L’agriculture sous l’apartheid

Alors que le boycott des produits israéliens continue à gagner du terrain dans les Territoires Palestiniens Occupés et dans le monde, les fermiers palestiniens se retirent de l’économie israélienne et gagnent en autonomie grâce à une agriculture gérée en communauté.

cisjordanieChaque samedi, Ziad Radwan visite d’autres agriculteurs dans le district de Qalqilya dans le nord de la Cisjordanie pour recueillir la récolte de la semaine: tomates, concombres, poivrons, courgettes et plus, selon la saison.

Radwan est parmi les 11 agriculteurs de la région de Qalqilya qui participent au projet Sharaka Community Supported Agriculture, qui encourage les consommateurs palestiniens à acheter des produits agricoles directement auprès des agriculteurs palestiniens.

« Avec Sharaka vous parlez d’une activité directe: prendre à la terre pour donner au consommateur », dit Radwan, qui s’assure que les commandes hebdomadaires sont remplies et livrées à temps aux consommateurs à Ramallah.

Des initiatives comme Sharaka contribuent à insuffler une nouvelle vie dans l’agriculture palestinienne, qui a dû relever des défis écrasants ces dernières années. Le plus important est la barrière de séparation, qu’Israël a commencé à construire en 2002. Maintenant en voie d’achèvement, le Mur de l’Apartheid, comme on l’appelle par la plupart des Palestiniens, est prévu pour s’étirer sur un total de 760 kilomètres et annexant environ 46 pour cent de la Cisjordanie.

En plus d’isoler les communautés et de séparer les résidents d’importantes ressources et services, le Mur de l’Apartheid a coupé d’innombrables agriculteurs de ce qui représente, pour beaucoup, leur seul moyen de subsistance et de survie.

Comme explique Rashad Abdel Rahman, un agriculteur de 70 ans du village de Isla: «Les oliviers sont ma vie. Depuis mon enfance, j’ai pris soin de ces arbres comme mon père me l’a appris ».

Abdel Rahman est le chef du conseil du village de Isla, situé près de Qalqilya, dans le nord de la Cisjordanie occupée. Soixante-dix pourcent des terres du village (environ 3000 dunums, ou trois kilomètres carrés) ont été annexés par le Mur de l’Apartheid. Abdel Rahman a lui-même perdu 50 oliviers et l’accès à la quasi-totalité de ses terres.

Dans le passé, Abdel Rahman était en mesure de récolter 1.000 kilos d’olives par an. Aujourd’hui, son rendement est à peine un dixième de ce montant.

« Avant, il me fallait que cinq minutes pour me rendre à ma terre. Je pouvais rester là toute la nuit et revenir quand je le choisissais. Mais aujourd’hui, c’est interdit », explique Abdel Rahman, ajoutant que les mauvaises herbes et les autres questions liées aux restrictions d’accès ont considérablement réduit les récoltes.

Les agriculteurs comme Abdel Rahman doivent désormais obtenir la permission des autorités israéliennes afin d’accéder à leurs terres de l’autre côté du mur. La seule porte par laquelle ils sont autorisés à passer est ouverte seulement trois fois par jour: à 5h30, 10h30 et 15h30. En outre, même cet accès restreint est susceptible d’être arbitrairement révoqué. Bien qu’Abdel Rahman ait été en mesure de passer par la porte pendant six mois, il s’est vu refuser l’accès à ses terres ces trois derniers mois.

En Juillet 2004, la Cour internationale de Justice (CIJ) a statué que le Mur était contraire au droit international, et qu’Israël devait immédiatement cesser sa construction, démanteler la structure existante et offrir des réparations pour les dommages causés.

La CIJ a exhorté l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies à mettre en place des mesures supplémentaires pour faire appliquer sa décision. Malgré cela, la construction du mur se poursuit encore aujourd’hui sans contrôle et sans véritable opposition de la part de la communauté internationale.

Une autonomie grandissante

Ziad Radwan vit à Azzoun, un village de 10.000 habitants – 6.000 d’entre eux sont des agriculteurs – dans la région de Qalqilya. Comme dans Isla, la plupart des agriculteurs d’Azzoun ont été coupés de leurs terres par le Mur de l’Apartheid.

« Trente dunums ont été pris de la terre de ma mère », déclare Radwan, expliquant que, même s’il a conservé l’accès à l’ensemble des six hectares de terres qu’il possède personnellement, l’occupation israélienne a rendu de plus en plus difficile le fait de gagner sa vie comme agriculteur.

« C’est une situation catastrophique », explique le père à 46 ans de huit enfants. Face à ces difficultés et défis écrasants, des initiatives comme Sharaka sont de plus en plus vital pour garantir que les fermiers palestiniens soient en mesure de continuer à gagner leur vie.

Chaque samedi, les membres de la coopérative Sharaka se rendre à Ramallah pour prendre une boîte de produits cultivés par un fermier palestinien plus tôt dans la semaine. À ce jour, les fruits et légumes viennent de la région de Qalqilya, tandis que les produits laitiers viennent de Naplouse.

« Les agriculteurs dépendent à 100 pourcent d’eux-mêmes. Ils n’ont aucune forme d’assistance. Toute la famille doit prendre part à l’agriculture », dit Radwan.

Boycott, Désinvestissement et Sanctions

En plus de promouvoir l’agriculture palestinienne, Sharaka est né de la campagne de boycott des produits israéliens dans le cadre du mouvement mondial de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS).

Le mouvement BDS a été lancé en Juillet 2005 par des organisations palestiniennes de la société civile faisant appel à la communauté internationale pour faire pression sur Israël afin qu’il respecte ses obligations en vertu du droit international.

« La destruction systématique par Israël de l’agriculture et de l’industrie palestiniennes, la confiscation des ressources en eau, et l’accaparement des terres en cours dû à la construction des colonies et du Mur de l’Apartheid ont transformé l’économie palestinienne en une économie de captivité dans laquelle il n’y a pas d’alternative aux nombreux produits israéliens », dit Hind Awwad, coordinatrice du Comité palestinien BDS nationale (BNC). Selon Awwad, tandis que le boycott universitaire et culturel des institutions israéliennes est présent au sein de la société civile palestinienne, à quelques exceptions près, un boycott global des produits israéliens est plus difficile. La politique coloniale d’Israël n’a pas seulement détruit l’agriculture et l’industrie palestiniennes, mais a également rendu impossible pour les Palestiniens de commercialiser leurs produits.

« Les produits frais palestinien doivent attendre des heures aux checkpoints et aux barrages routiers, alors que les produits israéliens pénètrent librement et sans contrôle dans des camions réfrigérés. Ces facteurs contribuent à rendre les produits israéliens plus compétitifs que leurs équivalents palestiniens »,  dit Awwad.

Selon Shir Hever, un économiste israélien de l’Alternative Information Center à Jérusalem, tandis que le mouvement BDS est basé sur les mêmes moyens de pression que ceux utilisés contre l’apartheid en Afrique du Sud, ses résultats peuvent être vus beaucoup plus rapidement dans le cas d’Israël.

«Israël, contrairement à l’Afrique du Sud, ne peut pas survivre à un boycott à long terme. Il doit prendre des mesures immédiatement. À cause de cela, nous ne parlons pas d’un mouvement de boycott qui durerait des décennies. Dès que le mouvement de boycott aura assez d’élan, le gouvernement israélien devra changer sa politique », affirme Hever.

«La terre représente tout »

Retour à Isla, Rashad Abdel Rahman promenades à travers un champ de rares oliviers qui restent du côté du village par rapport au mur. Il s’arrête tous les quelques mètres pour toucher les feuilles et sentir les bourgeons suspendus aux branches. Un instant plus tard, il regarde longuement la clôture grise qui le sépare de ses terres.

«La terre représente tout. Nous avons tout perdu: notre vie, notre gagne-pain », dit Abdel Rahman. « Le mur a détruit le village ».

Selon Hind Awwad, des initiatives comme Sharaka ne servent pas seulement comme moyen de soutien local aux agriculteurs palestiniens, mais contribuera également à la réussite globale du mouvement mondial BDS.

« Un boycott local réussi et durable ne peut être réalisé qu’avec une stratégie parallèle de soutien aux agriculteurs et aux fabricants locaux », dit Awwad.

« Le mépris continu et complet par Israël du droit international a fait de la campagne palestinienne Boycott, Désinvestissement et Sanctions contre Israël, le moyen le plus efficace afin de tenir Israël pour responsable et mettre fin à son impunité pénale ». Awwad poursuit: «La réponse internationale à l’appel BDS a été rapide, et un véritable mouvement mondial capable d’isoler Israël est en train d’émerger. Les partis politiques, syndicats, églises et groupes de solidarité ont tous adopté BDS comme la forme de solidarité la plus pertinente et la plus efficace avec les Palestiniens ».

Jillian Kestler-D’Amours

Source : Briarpatch Magazine, 3 novembre 2010
Traduction : NJO

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