
Netanyahu peut-il réellement être Charlie ?
Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo à Paris, le premier ministre israélien enchaine les sorties médiatiques liant les événements se déroulant en Europe à la situation israélo-palestinienne. Alors que les commentaires sur les événements récents sont pléthores, rares sont ceux qui dénoncent cette récupération, pourtant odieuse.
Le 11 janvier, de nombreux responsables politiques ont défilé ensemble à Paris lors de la marche organisée suite à l’attentat terroriste perpétré dans les locaux de Charlie Hebdo. Parmi eux, se retrouvaient trois représentants du gouvernement israélien : le premier ministre, Benjamin Netanyahou, le ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman et le ministre de l’industrie, du commerce et de l’emploi, Naftali Bennett. Et pourtant, la France ne désirait pas la présence des Israéliens afin d’éviter que la situation au Proche-Orient ne s’invite dans un débat tout autre. Mais apprenant la venue de Lieberman et Bennett à Paris, Netanyahou a fait fi de la volonté française et a décidé de venir. La veille de sa venue, il ose même le tweet suivant : « A tous les Juifs de France, tous les juifs d’Europe, je vous dis: Israël n’est pas seulement le lieu vers lequel vous vous tournez pour prier, l’Etat d’Israël est votre foyer ». Un tweet qui ne fut pas du goût des autorités françaises, dont Emmanuel Valls, qui malgré son attachement notoire aux intérêts de l’Etat d’Israël a rappelé l’attachement de la France à sa population juive.
Et c’est sans aucune gêne que Netanyahou remet le couvert suite à l’attaque de Copenhague en déclarant dans un communiqué à l’adresse des Juifs d’Europe : « Israël est votre maison. Nous nous préparons et appelons à l’absorption d’une immigration massive venant d’Europe ». Ce à quoi un représentant de la communauté juive danoise lui a – très justement – répondu : “Nous sommes très reconnaissants de la sollicitude de Benyamin Netanyahou mais, cela étant dit nous sommes Danois, nous sommes des juifs danois mais nous sommes Danois, et ce n’est pas la terreur qui nous fera partir pour Israël”. A noter que Netanyahou mentionne également un plan spécifique de 180 millions de shekels (40,7 millions d’euros) pour « l’absorption des immigrants venant de France, de Belgique et d’Ukraine ».
Le 21 janvier, alors qu’un Palestinien a poignardé de nombreux Israéliens dans un bus à Tel Aviv, Netanyahou fait à nouveau l’amalgame avec les attentats en Europe en disant : « la même terreur essaye de nous atteindre à Paris, à Bruxelles et partout ». Or les attentats palestiniens contre les Israéliens ne sont pas dus à l’antisémitisme mais bien à une occupation qui dure depuis plus de 45 ans.
Une telle récupération des attentats terroristes internationaux ne sont pas une première en Israël. Suite aux attentats du 11 septembre, Sharon aimait rappeler qu’Israël avait son « Ben Laden » en la personne de Yasser Arafat. Netanyahou a récemment qualifié le Hamas de succursale de l’Etat islamique. Les propos qu’il a tenus dans le cadre des récentes attaques en Europe sont donc dans la droite ligne de cette tendance israélienne, visant à justifier la répression imposée aux mouvements de résistance palestiniens.
Mais ce genre de récupération se fait d’autant plus récurrente qu’elle sert l’aura internationale du premier ministre israélien à la veille des élections législatives dans son pays. Si Netanyahou a insisté pour venir à Paris, c’est parce qu’il ne voulait pas laisser les retombées médiatiques de la marche de Paris ne profiter qu’à ses concurrents électoraux Lieberman et Bennett. Netanyahou prononce son allocution à la synagogue de Paris en hébreu. Lors de l’enterrement des quatre Juifs français assassinés par Amedy Coulibaly, à nouveau il s’exprime en hébreu. Cela prouve bien qu’il s’adresse en priorité à ses électeurs israéliens et non aux Juifs de France.
Ces récupérations sont d’autant plus inacceptables qu’elles viennent du leader d’un pays où la liberté d’expression est sans cesse bafouée. Comme le soulignait un article d’opinion du dessinateur israélien Ido Amin publié dans le quotidien israélien Haaretz, Charlie Hebdo n’aurait même pas le droit d’exister en Israël. Il existe en effet une loi qui interdit toute expression pouvant offenser les sensibilités religieuses. La liberté de la presse est également peu de mise dans le Territoire palestinien occupé. Cet été, 17 journalistes ont été tués à Gaza par des tirs et des bombardements israéliens, alors qu’ils étaient clairement identifiables comme faisant partie de la presse. Mohammed Sabaneh, caricaturiste palestinien a été emprisonné par les forces d’occupation israéliennes en 2013 par pour le seul fait de faire des caricartures sur le traitement infligé aux prisonniers palestiniens dans les prisons israéliennes. Rappelons également le sort du caricaturiste palestinien Naji al-Ali, père du célèbre personnage Handala, assassiné à Londres en 1987. Les soupcons pesant sur le Mossad, Margaret Thatcher décida d’ailleurs d’en fermer les bureaux à Londres suite à cet assassinat.
Que Netanyahou ose se positionner comme un défenseur de la liberté d’expression relève donc de la plus évidente supercherie. Mais outre le dégout causé par l’attitude du dirigeant israélien, c’est aussi le peu de réactions des médias face à de telles récupérations qui est de nature à choquer. Qu’un leader ultranationaliste utilise le moindre événement pour renforcer sa posture électorale est somme toute logique. Que la majorité de la presse en parle sans aucune mise en perspective ni critique l’est beaucoup moins. Espérons que face aux futurs discours fallacieux des leaders israéliens, la presse ose jouer son rôle de 4e pouvoir et relever leur totale incohérence et leur caractère odieux.
L ‘Association Belgo-Palestinienne