Mercredi soir, Abdel Rahman Al-Shaludi, 21 ans, a lancé sa voiture contre une foule d’Israéliens qui attendaient sur la plateforme du tramway à Ammunition Hill à Jérusalem, blessant huit personnes. Chaya Zissel Braun, un bébé de trois mois de nationalité israélo-américaine, est mort quelques heures plus tard et Karien Yemima Muscara, une Equatorienne d’une vingtaine d’années, a succombé à ses blessures la nuit dernière. Alors qu’Al-Shaludi tentait de prendre la fuite, il a été tué par un garde de sécurité israélien. Dans une vidéo, on voit le garde se positionner au-dessus d’Al-Shaludi, mortellement blessé, lui pointer son arme à bout portant dans le visage et le défier : « tu la veux ? »
Cette nuit-là, Mohammad Mahmoud, de l’association Addameer Prisoner Support and Human Rights a été empêché par l’armée de rendre visite à Al-Shaludi à l’hôpital. Il est mort quelques heures plus tard. Conséquence de l’interdiction de l’armée de laisser entrer les visiteurs à l’hôpital alors qu’Al-Shaludi était mourant, Israël a empêché toute évaluation psychologique ou des déclarations qui auraient pu éclairer la nature de l’incident. Cette démarche a garanti que rien ne pouvait affleurer qui pourrait faire dérailler l’imminente fièvre médiatique.
Immédiatement, les médias israéliens ont catalogué l’incident comme une attaque terroriste et ont déclaré qu’Al-Shaludi était un agent du Hamas avec un passé de terroriste. Cependant, selon des enquêtes israéliennes antérieures et des déclarations de sa famille, il n’était pas affilié au Hamas. Al-Shaludi a passé 14 mois dans une prison israélienne pour avoir jeté des pierres – pas exactement l’acte d’un génie du terrorisme. Il a été libéré en décembre 2013, a été à nouveau arrêté en février et détenu pendant 20 jours par des investigateurs israéliens. Sa mère a raconté à Ma’an News : « Ils ont continué à le harceler et à le convoquer pour l’interroger, encore et encore et ils ont essayé de le faire travailler pour eux, mais il a refusé à plusieurs reprises ». Elle a ajouté : « ils l’ont menacé, disant qu’il ne trouverait jamais de travail ou qu’il ne pourrait pas poursuivre son éducation ou avoir une vie normale ».
Selon la famille Al-Shaludi, il a été brutalement torturé en prison et en a gardé un sérieux traumatisme. Quelques heures seulement avant l’incident, sa mère l’avait emmené « chez un médecin qui lui a conseillé de consulter un thérapeute, après avoir montré pendant des jours des signes d’épuisement nerveux ».
Au fil des ans, le quartier des Al-Shaludi, Silwan (à Jérusalem-Est), est devenu la cible d’attaques des autorités et des colons israéliens. Trois jours seulement avant l’incident, des colons israéliens fanatiques ont emménagé dans des maisons en plein milieu de la nuit, doublant leur présence dans le quartier.
Pour l’opinion israélienne, la possibilité que l’incident résulte d’un traumatisme psychologique sévère dû à la torture dans les goulags israéliens et aux attaques sur le quartier des Al-Shaludi est inconcevable. Admettre une telle possibilité pourrait impliquer la responsabilité du brutal appareil de sécurité israélien dans la mort du bébé Chaya.
De plus, la démence n’est envisageable que pour blanchir les crimes d’Israéliens juifs comme Yosef Chaim Ben David, le colon qui, avec deux adolescents, a frappé Mohammed Abu Khdeir avec une clé à molette avant de forcer l’adolescent palestinien à boire de l’essence et le brûler vif en représailles pour la mort de trois adolescents israéliens cet été.
Le catalogage immédiat de l’incident comme opération terroriste du Hamas libère de toute responsabilité potentielle la conscience publique.
Alors que la nouvelle d’une attaque terroriste circulait, l’opinion publique israélienne attendait du gouvernement Netanyahou qu’il punisse les Palestiniens de Jérusalem Est. Un édito appelant à une présence policière accrue est paru dans Ha’aretz, marquant un consensus au sein de la gauche comme de la droite.
La campagne d’escalade et de punition collective d’Israël commençait. Alors qu’il visitait la famille en deuil de Chaya Zissel Braun, le ministre israélien de la Sécurité intérieure Yitzhak Aharonovich a annoncé qu’il ferait sceller ou démolir la maison de la famille endeuillé Al-Shaludi à Silwan. Deux jours plus tard, dans un acte de provocation, le ministre du Logement et de la Construction, Uri Ariel, a annoncé qu’il planifiait d’emménager à Silwan. Ce matin, Netanyahou a annoncé que 1000 nouvelles habitations seraient construites à Jérusalem Est, une initiative qui augmente la pression sur les Palestiniens.
Le lendemain de l’incident, Netanyahou a conféré avec Aharonovich, le maire de Jérusalem Nir Barkat, le directeur du Shin Bet Yoram Cohen et des responsables de la police, ordonnant le déploiement de 1000 policiers supplémentaires, leur enjoignant d’« exercer la souveraineté israélienne » sur le territoire occupé.
La police a exécuté les ordres de Netanhayou avec la plus grande brutalité. Alors qu’une foule de 150 Israéliens s’était réunie sur les lieux de l’incident, appelant à l’expulsion des Palestiniens, et chantant « mort aux arabes » et « revanche », les soldats, la police et les colons ont mené des attaques contre des quartiers de Jérusalem-Est. A Silwan, les soldats ont saccagé la maison des Al-Shaludi et ont arrêté des membres de la famille dont Izzedin, le frère âgé de 15 ans d’Abdel Rahman. Les colons ont jeté des pierres sur des maisons, des voitures et des propriétés et ont attaqué plusieurs Palestiniens. Gatimah Rajabi, 11 ans, et Wael, son cousin âgé de 4 ans, se sont fait tirer dans le visage, dans leur maison, par des soldats israéliens qui tiraient des balles en caoutchouc.
Pour tenter d’étendre la loi martiale à laquelle sont soumis les Palestiniens en Cisjordanie occupée, des responsables de la police de Jérusalem examinent une législation qui rendrait les parents responsables des actes de leurs enfants.
Alors que le gouvernement israélien intensifie ses attaques sur Jérusalem, il a engagé simultanément les gouvernements occidentaux à légitimer internationalement son assaut. « Les Etats-Unis condamnent dans les termes les plus forts l’attaque terroriste d’aujourd’hui à Jérusalem » a déclaré le porte-parole du département d’Etat américain Jen Psaki. La Grande-Bretagne et la France ont suivi et publié des déclarations condamnant l’apparente attaque. L’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, Ron Prosor, a appelé le Conseil de Sécurité à condamner l’incident en tant qu’attaque « terroriste ».
Cet épisode illustre la manière dont le racisme anti-arabe dans la société israélienne – que le Président Reuben Rivlin a récemment qualifiée de “malade” – rend possible la manipulation des faits dans le but de faire avancer l’agenda de l’extrême droite. Bien que l’élite laïque de Jérusalem à Tel Aviv puisse apparaitre partagée face aux aspirations du mouvement des colons à judaïser Jérusalem, elle les soutient pratiquement au nom des mesures de sécurité et de contre-terrorisme.
Sous prétexte de restaurer le calme, le gouvernement de Netanyahou intensifie la guerre d’Israël contre les Palestiniens à Jérusalem. Menés par Moshe Feiglin, le vice-président de la Knesset qui a appelé au génocide des Palestiniens, des colons extrémistes escortés par la police armée investissent de plus en plus souvent le jardin qui entoure la mosquée al-Aqsa – un site d’une immense importance pour l’Islam. La police agresse presque quotidiennement les fidèles palestiniens et, dans un geste qui pourrait allumer une Intifada, des législateurs israéliens vont prochainement voter sur la partition de la mosquée. Alors que Netanyahou excite les Israéliens et intensifie les attaques sur les Palestiniens, le futur de Jérusalem est tout sauf tranquille.
Dan Cohen
Source : « Under pretext of restoring calm, Netanyahu government is escalating Israel’s war on Palestinians in Jerusalem » dans Mondoweiss, 27/10/2014.