Naïm Khader : « Je ne crains pas la mort »

« Je ne crains pas la mort. Lorsque j’ai décidé d’être l’apôtre de la Palestine, j’en connaissais les risques. Je ne connais pas la peur. Ma seule crainte est la tristesse de ma femme, de mes parents, de mes amis et ils sont nombreux. »

C’est ce qu’ écrivait Naïm Khader à son ami Rafiq, le 22 août 1978.

Le 1er juin 1981, il était assassiné à Ixelles, devant son domicile: une balle dans le cœur, deux dans la tête, par un professionnel commandité on n’a jamais su par qui exactement. Qu’il s’agisse du Mossad israélien ou d’un tueur mandaté par la Syrie ou l’Irak, deux pays fermement opposés à la politique de l’OLP de Yasser Arafat, à savoir un État palestinien à côté de l’État israélien, Naïm Khader était inscrit sur la longue liste des assassinats de représentants de l’OLP en ces années-là. Il le savait. Dans sa lettre, véritable testament livré à son confident, il écrit : « Beaucoup d’entre nous mourrons. Nous, nous ne mourrons pas. L’important est que le peuple palestinien vive. »

En Belgique, 40 ans après ce drame, son souvenir vibre toujours non seulement dans le cœur de sa femme, Bernadette, mais dans ceux de ses nombreux amis encore en vie. Ce « prophète foudroyé », ainsi que le baptise le journaliste de la Libre Belgique Robert Verdussen dans un livre biographique, a réussi à fédérer autour de lui d’importantes personnalités politiques, culturelles, religieuses et de très nombreux citoyens jusque dans des villages de Wallonie. Pour tous, il décryptait avec sagesse et conviction la réalité de l’occupation sioniste sur une terre dont des centaines de milliers d’habitants palestiniens avaient été chassés par les armes et la terreur.

Inlassablement, il déjouait l’intense propagande israélienne et celle des mouvements sionistes américains et européens autour du slogan « une terre sans peuple pour un peuple sans terre », retraçant l’histoire séculaire des peuples sémitiques divers, de ces « Philistins » toujours présents sur ces terres. Une partie de la Palestine historique fut attribuée par les puissances occidentales au « peuple juif » défini comme tel par le mouvement sioniste et ce dès avant la deuxième guerre mondiale et l’horreur absolue que fut le génocide des Juifs. Le « crime des crimes » commis par des Européens n’est imputable en rien aux peuples arabes et certainement pas aux Palestiniens qui, pourtant, ont été sacrifiés sur l’autel des remords européens.

L’« apôtre » Naïm Khader, était mû par un idéal d’amour et de paix entre les peuples. Il expliquait la singularité de la Palestine où se côtoyaient les trois religions du Livre et des centaines de sectes qui en sont issues. Le tout dans un esprit de tolérance assez exceptionnel. Une tradition qui incita les dirigeants de l’Organisation de Libération de la Palestine à prôner l’établissement d’un État laïque, socialiste, dans lequel Juifs et Arabes seraient réunis.

Cette utopie anima toujours Naïm Khader même s’il défendait avec conviction la nouvelle doctrine, plus réaliste, de l’OLP alors dirigée par Yasser Arafat, à savoir l’établissement de deux États vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues selon les résolutions des Nations Unies. Une solution qui garantissait à la fois aux Israéliens de vivre en paix sur un territoire qui ne serait plus revendiqué par les Palestiniens, et aux Palestiniens d’offrir aux centaines de milliers de réfugiés dans les pays proches une terre les accueillant en citoyens d’un État moderne. Car les Palestiniens, et Naïm en était un bel exemple, constituent un peuple tolérant grâce à la coexistence de plusieurs religions, très éduqué et polyglotte grâce aux nombreuses écoles et universités confessionnelles, et qui entretient de nombreuses relations commerciales, familiales, technologiques avec les pays arabes voisins.

En Palestine, Naïm Khader avait été formé en arabe d’abord puis en français dans un enseignement organisé par des chrétiens. Il s’est formé au droit à Louvain, puis au droit international à L’ULB, tout en poursuivant des études d’économie et une formation en journalisme. Il s’est lié avec des Juifs progressistes, eux-aussi défenseurs des mêmes idéaux de paix. C’est ainsi qu’il a noué une amitié très profonde avec Marcel Liebmann, professeur à l’ULB, qui fut ensuite le premier secrétaire général de l’ABP et premier président de la Fondation Naïm Khader. Il a été aidé sans cesse par le professeur Jean Salmon, un des meilleurs connaisseurs du droit international à l’ULB. Il a dialogué avec des Juifs sionistes afin de leur faire connaître l’histoire et les droits des Palestiniens mais aussi leurs propositions de coexistence pacifique. En témoigne sa relation avec David Susskind, fondateur du Centre Communautaire Laïc Juif et du Comité de coordination des organisations juives de Belgique, ardent partisan de la création d’un État palestinien, qu’il voyait comme seule garantie de paix pour Israël.

Avec des chrétiens progressistes comme Jean Delfosse, directeur de la Revue Nouvelle, avec le militant tiers-mondiste Pierre Galand, secrétaire général d’Oxfam et fondateur du Comité National d’Action pour la Paix et le Développement, Naïm Khader contribua à la création, en 1975, de l’Association belgo-palestinienne dont l’objectif est de soutenir les revendications de l’OLP et la création de l’État de Palestine dans les frontières de 1967. On y travaillait en concertation avec les Juifs progressistes de l’UPJB à la création d’une plate-forme très large de militants pour la paix et le développement des peuples dans le respect des résolutions pertinentes des Nations Unies, toutes systématiquement rejetées par Israël.

Naïm Khader mettait ses qualités intellectuelles, sa gentillesse, sa capacité d’écoute, son humanisme et son humour au service d’une cause essentielle : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Il l’a plaidé au plus haut niveau des instances européennes qui évoluaient, grâce notamment à des personnalités comme Claude Cheysson et Edgard Pisani, vers une Europe où les valeurs humanistes ne seraient plus éclipsées par des considérations exclusivement géopolitiques ou commerciales. C’était alors une entité politique européenne qui émergeait entre l’impérialisme américain et un monde soviétique défini comme ennemi absolu. En pleine guerre froide, sous la menace nucléaire, Israël était déjà porté par les Occidentaux comme un fer de lance au cœur d’un monde arabe en lutte contre les colonisateurs anglais, français, et les pressions américaines.

L’Europe a tenté un moment de jouer un rôle nouveau, intermédiaire politique, économique et culturel puissant grâce à son histoire commune avec le bassin méditerranéen et ses valeurs basées sur le respect des droits humains et du droit international. C’était aussi le pari d’une personnalité comme Naïm Khader. Il a été assassiné par ceux-là mêmes qui voulaient empêcher cette évolution vers une paix juste et durable pour les deux peuples. Une paix qui devrait être garantie et assurée à tous les peuples qui luttent pour leur autodétermination, pour leurs droits universels.

Gabrielle Lefèvre

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