Le Fonds national juif: l’éco-blanchiment qui cache colonisation, dépossession et discriminations

Bulletin 52, juin 2012

Drapeau du JNF sur un des tracteurs Caterpillar détruisant le village bédouin d'Al Araqib
Drapeau du JNF sur un des tracteurs Caterpillar détruisant le village bédouin d'Al Araqib

Le Fonds national juif (FNJ) est connu du grand public comme étant une organisation caritative,  environnementale ou d’utilité publique, ce qui lui vaut de jouir d’une excellente réputation. Peu savent que c’est en réalité un organisme para-étatique dont la mission est avant tout politique: agent historique de colonisation de la Palestine, le FNJ a joué et joue encore un rôle déterminant dans la forme que prend la politique foncière – discriminatoire – israélienne.

Le FNJ excelle dans le « greenwashing »: arbres plantés, parcs récréatifs et centres touristiques sont autant d’outils qui lui servent à « blanchir » par l’écologie les activités coloniales dans lesquelles il est impliqué.

Aux avant-postes de la colonisation, garant du système de discrimination

Fondé en 1901 à Bâle lors du 5ème Congrès sioniste, le Fonds national juif ou Keren Kayemeth LeIsrael (KKL) – « fonds pour la création d’Israël » en hébreu – est l’outil principal de la colonisation de la Palestine. Administré par l’Organisation sioniste mondiale, il va initialement permettre de récolter de l’argent pour acheter des terres sur lesquelles seront installés les immigrants juifs. Ces terres achetées deviennent, selon ses statuts, « propriété perpétuelle du peuple juif ».

A partir des années 20, l’achat de terres s’accélère mais à la fin du mandat britannique, la communauté juive ne possède que 5,8% de la Palestine historique. Trop peu pour Yosef Weitz, en charge du service « colonisation » du FNJ. Avec l’aide des services de renseignement de la Haganah, il se lance dans la réalisation d’un inventaire de chaque village de Palestine (situation topographique, état des routes, qualité de la terre, composition socio-politique,…) afin d’en systématiser le processus d’accaparement et de dépossession de leurs habitants. L’adoption du Plan Dalet, en mars 1948, «plan global d’expulsion » selon les termes d’Ilan Pappé, répondra aux attentes de Weitz.

Après 1949, le FNJ se concentre sur la construction de l’État : plans de développement, plantation de forêts, absorption des immigrants, revendication de terres pour l’agriculture, construction d’infrastructures.  Parallèlement, il influence la politique foncière israélienne. Lorsque les autorités israéliennes adoptent la « Loi sur la propriété des absents », qui permet de saisir les propriétés de toute personne absente, une partie des terres ainsi saisies est directement revendue au FNJ. Il possède alors 13% des terres de la Palestine historique.

En 1960, un organisme public chargé de l’administration des terres d’Israël (ILA) est créé: 93% de ces terres, y compris les 13% du FNJ, tombent sous sa responsabilité. Comme c’est le FNJ qui désigne la moitié des membres du Conseil d’administration d’ILA, il joue un rôle majeur dans la gestion foncière israélienne. Le FNJ signe d’ailleurs, l’année suivante, une convention avec le gouvernement en vertu de laquelle les « terres d’Etat » seront administrées selon ses principes, à savoir à l’usage exclusif des Juifs. Ce n’est qu’en 2005 que la Cour suprême rend un jugement qui interdit la discrimination dans le chef de l’autorité publique mais aussi du FNJ. Ce dernier va alors réduire sa participation au Conseil d’administration d’ILA afin d’être dorénavant considéré comme un organisme privé et que le jugement de la Cour suprême ne lui soit plus opposable. Et lorsque le gouvernement décide de s’assurer de la présence juive dans une zone, par exemple en Galilée et dans le Néguev, il en transfère la propriété au FNJ qui l’administre alors selon ses principes racistes.

L’« éco-blanchiment » : des arbres plantés, les habitants de villes et villages déracinés

Le Canada Park, administré par le FNJ Canada, a été créé sur les terres et ruines de villages où vivaient 10.000 Palestiniens chassés en 1967
Le Canada Park, administré par le FNJ Canada, a été créé sur les terres et ruines de villages où vivaient 10.000 Palestiniens chassés en 1967

Une des plus grandes forêts d’Israël, la forêt Eshta’ol, située à 40km à l’ouest de Jérusalem, est devenue un lieu de détente populaire pour ses parcs récréatifs. Ses arbres ont été plantés grâce à l’argent récolté dans les « boîtes bleues », que l’on retrouve chez de nombreuses familles juives. Combien de ces familles et de ceux qui visitent cette forêt savent qu’elle s’étend sur les ruines des villages détruits d’Islin, Ishwa, Beit Mashir et Beit Susin ? Les habitants des deux premiers ont été expulsés le 18 juillet 1948 par les brigades du Palmah. Les 2.600 villageois de Beit Mashir et les 230 habitants de Beit Susin furent, quant à eux, expulsés en mai et avril 1948. Vidés de leurs habitants palestiniens réduits à l’exil, les ruines de ces villages détruits voire rasés, ont été ensevelies. Chaque arbre planté là dérobe leur histoire, leur culture et efface leur mémoire. Là où il y avait de la végétation, le FNJ remplace les cultures traditionnelles faites d’oliviers, manguiers, figuiers, grenadiers,… par une culture non productive de conifères afin de « marquer » le territoire nouvellement occupé. Ce changement va non seulement bouleverser la flore locale mais également rendre le sol, acidifié par les aiguilles, inapte au pâturage.

En 48, les arbres ont servi à camoufler le nettoyage ethnique. Par la suite, ils ont été et sont encore utilisés comme outil de dépossession, par exemple dans le village bédouin d’al-Araqib. Sous prétexte d’y planter une forêt, le village a été démoli plus d’une trentaine de fois. Le projet gouvernemental dans lequel les destructions s’inscrivent et dans lequel le FJN a investi 600 millions de dollars, vise à « transférer » de force quelque 30.000 Bédouins du désert du Néguev, à les parquer dans 7 « bantoustans » et ainsi judaïser le Néguev.

Au-delà de la Ligne verte, Himnuta prend le relais

Les activités du FNJ ne s’arrêtent pas à la Ligne verte : il opère en Cisjordanie grâce à sa filiale Himnuta. Il y utilise ses deux techniques de prédilection,  d’une part, planter des arbres : c’est ainsi que le Canada Park, administré par le FNJ Canada, a été créé sur les terres et ruines de villages où vivaient 10.000 Palestiniens chassés en 1967 ; d’autre part, acheter des terres situées dans des zones stratégiques – près de la Ligne verte par exemple, pour pouvoir procéder ensuite facilement à leur annexion. Le cas de la famille Sumerin, à Silwan, est à ce titre emblématique et permet de comprendre le mode opératoire du FNJ en Cisjordanie. Lorsque Musa Sumarin décède en 1983, ses trois fils sont à l’étranger. La maison est décrétée “propriété des absents”. Les autorités israéliennes en transfèrent la propriété à Himnuta en 1991. Himnuta sous-loue la maison, dans laquelle la famille habitait pourtant avant 1967 et dans laquelle elle vit toujours, à ELAD, puissante organisation de colons qui veut désarabiser/judaïser Silwan. Le gouvernement, le FNJ et ELAD coopèrent donc afin de s’assurer que la maison passera et restera aux mains des colons juifs.

Le FNJ dans le monde

Les fonds du FNJ proviennent en grande partie de dons récoltés par des antennes situées à l’étranger. La première fut créée dès 1926 aux Etats-Unis. Depuis, le FNJ a ouvert des bureaux dans 42 pays dont 16 d’Amérique latine et 13 d’Europe. Enregistré en tant qu’organisation caritative, environnementale ou d’intérêt général, il jouit souvent d’un régime fiscal avantageux.

En Grande-Bretagne, les trois derniers chefs d’Etat, Tony Blair, Gordon Brown et James Cameron, ont été consacrés « bienfaiteurs honoraires » du FNJ. Cameron a dû finalement renoncer à cette « distinction » suite à une campagne menée par des militants britanniques. Tony Blair, l’actuel représentant du Quartet porte toujours ce titre.

En Belgique, le FNJ est enregistré depuis 1938 en tant qu’ASBL. Il subventionne à la fois des projets qui font partie des activités habituelles du FNJ : plantations de bosquets, construction de réservoirs d’eau,.. et des projets spécifiques : la maison mère, située à Jérusalem, propose une liste de projets parmi lesquels les filiales font leur choix et pour lesquels elles récoltent des fonds. Le FNJ a ainsi choisi de subventionner un projet de serres dans le désert du Néguev – infrastructures et recherche agricole. D’autres initiatives, destinées à renforcer les liens entre la Belgique et Israël, ont également été mises en œuvre: c’est ainsi que les rois Albert 1er, Albert II et Baudouin et la reine Elizabeth ont vu chacun leur nom donné à une forêt. En 2005, Didier Reynders a planté un olivier dans la forêt du FNJ située à Neve Ilan, au pied du monument érigé en mémoire de Jean Gol. Plus récemment, en visite officielle en Israël, l’ancien premier ministre Yves Leterme a, à la demande du Fonds national juif, planté un arbre sur le Mont Herzl à Jérusalem et a déclaré que le travail de celui-ci était un modèle à suivre pour les organisations environnementales belges.

Il y a donc un grand travail de sensibilisation à réaliser, tant en direction des citoyens que des responsables politiques, afin de déconstruire le mythe qui entoure le Fonds national juif et mettre au jour sa face cachée. C’est dans ce but qu’a été lancée la campagne « stop the JFN ». Toutes les informations relatives à cette campagne se trouvent sur le site www.stoptheJNF.org.

Katarzyna Lemanska

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