
La réaction cinglante de la communauté internationale à l’agression russe de l’Ukraine a montré la facilité avec laquelle il est possible de sanctionner des violations graves du droit international. Reste à sortir du « deux poids, deux mesures ».Par Gideon Levy
Imaginez qu’Israël envahisse la bande de Gaza une fois de plus. Les habituelles tueries, destructions et ruines. Des dizaines de milliers de civils fuient pour sauver leur vie après avoir perdu le peu qu’ils avaient. Les bâtiments s’effondrent comme des châteaux de cartes – et Israël continue comme à son habitude: Les pilotes bombardent, les chars avancent, les médias et la population israélienne applaudissent. Soudain, la communauté internationale prend une décision : Si Israël ne se retire pas immédiatement, il s’exposera à des sanctions. Si la bande de Gaza ne devient pas immédiatement une zone d’interdiction de survol et de bombardement, tous les vols à destination et en provenance d’Israël seront annulés. Israël essaie de se moquer du monde comme d’habitude, en invoquant les arguments de la légitime défense, du terrorisme et de l’Holocauste – et le monde sort alors la nouvelle arme de l’Apocalypse: il coupe Israël du système international de transfert bancaire et de communication SWIFT. (…)
Comme en Afrique du Sud
Sans SWIFT, Israël imploserait immédiatement. Peut-être que le géant russe autoritaire pourrait le supporter pendant un certain temps – mais pas Israël. En quelques jours, les capitaines de l’économie viendraient voir les chefs du gouvernement et de l’armée et leur diraient: « Arrêtez maintenant. Nous ne pouvons pas le supporter. » Tout comme les chefs d’entreprise de l’Afrique du Sud de l’apartheid sont venus voir le gouvernement blanc et lui ont dit: « Arrêtez. » (…)L’Armée de défense israélienne se retirerait, le siège serait levé, Gaza s’ouvrirait, pour la première fois depuis des années. Tout cela en un seul mouvement SWIFT.
Il y a encore deux semaines, un tel scénario aurait été considéré comme inimaginable. Mais peut-être qu’un nouvel ordre mondial est en train de prendre forme: à toute agression brutale contre des personnes sans défense et à tout acte de conquête, la communauté internationale répondra par des mesures politiques et économiques punitives. Les chars ne sont pas nécessaires pour faire bouger des États intransigeants tels qu’Israël. Un aéroport international Ben-Gourion fermé et des guichets automatiques vides feront l’affaire, certainement ici, dans cet État fragile et égoïste. Les Israéliens n’accepteront pas de payer indéfiniment un prix personnel pour des campagnes de destruction à Gaza, au Liban, en Syrie ou en Cisjordanie occupée.
Un changement d’époque ?
Il n’est pas question de savoir si Israël y résisterait – il n’essaierait même pas. L’indifférence des Israéliens face à ce que leur pays et leur armée sont en train de perpétrer sera immédiatement remplacée par l’inquiétude et la crainte pour leurs avoirs. Même les plus grands patriotes, les plus invétérés, les plus fervents adeptes de la guerre militaire, y repenseront. La question est de savoir si la communauté internationale en sera capable. C’est une chose de punir la Russie, mais Israël? Le chouchou de l’Occident? Qui oserait? Les mots «Israël» et «sanctions» n’ont jamais été associés auparavant. Jusqu’à présent, personne n’a jamais pensé à punir réellement Israël pour son mépris permanent et arrogant des résolutions des organismes internationaux. Peut-être que quelque chose d’important s’est produit en Ukraine. Peut-être qu’après la Russie, il ne sera plus possible de tout pardonner à Israël. Peut-être le monde se réveille-t-il ? (…)
Les Israéliens seront-ils prêts à payer de leur poche pour Evyatar (NDLR : colonie sauvage située face à la ville de Beita, voir bulletin n°90, 4e trim. 2021) ? (…) Continueront-ils à applaudir l’armée de l’air après chaque bombardement s’ils savent que chaque crime est suivi d’une punition? Dans la nouvelle réalité mondiale inconnue, tout est possible. Il est possible que, lorsque les canons se tairont, les choses reviennent à leur routine normale, avec Israël faisant ce qu’il veut et ignorant le monde qui l’arme, le couvre et le finance. Mais peut-être que ce ne sera pas le cas. À Washington, où cette chronique est écrite, de nouvelles voix se font déjà entendre. Elles pourraient grandir en force lorsque la guerre sera terminée et que le monde commencera à agir non seulement contre la minuscule Russie – mais aussi contre son enfant chéri, à qui tout est permis.
Une seule motion SWIFT – et l’occupation est terminée.
Article original publié le 5 mars 2022 sur Haaretz.com sous le titre « One SWIFT Motion and the Occupation Is Over ». Traduction : Ouardia Derriche
Sport : selon qu’on occupe l’Ukraine ou la Palestine… Par Gregory Mauzé ![]() crédit : Russel Cheyne Livepic «On ne mélange pas sport et politique », rappellent souvent les fédérations internationales sportives. Au nom de ce principe, la FIFA a, par exemple, toujours refusé de sanctionner Israël pour ses multiples entraves imposées au football palestinien (restriction de déplacements d’athlètes, ciblage de stades, interdictions de matches…), quand elle n’a pas de facto soutenu l’occupation, comme lorsqu’elle refusa de bannir six clubs israéliens situés dans les colonies. A l’inverse, elle impitoyablement sanctionné les supporteurs et joueurs manifestant ouvertement leur solidarité avec les Palestiniens, notamment lors des agressions israéliennes sur Gaza. Mais ça, c’était avant l’invasion de l’Ukraine. Il ne fallut en effet pas plus de quelque jours pour que la Russie soit exclue d’à peu près toutes les compétitions sportives. Comme les autres fédérations, la FIFA accueillit avec la plus grande bienveillance les manifestations de soutien à l’Ukraine des joueurs, des supporteurs et des clubs. En 2009, la Fédération sanctionnait pourtant Mohammed Aboutrika, capitaine de l’équipe égyptienne, pour avoir arboré en 2009 un T-Shirt « Sympathie avec Gaza » alors que la première agression massive de l’enclave battait son plein… S’il y aurait beaucoup à dire sur les raisons de cette asymétrie de traitement et ce qu’elle raconte de la hiérarchisation des peuples souffrants, on ne peut que se réjouir de la fin de la pseudo-neutralité sportive face à l’inacceptable. Espérons que le mouvement perdure, et surtout qu’à l’avenir, il n’ait plus pour boussole que le droit international et les droits humains, indépendamment de l’identité de l’oppresseur et de l’opprimé. |