Depuis l’investiture du gouvernement De Wever, le MR s’attache, aux côtés de la N-VA, à empêcher ou étouffer toute tentative belge d’agir pour prévenir le génocide à Gaza. Une attitude qui reflète l’inclination pro-israélienne du parti libéral, mais qui s’explique aussi par la croisade anti-palestinienne personnelle de son président, Georges-Louis Bouchez.
Par Gregory Mauzé
2 septembre. Au terme de négociations fleuves, la coalition Arizona accouche au petit matin d’un compromis sur Gaza. Bien que décevant, il n’en comportait pas moins de premiers gestes concrets de nature à entraver l’action criminelle d’Israël. Le soir même, le président du MR Georges-Louis Bouchez se précipitait sur i24 pour rassurer l’audimat de cette chaîne farouchement pro-Netanyahou. « Qui peut croire que dans les prochaines semaines, le Hamas ne sera plus présent à Gaza et que les otages seront libérés ? », interrogeait, sardonique, le Montois au sujet des conditions imposées par la Belgique pour une reconnaissance formelle de l’État de Palestine.
Deux jours plus tard, il récidive sur Radio Judaica, plus longuement cette fois, en relativisant méthodiquement tant la portée des sanctions annoncées contre Israël que la gravité des griefs qui lui sont adressés. « Le problème est plus complexe que la façon dont il est souvent présenté », affirme-t-il ainsi au sujet de la situation humanitaire à Gaza, avant de se dissocier à demi-mot du compromis adopté. « Le chemin pour arrêter cette guerre ne me paraît pas si évident que ça. J’invite la Belgique à jouer plutôt un rôle de médiation, plutôt que de prendre des positions qui nous excluent du champ des acteurs qui pourraient amener la paix ».
Frénésie pro-israélienne
Inconstant sur bien des sujets, « GLB » n’a, sur le dossier israélo-palestinien, jamais varié. Tel un véritable chevalier bleu et blanc, il affiche, derrière un soutien de façade au droit international et à la « solution à deux États », une ligne dure pro-israélienne que rien, pas même l’irrésistible fuite en avant génocidaire du gouvernement Netanyahou, n’a jusqu’à présent infléchie.
Bouchez, qui fustige à l’envi la prétendue « importation du conflit » par ses rivaux de gauche, consacre par ailleurs une large partie de son activité numérique à distiller la propagande du gouvernement Netanyahou.
Cette ferveur ne date pas d’hier. Le 2 novembre 2022, par exemple, il fustigeait Le Soir pour avoir osé critiquer le « résultat d’élections organisées démocratiquement » après que le journal se soit inquiété du triomphe dans les urnes de l’extrême droite suprémaciste juive. L’attaque du 7 octobre a toutefois fait basculer Bouchez dans un tout autre niveau d’alignement sur Tel-Aviv, souvent au mépris de la décence la plus élémentaire. On pense, bien sûr, au « coup de génie » qu’auraient représenté à ses yeux les attentats israéliens aux bipeurs piégés contre des membres du Hezbollah, lesquels ont fait de nombreuses victimes civiles, ou encore à sa négation du génocide à Gaza devant un auditoire à Louvain-La-Neuve, en arguant que la population palestinienne aurait « quadruplé depuis 1940 ».
Bouchez, qui fustige à l’envi la prétendue « importation du conflit » par ses rivaux de gauche, consacre par ailleurs une large partie de son activité numérique à distiller la propagande du gouvernement Netanyahou. Ainsi, durant la seule première semaine d’août 2025, près de la moitié de ses posts sur X exprimaient ou repartageaient des propos pro-israéliens, dont le compte officiel de l’ambassadrice israélienne à Bruxelles et plusieurs extraits d’une interview qu’il avait accordée à i24. C’est sur cette même chaîne d’ultradroite sioniste, dont Bouchez est donc un invité régulier, qu’un chroniqueur, David Antonelli, pouvait notamment asséner sans ambages le 10 octobre 2023 : « Je me fiche éperdument des 2 millions de Gazaouis. Ce qui m’importe aujourd’hui, c’est la vengeance d’Israël », avant d’être chaleureusement remercié par l’animatrice.
Cette frénésie transparaît également à travers la quasi-absence de la moindre expression d’empathie pour la population palestinienne, si ce n’est en des termes qui disculpent Tel-Aviv. Le 14 août dernier à la Chambre, le député MR Denis Ducarme, un fidèle de Bouchez, non content d’euphémiser la famine à Gaza en parlant de « malnutrition », en attribuera l’une des causes au manque de « collaboration » avec la Gaza Humanitarian Foundation (GHF). Pour rappel, cette organisation israélo-étatsunienne a précisément été créée pour exclure les ONG et les institutions capables d’assurer l’approvisionnement humanitaire dans l’enclave. Son dispositif a été qualifié par Médecins sans Frontières de « simulacre de distribution alimentaire qui produit des massacres à la chaîne » — de simples « décès », toujours selon Ducarme.
La position belge démonétisée
Bouchez n’est certainement pas le seul à avoir embrassé pleinement le mythe selon lequel « tout aurait commencé le 7 octobre » et à installer Israël dans le rôle de la victime au bras un peu trop leste. Une grande partie des soutiens traditionnels de ce dernier ont toutefois été contraints d’évoluer à mesure que le récit d’une guerre de légitime défense devenait intenable. Le président du MR, lui, y restera farouchement attaché, rendant la position du parti sur ce dossier objectivement plus proche de celle de l’extrême droite que de celle des autres libéraux européens. Le 27 juillet, il chargea violemment le chef de l’État français Emmanuel Macron pour son annonce d’une reconnaissance prochaine de l’État de Palestine.
Au-delà de la communication, le jusqu’au-boutisme de Bouchez a des répercussions tangibles. Son travail de sape pour affaiblir, puis relativiser la portée des contre-mesures prises par la Belgique conduit précisément à amoindrir leur effet recherché, à savoir augmenter la pression sur Israël. Cette posture, outre qu’elle contribue à la poursuite du génocide en cours, a aussi pour conséquence de décrédibiliser le Royaume comme acteur multilatéral de référence. Fait significatif : une vingtaine d’anciens diplomates et ambassadeurs, qui estimaient que la Belgique avait « perdu son camp moral », ont exhorté le 1er août dernier le gouvernement, alors paralysé sur ce dossier par la N-VA et le MR, à sortir de sa torpeur.
Les Palestiniens, otages de la « guerre culturelle »
Que les menaces pour le crédit moral et politique de la Belgique n’émeuvent guère des indépendantistes flamands se conçoit aisément. Il est plus interpellant qu’un libéral belgicain affaiblisse de cette façon la position d’un ministère des Affaires étrangères que son parti a longtemps trusté. Cette ligne de conduite ne peut être comprise qu’à la lumière de la stratégie politique globale de Bouchez, axée sur la droitisation et le clivage permanent. Face à une gauche réputée émotive et déconnectée des problèmes des « vrais gens », il prétend ainsi incarner la rationalité et prioriser les intérêts nationaux. C’est cette déclinaison belge de l’« America first »1 qui l’amène à affirmer dans Le Soir être à la fois conscient de la tragédie à Gaza et contre des sanctions, de peur des répercussions économiques pour les entreprises belges.
Au récit décolonial et humaniste qui prédomine parmi les soutiens de la cause palestinienne, le président du MR oppose une lecture en termes de choc des civilisations.
Cette obstination est indissociable d’un autre de ses mantras : la guerre culturelle. Au récit décolonial et humaniste qui prédomine parmi les soutiens de la cause palestinienne, le président du MR oppose une lecture en termes de choc des civilisations, faisant d’Israël la pointe avancée de l’Occident contre la « barbarie islamiste ». « Si le Hamas en finit avec Israël, il s’attaquera ensuite à nous » affirme-t-il ainsi le 7 août 2025, toujours sur i242.
Si cette approche pernicieuse n’a pas pénalisé le MR au regard de ses derniers résultats électoraux, on ne peut en dire autant de ses effets sur la salubrité du débat public. Plutôt que de consolider la tradition belge d’attachement au droit international sur le dossier proche-oriental, Bouchez a opté pour le ressentiment et la division. Ce faisant, il a contribué à normaliser le crime des crimes, et surtout, l’absence de réaction à son égard, tout en participant à la déshumanisation des Palestiniens. En témoignent les infâmes déclarations négationnistes en juin dernier des chroniqueurs de LN24 Alain Kupchik sur « Gazaouis qui mangent des crêpes au Nutella » et Nadia Geerts, par ailleurs administratrice au CA de la RTBF pour le MR, sur « restaurants ouverts à Gaza ». Bien entendu, tous deux seront soutenus par Bouchez.
Contestation interne sans lendemain
Ce soutien invétéré à un régime israélien plus impopulaire que jamais est-il toujours politiquement tenable ? Une partie des mandataires du MR, dont 53 % des électeurs étaient, à en croire le baromètre RTL/Le Soir de juin 2025, favorables à des sanctions contre Israël, digère mal cette ligne autoritairement définie par la présidence. Durant l’été, plusieurs voix se sont ainsi fait entendre à la Chambre, comme Charlotte Deborsu ou Michel de Maegd, lequel a pourtant longtemps relayé la propagande israélienne3.
Malgré quelques courbes rentrantes, dont l’engagement lunaire et sans lendemain à « manifester davantage son empathie à l’égard des Palestiniens », Bouchez persiste et signe. Lors d’une réunion de crise interne, il rappellera d’ailleurs que toute sa stratégie repose non pas sur la popularité auprès du plus grand nombre, mais sur la capacité à agréger un bloc minoritaire suffisant. « Bien sûr qu’il y a des gens qui ne sont pas d’accord, mais on s’en fout. 70 % des gens peuvent ne pas être d’accord. Si 30 % d’entre eux le sont, on gagne allègrement les élections ». Quant à la démocratie, elle attendra, tout comme l’espoir d’une position israélo-palestinienne de la Belgique plus conforme aux préférences d’une majorité de ses citoyens.
- Qui le conduit à adopter une politique étrangère proche de celle de l’extrême droite, qui préconise notamment la fin de toute aide humanitaire. Gregory Mauzé, « L’extrême droitisation de la politique étrangère du MR », Revue Politique, 15 juillet 2025. ↩︎
- Une rhétorique qui travestit la réalité du Hamas, mouvement à la fois islamiste et nationaliste qui n’a jamais manifesté de velléité d’agir hors du terrain israélo-palestinien. ↩︎
- « Israël n’est pas en train de combattre la Palestine mais le Hamas », affirma-t-il ainsi le 13 octobre 2023 sur LN24, alors même que de premiers plans pour une expulsion massive des Gazaouis circulaient au sein du gouvernement israélien. ↩︎