Fin mai, la Banque mondiale tirait la sonnette d’alarme. Si toute l’économie palestinienne souffre de l’intensification de la violence de l’occupation israélienne, et particulièrement à Gaza en proie à l’attaque génocidaire menée par Israël depuis onze mois, les représailles du gouvernement israélien visent expressément à tarir les sources de financement de l’Autorité palestinienne, menaçant cette dernière d’un effondrement budgétaire. L’Union européenne tente de pallier cette banqueroute mais, comme à son habitude, refuse de sanctionner Israël.
par Nathalie Janne d’Othée
Dans un rapport publié le 23 mai dernier, la Banque mondiale analyse les effets de la guerre à Gaza et de ses corollaires sur l’économie palestinienne. La situation économique avant le 7 octobre était déjà mauvaise, en particulier à Gaza où le taux de pauvreté était de 63,7%, contre 11,7% en Cisjordanie. Mais le génocide en cours (NDLR: le terme est utilisé par la rédaction, non par la Banque mondiale) a drastiquement détérioré la situation des Palestiniens de Gaza. «Le conflit a provoqué une perturbation généralisée des services essentiels, entraînant une situation humanitaire grave. Le rapport fait état d’impacts significatifs sur les secteurs des infrastructures, de la santé et de l’éducation, avec plus de 83% des installations sanitaires et 78% des établissements d’enseignement endommagés ou détruits.»
Ce sont 200000 emplois qui ont par ailleurs été perdus à Gaza. En conséquence, «presque tous
les habitants de Gaza sont actuellement en état de pauvreté», souligne la Banque mondiale.
Si Gaza paye le prix fort, la Cisjordanie n’est pas en reste avec 144000 emplois perdus, en plus des
148 000 Palestiniens de Cisjordanie qui, privés de permis de travail en Israël, se retrouvent également
sans emploi. Le taux de chômage en Cisjordanie est ainsi passé de 12,9% avant le début de la
guerre à 32% au quatrième trimestre 2023.
L’AUTORITÉ PALESTINIENNE À 100% DÉPENDANTE
Mais la perspective qui inquiète le plus la Banque mondiale, c’est le possible effondrement budgétaire de l’Autorité palestinienne. Cette dernière a en effet terminé l’année 2023 avec un déficit de 682 millions de dollars et ce déficit devrait doubler au cours des prochains mois, pour atteindre 1,2 milliard de dollars. Les raisons en sont à trouver dans la contraction de l’économie palestinienne, la réduction de l’aide internationale mais aussi et surtout dans les représailles économiques d’Israël contre l’Autorité. Dans le territoire palestinien occupé, la monnaie principale est le shekel israélien et Israël est le principal marché d’import (57% des importations) et d’export (90% des exportations). L’économie palestinienne est totalement dépendante d’Israël. Et l’Autorité palestinienne l’est tout autant puisqu’elle dépend pour deux tiers de son budget des rétrocessions de la TVA et des droits de douane prélevés pour son compte par Israël. Ce système a été mis en place en 1994 par le Protocole de Paris, l’accord économique attenant
aux Accords d’Oslo, destiné à régir les relations économiques entre Israéliens et Palestiniens.
Cette dépendance de l’Autorité palestinienne est exploitée par Israël qui retient régulièrement les
taxes, en représailles de décisions ou d’actes de l’AP qui lui déplaisent. Déjà, de décembre 2000
à décembre 2002, lors de la deuxième Intifada, Israël a utilisé cette arme économique pour
mettre la pression sur l’Autorité. Israël retient par ailleurs de ces taxes les montants équivalents
aux coûts des soins prodigués aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza par le système de santé israélien. Depuis le vote d’une loi controversée en 2018, Israël déduit aussi l’équivalent des allocations mensuelles que l’Autorité palestinienne verse aux prisonniers palestiniens, à leurs familles et aux familles des Palestiniens tués par les forces d’occupation israéliennes. L’instrumentalisation de ces fonds est contraire au Protocole de Paris et est régulièrement dénoncée au niveau international.
UN SUPRÉMACISTE AUX FINANCES
Depuis fin 2022, la situation empire. Des suprémacistes juifs sont alors entrés au gouvernement grâce à Netanyahou. L’un d’eux, Bezalel Smotrich, le leader du parti sioniste religieux, se voit confier le portefeuille des Finances ainsi que la gestion des Affaires civiles en Cisjordanie. Smotrich, dont
l’objectif principal est de renforcer la présence juive dans le territoire palestinien, a tout intérêt à
affaiblir l’Autorité palestinienne. C’est donc tout naturellement qu’il décide de retenir les montants
dûs des taxes palestiniennes en représailles à la demande d’un nouvel avis de la Cour internationale
de justice par l’État de Palestine, présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies fin 2022.
Après l’attaque sanglante du 7 octobre, le ministre des Finances décide de suspendre tous
les transferts à l’Autorité palestinienne. Le Premier ministre Netanyahou négocie pour qu’il
limite la suspension aux seuls transferts destinés aux salaires des fonctionnaires de Gaza. En effet,
même si l’Autorité palestinienne, évincée par le Hamas, a été chassée en 2007 de la bande de
Gaza, de nombreux fonctionnaires de l’Autorité ont gardé leur emploi à Gaza et continuent d’être
payés par elle. Or, en retenant les salaires de ces fonctionnaires, c’est le Hamas qui sort gagnant.
Grâce à des pressions américaines, les retenues post 7-octobre sont levées.
Mais Smotrich n’a pas dit son dernier mot. Après la reconnaissance de l’État de Palestine par
l’Irlande, l’Espagne et la Norvège fin mai 2024, il décide à nouveau de suspendre les transferts de
fonds à l’Autorité. Des pressions sont exercées par les partenaires internationaux, d’autant plus que
dépend également de lui une décision destinée à garantir la stabilité bancaire palestinienne (voir
encadré). Smotrich finit par céder en annonçant qu’en échange de cette concession, Israël légalise cinq avant-postes de colonies (en droit national, puisque ces colonies restent illégales au regard du droit international). Face à ces retenues à répétition, les seules solutions à disposition de l’Autorité palestinienne pour combler son déficit budgétaire sont l’emprunt à des banques nationales, l’accumulation d’arriérés de paiements aux fonctionnaires, aux fournisseurs privés et aux fonds de pension… et l’augmentation du recours à l’aide internationale.
L’AIDE INTERNATIONALE POUR COMPENSER
L’aide internationale doit-elle compenser cette politique abusive d’Israël? Est-ce au contribuable
européen de payer cela? C’est en tous cas ce que semble penser l’UE puisqu’elle a versé 43 millions
d’euros à l’Autorité palestinienne en août 2024. Même s’il reste malheureusement nécessaire, le
renflouement de l’Autorité palestinienne, sans que des sanctions soient prises contre lsraël, équivaut à un blanc-seing européen à celui-ci pour sa politique d’étranglement économique de la Palestine. Lors du Conseil informel des Affaires étrangères du 29 août, des sanctions contre Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, son collègue ministre de la Sécurité nationale, ont été proposées à la discussion par le Haut représentant de l’Union européenne, Josep Borrell. Plus que ses décisions de retenues des taxes palestiniennes, ce sont les incessantes incitations à la haine et la violence du ministre des Finances qui ont amené Borrell à faire cette proposition. Début août, Smotrich a en effet déclaré qu’il considérait comme «justifié et moral» d’affamer deux millions de personnes à Gaza jusqu’à ce que mort s’ensuive afin de faire
libérer les derniers otages israéliens. Mais des sanctions contre le seul ministre des Finances ne sauraient remplacer des sanctions contre Israël. Smotrich et Ben Gvir ne font qu’exacerber des politiques déjà menées par Israël depuis les Accords d’Oslo et qui s’inscrivent dans une politique d’apartheid et d’annexion du territoire palestinien, reconnue comme telle par l’avis rendu le 19 juillet dernier par la Cour
internationale de justice (lire article pages 24-27).
DES BANQUES PALESTINIENNES EGALEMENT DEPENDANTES
Bezalel Smotrich tient aussi le sort des banques palestiniennes entre ses mains. Fin juin 2024, le ministre des Finances israélien a en effet menacé d’effondrement le système bancaire palestinien. Comme l’explique l’International Crisis Group, depuis 2016, deux banques israéliennes, la Israel Discount Bank et la Bank Hapoalim, bénéficient d’une exemption annuelle leur garantissant de ne pas tomber sous le coup
de la loi israélienne contre le financement du terrorisme pour leurs relations avec les banques palestiniennes. Ces deux banques servent ainsi de chambres de compensation pour les transactions palestiniennes avec le marché mondial. Cette exemption facilite le paiement des services et des salaires liés à l’Autorité palestinienne et l’importation de produits de base dans le territoire palestinien occupé. En outre, c’est le seul mécanisme par lequel les recettes fiscales collectées par Israël pour le compte de l’Autorité palestinienne peuvent être transférées dans les coffres de l’Autorité. C’est également le seul moyen pour les banques palestiniennes de convertir des shekels en d’autres devises par l’intermédiaire
de la Banque d’Israël.
En mars 2024, Smotrich avait décidé du non-renouvellement de cette immunité, valable jusqu’au 1er juillet. À l’approche de la date butoir, les pressions américaines pour débloquer la situation ont augmenté.
In extremis, Smotrich a finalement accepté de renouveler l’immunité des banques israéliennes
pour quatre mois supplémentaires.
La suite au prochain épisode.