoir, il prend le contrôle de la route Philadelphie et administre l’unique point de passage de Rafah.
Le 7 mai 2024, l’armée israélienne s’empare du poste-contrôle de Rafah et le 29 mai, un responsable de l’armée annonce la prise de contrôle du corridor Philadelphie. Rafah est fermé.

IMPORTANCE STRATÉGIQUE

1 : «Pour l’Égypte, le corridor est une ligne de protection avancée de son territoire», explique Henry Laurens1 : il sert à contrôler les mouvements de biens et de personnes entre la bande de Gaza et l’Égypte. De ce fait, il donne à l’Égypte un rôle important dans les pourparlers concernant Gaza. Officiellement, le gouvernement égyptien considère qu’Israël enfreint les annexes du traité
de paix Égypte/Israël et le président a déclaré que l’Égypte n’accepterait pas le retour d’Israël à sa frontière. Si Israël installe définitivement des troupes à sa frontière, l’Égypte se retrouve directement face à Israël; elle perd avec Rafah son pouvoir de médiation et sans doute quelques avantages économiques. Par ailleurs, elle craint qu’Israël ne favorise un afflux massif de Gazaouis sur le sol égyptien.

2 : Pour les Palestiniens, l’installation permanente de l’armée israélienne sur la route Philadelphie
signifie l’encerclement complet de la bande de Gaza par Israël, la fin définitive des tunnels qui
permettaient à la bande de Gaza de survivre au blocus complet imposé par Israël et enfin
des restrictions drastiques au mouvement des personnes.

3 : Pour Israël, l’occupation de la route Philadelphie et de Rafah a pour objectif de contrôler hermétiquement la frontière pour démolir tous les tunnels et mettre fin au transit d’armes et d’argent destinés d’après les autorités israéliennes– au Hamas.

LE CESSEZ-LE-FEU

Le Hamas stipule dans les conditions d’un cessez- le-feu le retrait complet des troupes israéliennes de Gaza et donc de la route Philadelphie. Pour Netanyahou, la zone frontière est «l’oxygène du Hamas. «L’axe du mal a besoin du corridor de Philadelphie et c’est pour cette même raison que nous devons contrôler le corridor de Philadelphie.» Son intransigeance sur le fait de garder le contrôle sur cette zone fait capoter toutes les négociations pour un cessez-le-feu, y compris quand le Hamas acceptait la proposition américaine. De son côté, Yoav Gallant, le ministre de la Défense, plaide pour un cessez-le-feu (pour le bien d’Israël, bien sûr) et affirme que le maintien de troupes sur l’axe Philadelphie n’est pas nécessaire. À la Knesset, Netanyahou est l’objet de critiques virulentes de certains parlementaires qui l’accusent d’empêcher tout accord afin d’assurer sa survie politique.

ET L’AVENIR ?

L’avenir est flou. L’Autorité palestinienne de Ramallah se dit prête à prendre la responsabilité du point de passage de Rafah. Si l’Égypte l’y encourage, Israël l’a d’emblée disqualifiée. Par ailleurs, les médias israéliens, dont le quotidien Haaretz, ont révélé en mai qu’Israël envisageait de transférer le contrôle de Rafah à une société de sécurité privée américaine. Cette perspective a été catégoriquement rejetée par le Comité des Forces nationales et islamiques en Palestine2.

Enfin, Omar Shaban, directeur du centre de recherches palestinien PalThink for Strategic Studies, penche pour une implication européenne avec le retour de l’EUBAM Rafah. Du point de vue palestinien, le pire des scénarios serait qu’Israël réoccupe la bande de Gaza, y ré-installe des colonies, se maintienne sur la route Philadelphie et administre le point de contrôle de Rafah. Un dénouement loin d’être improbable.

1/ Libération, 30 mai 2024
2/ Coalition de 14 mouvements palestiniens, membres ou non de l’OLP, formée peu de temps après le déclenchement de la
deuxième Intifada. Elle analyse la situation en Palestine et réagi par voie de communiqués aux événements, appelant aussi à des mouvements de grève contre l’occupation.

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