Quand la religion sert d’alibi à une guerre contre les Palestiniens

Les conflits entourant les lieux saints de Jérusalem, présentés comme de nature exclusivement religieuse, sont en réalité souvent intrinsèquement liés au projet de domination du peuple palestinien.

Par Marianne Blume

Depuis toujours, se produisent des affrontements, des incursions de soldats ou d’extrémistes religieux juifs accompagnés de soldats sur l’esplanade des Mosquées (Haram ash-sharif) à Jérusalem, sans parler des provocations de personnalités politiques élues comme Sharon hier (en 2002) ou Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale aujourd’hui (en janvier 2023).

Des soldats sont entrés dans la mosquée, ont détruit, ont tiré sur la foule, lancé des grenades lacrymogènes, ont tué des Palestiniens et en ont arrêté des centaines d’autres. Des membres du Waqf* chargés de la protection du lieu saint ont aussi été arrêtés. Un des pires moments a été celui de la mise en place de détecteurs de métaux autour de l’esplanade (2017). Mais d’autres événements ont été tout aussi violents. En 2015, les musulmans ont été interdits de se rendre à la mosquée entre 7 et 11 heures, ce qui a eu pour conséquence la répression féroce des manifestants qui revendiquaient « Prier à la mosquée Al Aqsa est mon droit ». En 2022, le bilan des confrontations entre Palestiniens et police sur l’esplanade était de 135 blessés et de plus de 400 arrestations…

Bien sûr, ceux qui défendent les lieux ou se défendent sont des musulmans palestiniens. Dès lors, s’agit-il d’une guerre de religion entre juifs et musulmans ?

Le « Statu quo », un cadre juridique censé protéger les lieux saints

Suite à la guerre de 1967 et à la prise de Jérusalem-Est (annexée par la suite et, selon le droit international, toujours territoire occupé), Israël a reconnu l’arrangement du « Statu quo » comme cadre juridiquement contraignant régissant l’administration du complexe d’Al-Aqsa. Cet arrangement, mis en place par le pouvoir ottoman et reconnu internationalement par le Traité de Berlin (1878), concernait tous les lieux saints, chrétiens comme musulmans. Dans le cas de l’esplanade des Mosquées, en vertu du Statu quo, les parties impliquées sont tenues de s’abstenir d’y apporter toute modification à l’un de ses éléments. Ces éléments comprennent les règles d’accès (y compris les heures de visite, le nombre de visites, les zones ouvertes aux visites et les règles de conduite prévalentes) ; le contrôle de la zone (y compris les fouilles et l’entretien) ; les rituels religieux et les prières (y compris leur nombre et leur horaire); et les règles concernant la tenue vestimentaire, le caractère du site et les protocoles de police et de sécurité. Les modifications apportées à l’une de ces composantes par une partie constituent une violation de l’arrangement du statu quo.
Pratiquement, la Jordanie (via son waqf) est reconnue responsable de l’administration de l’esplanade tandis qu’Israël est chargée de sa sécurité (accords de paix entre Israël et la Jordanie de 1994). Dans les faits, Israël contrôle les entrées pour les musulmans comme pour les non-musulmans, décide des heures de visite et du nombre de visiteurs, parfois interdit carrément l’accès à l’esplanade aux musulmans ou décide de l’âge auquel on peut y accéder, interdit les réfections sur le site, n’hésite pas à arrêter des membres du waqf chargés de la protection des lieux et ne se conforme pas aux règles vestimentaires pour les visiteurs. Allant plus loin, Israël permet à des groupes de religieux juifs d’entrer sur l’esplanade, sous la protection de la police, sans coordination avec le waqf. Or ces groupes non seulement provoquent les fidèles musulmans mais encore veulent prier et pratiquer leurs rites (2022), ce qui est interdit par le Statu quo et par les autorités religieuses juives dominantes.

Les mouvements du mont du Temple

D’après les grands rabbins ashkénazes et séfarades d’Israël et des centaines d’autres rabbins depuis 1967 jusqu’à récemment, la loi religieuse juive interdit aux Juifs de se rendre sur l’esplanade des Mosquées, emplacement supposé du temple de Salomon détruit. Ce consensus a tenu jusque dans les années 90′.

Mais depuis les Accords d’Oslo, des mouvements religieux extrémistes (plus de 40) revendiquant le mont du Temple (nom donné par les Juifs à l’esplanade des Mosquées) ont acquis une influence grandissante. Pour schématiser, ils réclament le droit de se rendre à Al Aqsa pour y prier et y sacrifier, premier pas pour poser les fondations d’un troisième Temple qui sera construit sur les ruines de la mosquée. Les plus connus sont : les Fidèles du Mont du Temple et l’Institut du Temple. Après 30 ans d’activité, ils ont réussi à atteindre des résultats impressionnants au sein du public religieux national : ils ont réussi à changer la position religieuse sur l’interdiction de l’ascension au « Mont du Temple » parmi le Conseil des Rabbins du Yesha (comité représentants des colonies de Cisjordanie) et même à diviser le public haredi, pour lequel la reconstruction du Temple en tant que programme pratique était autrefois tout à fait inconcevable. Concrètement, les colonies et les yeshivas (instituts d’enseignement du Talmud et de la Thora) sont les pépinières de ce mouvement.

Un soutien officiel

Une grande partie de ces associations sont reconnues officiellement par l’Etat d’Israël, qu’elles soient de type éducatif ou qu’elles promeuvent la construction d’un bain rituel ou d’une synagogue ou encore du troisième Temple à l’emplacement de l’esplanade des Mosquées. Par ailleurs, la police protège systématiquement leurs manifestations. Elle sert aussi d’escorte aux Juifs qui entrent sur l’esplanade et elle n’hésite pas à s’en prendre aux fidèles musulmans présents.

Enfin, l’Etat d’Israël finance certaines de ces organisations comme l’Institut du Temple ou le Temple Mount Heritage Foundation. Il permet aussi leur propagande dans les écoles, y compris dans les jardins d’enfants. L’Institut du Temple est particulièrement soutenu, il est reconnu par le ministère de l’Éducation en tant qu’organisme éducatif et reçoit régulièrement la visite de groupes d’écoliers et de soldats. La Midrasha, bras éducatif de l’Institut, organise des séminaires sur le Temple et les rites du Temple pour les inspecteurs, directeurs, enseignants et étudiants.

Les interventions de membres de la Knesset ou du gouvernement en faveur de ces mouvements ne sont pas nouvelles. Mais dans l’actuel gouvernement d’ultra-droite, leurs sectateurs sont en bonne place. Le meilleur représentant en est Ben Gvir. En tant que ministre de la Sécurité nationale, il contrôle la police, qui détermine la politique sur le mont du Temple. Or, défenseur du Temple, il a déclaré qu’il voulait mettre fin au «statu quo » et à « l’apartheid » (sic) qui discrimine les Juifs.

Fausse guerre de religion, vraie guerre contre les Palestiniens

Que l’esplanade des Mosquées et que le mur des Lamentations aient une importance religieuse emblématique, respectivement pour les musulmans et les juifs, ne fait aucun doute. Néanmoins, derrière les revendications des mouvements du Temple se profilent ouvertement des revendications sionistes nationalistes et leurs liens ou leur adhésion à des partis comme celui de Ben Gvir en est la preuve. Par ailleurs, comme on l’a vu plus haut, des ministères les soutiennent, y compris financièrement.
Pour les Palestiniens, Al Aqsa est plus qu’un symbole religieux, c’est aussi un symbole identitaire national. Les attaques contre l’esplanade des Mosquées s’inscrivent clairement dans une stratégie israélienne de plusieurs décennies visant à judaïser Jérusalem et à la débarrasser de son patrimoine palestinien, chrétien comme musulman. En réalité, les agissements des groupes religieux juifs ultranationalistes ne constituent pas une simple question d’accès des juifs au lieu saint, mais une question de prise de contrôle de l’une des icônes centrales de la culture palestinienne. Ce que, entre autres, Moshe Feiglin, vice-président du parlement israélien, du parti Likoud, confirmait en 2013 sans ambiguïté : « Soyons honnêtes. La lutte ici n’est pas une question de prière. Les Arabes ne voient pas d’inconvénient à ce que les Juifs prient Dieu. Pourquoi devraient-ils s’en soucier ? Nous croyons tous en Dieu. La lutte porte sur la souveraineté. C’est ça la vraie affaire ici. L’affaire ne parle que d’une chose : la souveraineté. » Ce que ne dément pas l’actuel ministre de la Sécurité nationale, Ben Gvir.

Il est dès lors clair qu’Israël masque la prise de contrôle totale de Jérusalem sous la dimension religieuse. La lutte des Palestiniens pour la mosquée Al Aqsa est une résistance à l’occupation illégale et elle englobe tous les Palestiniens, qu’ils soient chrétiens ou musulmans.

* Waqf, pluriel awqaf, désigne en droit islamique des donations faites à perpétuité, dont l’usufruit est consacré à une institution religieuse, charitable ou d’utilité publique »Ici, il désigne un organisme dépendant de la Jordanie, qui gère les lieux saints musulmans de la Veille ville de Jérusalem.

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