En dépit des protestations, les directives de l’UE n’auront que peu d’effet sur les colonies

Non seulement les directives de l’UE affecteront peu l’économie de l’occupation, mais elles pourraient également conférer une légitimation aux activités commerciales qui, bien que se déployant en deçà de la Ligne verte, récoltent d’énormes profits issus de l’occupation.

Contrairement à ce que prétendent des rapports de presse erronés, les nouvelles directives de l’Union européenne n’imposent pas un boycott des colonies, mais reflètent en fait la notion trompeuse de deux systèmes économiques indépendants séparés par les frontières de 1967 . Néanmoins, un précédent a été créé.

Selon les nouvelles directives publiées le mois dernier par l’UE, les diverses institutions de l’UE ne peuvent plus financer ou attribuer des prix et subventions aux sociétés commerciales, institutions publiques et organisations qui travaillent dans les colonies. Mais qu’est-ce que ces directives vont entraîner, dans la pratique ?

Les nouvelles directives ont envoyés des ondes de choc aussi bien dans les médias israéliens qu’internationaux. De nombreux comptes rendus ont suggéré que les institutions européennes cesseraient de financer les organisations et institutions publiques et commerciales directement impliquées dans les colonies installées dans les territoires palestiniens et syriens occupés – c’est-à-dire au-delà des frontières de 1967. En fait, il ne s’agit pas de directives contraignantes, mais plutôt de simples directives constituant une recommandation. Leurs pouvoirs contraignants ne s’appliquent qu’à des entités opérant directement pour le compte de l’UE et non pas de chaque État membre de l’UE considéré séparément. Néanmoins, selon les recommandations, les institutions académiques et gouvernementales, de même que bon nombre de compagnies israéliennes et internationales, peuvent cesser de bénéficier des subventions de l’UE aussi longtemps qu’elles maintiendront leurs activités dans les territoires occupés.

Une entité qui sera directement et manifestement touchée par ces recommandations est la firme de cosmétiques Ahava. La société, dont l’usine est installée dans la partie de la mer Morte située dans les territoires occupés, participe à plusieurs projets de recherche financés chaque année par l’UE. Dans ce cas précis, comme dans bien d’autres, bien que l’adresse officielle de la société soit enregistrée à Ben Gurion Airport City, son seul site de production est situé dans la colonie de Mitzpe Shalem (comme en témoigne l’énorme centre d’accueil des visiteurs bâti par la société à proximité de son usine). Et pourtant, les nouvelles recommandations de l’UE laissent des failles administratives qui pourraient permettre aux institutions et sociétés israéliennes comme Ahava d’éviter aisément les implications. Une société, par exemple, peut mentionner une adresse en deçà des frontières de 1967 et néanmoins garder un site de production situé au-delà de la Ligne verte. La seule chose qui pourrait faire apparaître ces sociétés pour ce qu’elles sont réellement, c’est le fait que l’UE demande qu’elles déclarent officiellement ne se livrer à aucune activité dans les territoires occupés ; pourtant, même cette déclaration ne concerne que des activités faisant partie des recherches spécifiques soutenues par les subventions. Quoi qu’il en soit, l’ambiguïté est une tactique bien connue des sociétés pour déguiser leurs activités en général, et spécifiquement celles qu’elles mènent dans les territoires occupés.

Les directives de l’UE proposent une définition très étroite des activités au-delà de la Ligne verte. Elles ne concernent pas les services fournis aux colonies, ni même le financement, mais strictement les activités à l’intérieur des territoires occupés – également définies par des critères nébuleux et perçues par le biais d’une analyse de l’économie israélienne qui représente à peine la réalité sur le terrain.

La part du lion de l’économie israélienne est impliquée d’une façon ou d’une autre dans les activités commerciales se déroulant dans les territoires occupés. Prenez les banques, par exemple. Les banques israéliennes financent des projets de construction et d’infrastructure au-delà de la Ligne verte, accordant des prêts hypothéqués aux colonies et d’autres prêts encore aux municipalités situées en Cisjordanie. La plupart des banques ont des agences dans les colonies. Même s’il devait arriver un jour que les banques ferment leurs filiales dans les colonies, ne seraient-elles toujours pas impliquées directement dans les territoires occupés ? Le financement et la consultance financière ne constituent-ils pas un soutien à l’occupation illégale de la Cisjordanie ?

Les définitions floues de l’UE laissent beaucoup d’espace aux interprétations et soulèvent des questions quant à leur application future. Comment la Ligne verte va-t-elle être redessinée ? Quels genres de transactions l’UE va-t-elle définir en tant qu’activités dans les colonies ? Et quid des contrats à long terme ? D’un certain pourcentage de propriété ? Et que vont-elles devoir faire des sociétés apparentées et des filiales ? La compagnie de téléphones cellulaires Cellcom, par exemple, a installé des centaines d’antennes et d’équipements d’infrastructure cellulaire dans toute la Cisjordanie et elle gère même des filiales à Ariel, Modi’in Illit, Beitar Illit et dans divers faubourgs de Jérusalem-Est. IDB, avec ses holdings dans Cellcom Israel (par le biais de la Discount Investment Corporation), va-t-elle être considérée comme étant directement impliquée dans les territoires occupés, en vertu des activités de sa filiale ?

Contrairement à ce que prétendent les médias, les recommandations ne signifient pas un boycott des colonies. Dans la pratique, ces recommandations signifient que toutes les entités opérant en Israël même et en dehors des frontières de 1967 doivent établir une distinction entre les colonies et Israël. Pourtant, cette distinction est mal adaptée au système économique qui s’est développé en Israël-Palestine. Par conséquent, non seulement elle ne peut guère affecter l’économie d’occupation, mais elle peut également conférer une légitimation à des activités commerciales qui, bien qu’elles soient censées avoir lieu en deçà de la Ligne verte, engrangeraient d’énormes profits issus de l’occupation. La logique qui sous-tend les recommandations de l’UE reflète une perception de deux systèmes économiques indépendants qui ne tient absolument pas debout.

Il semble que l’UE ait consolidé sa politique à propos de l’économie d’occupation, et ses présentes directives en font partie. Une directive concernant l’étiquetage des produits des colonies doit suivre. Hormis la signification symbolique largement mentionnée qu’on en a déduite, il semble qu’appliquer ces recommandations pourrait requérir de nombreuses ressources administratives. L’UE ne spécifie pas que des sanctions doivent être appliquées à des sociétés produisant de fausses déclarations à propos de leurs activités dans les territoires occupés et il n’y a aucune garantie qu’il pourrait même y avoir des sanctions. Les sociétés installées dans les colonies ont déjà prouvé leur capacité d’échapper aux régulations, comme dans le cas des accords commerciaux entre l’UE et Israël à propos des tarifs ; le gouvernement israélien alloue des compensations aux colonies quand celles-ci sont exclues des accords commerciaux entre l’UE et Israël, payant ainsi la note lui-même lorsque ces sociétés sont priées de payer les tarifs. Dans ce cas, une fois encore, le gouvernement israélien trouvera très vraisemblablement un moyen de prendre la tangente par rapport aux recommandations de l’UE ou de carrément neutraliser ces dernières par des moyens diplomatiques.

Néanmoins, ces recommandations de l’UE, qui constituent un précédent, équivalent à une prise de position contre la légitimité des colonies israéliennes situées au-delà des frontières de 1967. Le fait que ces recommandations sont issues des pressions intenses maintenues par des activistes et des mouvements politiques sert à montrer que la lutte contre l’occupation peut effectivement produire un changement même au niveau international. Pour l’instant, l’effet de ces recommandations est surtout limité à l’opinion publique. Mais, si l’UE se maintient sur cette voie en clarifiant les critères d’implication dans l’occupation et en appliquant ses recommandations au sens strict, il existe une réelle possibilité que, pour la première fois, des sociétés israéliennes vont être forcées de tenir compte de la rentabilité du maintien de leurs activités dans les territoires occupés.

Source :Les auteurs sont membres du projet de recherche de Who Profits sur l’occupation.
La version originale (en anglais) de cet article a été publiée dans +972 Magazine le 17 août 2013.Who profits.

Traduction : JM Flémal sur Pourlapalestine.be

Photo : Who profits
Who Profits ? (Qui profite?), un projet de la Coalition des Femmes pour la Paix, à Tel-Aviv

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