Depuis le 7 octobre, un champ lexical, empruntant au droit international, est mobilisé à l’envi, tant par des personnalités politiques que par les médias. Légitime défense, terrorisme, résistance… les mots fusent sans qu’on ne sache toujours ce qu’ils recouvrent et ils sont souvent utilisés avec beaucoup d’imprécision. Retour sur ces concepts galvaudés afin
de préciser leur réelle teneur juridique.
Par Zoé Dubois
Terrorisme ou résistance : telle est la question
Dès le lendemain des attaques de la branche militaire du Hamas, deux récits se sont affrontés.D’un côté, le Hamas invoque le droit du peuplepalestinien à la résistance. De l’autre, Israël seprésente comme la victime et insiste sur le caractère terroriste des attaques commanditées par le parti islamiste. La question de la qualification de terroriste du Hamas s’est d’ailleurs retrouvée au cœur des débats dans nos médias ; le refus de valider cette qualification a été
considéré comme hautement suspect, quels que soient les arguments avancés.
Soulignons tout d’abord que, du point de vue du droit international, le concept de terrorisme ne fait l’objet d’aucune définition internationalement reconnue et ne produit en réalité aucun effet juridique particulier. Ce qui compte, c’est plutôt la nature des actes perpétrés. À cet égard, si le peuple palestinien dispose bien d’un droit de résister à l’occupation, y compris à travers la lutte armée, ce droit n’est pas absolu. Ainsi, si le Hamas peut être considéré comme un parti de
résistance, il est tenu de respecter le droit international humanitaire. Contrairement aux attaques contre des objectifs militaires, celles commises
contre des civils le 7 octobre sont contraires au droit international et constituent des crimes de guerre, voire des crimes contre l’humanité.
Centrer le débat sur le terrorisme est avant tout une façon de faire du Hamas l’archétype de l’ennemi et de transformer, incidemment, l’occupant israélien en figure respectable. De fait, cette qualification doit être utilisée avec beaucoup
de prudence dès lors qu’elle est régulièrement instrumentalisée par Israël. Ce dernier assimile ainsi constamment les attaques contre des cibles militaire israéliennes à des actes terroristes. Cette confusion entre civils et militaires, outre qu’elle démonétise le droit international humanitaire, apparaît surtout comme un moyen de nier le droit à la résistance dont bénéficie le peuple palestinien.
Un droit de se défendre légitime ?
Le droit de légitime défense (tel que stipulé à l’article 51 de la Charte des Nations Unies) sur lequel Israël pourrait prétendument s’appuyer a été abondamment invoqué par ses défenseurs et ses soutiens, les États-Unis et l’Union européenne en tête. Citer le droit de légitime défense en parlant d’Israël et de la situation à Gaza repose cependant sur une lecture erronée des évènements du 7 octobre. Ceux-ci, loin d’être isolés, s’inscrivent en effet dans un contexte, celui de l’occupation, qui doit être rappelé si l’on veut analyser correctement la situation sur le plan juridique. Bien qu’Israël ait retiré ses colonies de Gaza en 2005, il continue en effet à contrôler militairement ce territoire. De ce fait, en droit international, il est toujours considéré comme la puissance occupante à Gaza.
Or l’occupation est considérée comme une agression armée qui donne le droit de résister à la population occupée.
Il est donc difficile pour Israël de prétendre être en état de légitime défense quand lui-même est l’État agresseur¹. Cela a d’ailleurs été rappelé de façon on ne peut plus claire par la Cour Internationale de justice dans son avis de 2004². Aussi, les bombardements en cours d’Israël contre Gaza, plutôt qu’une réaction aux attaques du 7 octobre, devraient-ils plutôt être analysés commeune reconfiguration de l’occupation israélienne et
ce, en violation du droit international³. Rappelons,enfin, que la légitime défense n’est pas un droitinconditionnel et n’est en aucun cas un blanc-seing permettant de mener des attaques contre
les populations civiles de manière aveugle et disproportionnée comme le fait Israël à Gaza.
1/ En ce sens et pour aller plus loin, voir l’intervention d’Olivier Corten dans la vidéo publiée par le Centre de droit international de l’ULB, disponible sur cdi.ulb.ac.be et youtube.com
2/ CIJ., Les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis du 9 juillet 2004, §139 et 141
3/ Ralph Wilde, Israël’s War in Gaza is Not a Valid Act of Self-defence in International Law, 9 novembre 2023, disponible sur opiniojuris.org
Article paru dans le numéro 98 de la revue Palestine. 4ème trimestre 2023.