Synthèse Al-Shabaka (« Le réseau de politique palestinienne »)
23 novembre 2011
Victor Kattan
Aperçu
Les détracteurs de la politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens font fréquemment usage du terme « apartheid » – Afrikaans pour « séparation ». Mais cette affirmation selon laquelle Israël pratiquerait un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien est-elle justifiée ou s’agit-il

d’une provocation sans bien-fondé? La troisième session du Tribunal Russell sur la Palestine récemment convoqué à Cape Town, en Afrique du Sud, porta précisément sur cette question. Pourquoi les défenseurs d’Israël réagirent-ils si fortement contre le Tribunal – une initiative populaire, sans aucun pouvoir dans les relations étatiques -, allant même jusqu’à pirater son site Internet, mais gardant le silence après que ses conclusions furent déposées? La conclusion du Tribunal selon laquelle Israël applique un système d’apartheid au peuple palestinien entier, y compris ses propres citoyens, peut-elle résister à l’examen? Quelle importance revêt-elle, que signifie-t-elle pour la société civile en Palestine et dans la Diaspora – ainsi que pour Israël et ses partisans? Dans cet article, Victor Kattan, Directeur des Programmes du réseau Al-Shabaka, définit l’apartheid au regard du droit international, met en évidence les conclusions du Tribunal et en dégage la portée.
Le Tribunal Russell sur la Palestine
Le premier Tribunal Russell fut fondé en 1966 par l’aristocrate britannique et philosophe Sir Bertrand Russell pour informer et mobiliser l’opinion publique contre l’implication états-unienne dans la guerre du Vietnam. Un second Tribunal Russell fut convoqué sur l’Amérique latine, qui consacra ses travaux aux violations des droits humains en Argentine, au Brésil et au Chili.
Le Tribunal Russell sur la Palestine (TRP) a été créé en 2009, juste après l’offensive israélienne dans la bande de Gaza durant l’opération « Plomb durci », au cours de laquelle plus de 1.400 Palestiniens ont été tués dans ce que la Mission d’information de l’ONU nomma « une attaque délibérément disproportionnée visant à punir, humilier et terroriser une population civile ». 1 Les fondateurs du TRP, un large groupe de citoyens engagés dans la promotion de la paix et la justice au Moyen-Orient, étaient préoccupés également du fait que la communauté internationale avait échoué à mettre en œuvre l’avis consultatif de 2004 de la Cour internationale de Justice concernant la construction d’un mur sur le territoire palestinien occupé. 2
Le TRP ne doit pas être confondu avec une cour de justice. C’est un tribunal des peuples. Ses procédures sont néanmoins similaires aux étapes préliminaires du modèle inquisitoire de la procédure pénale, selon lequel au départ d’une plainte un juge d’instruction est chargé d’investiguer activement en vue de déterminer si le contenu de celle-ci donne effectivement matière à procès. 3
Le jury qui s’est réuni du 5 au 7 novembre 2011 à Cape Town pour la troisième session du TRP se composait de Stéphane Hessel, un survivant de l’Holocauste et ancien diplomate français ayant contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et de Ronnie Kasrils, un membre juif du Congrès national africain ayant participé au gouvernement sud-africain post-apartheid. 4 Mairead Maguire, lauréate du Prix Nobel de la Paix pour son travail en Irlande du Nord, Alice Walker, l’auteure afro-américaine du roman La couleur pourpre qui obtint le Prix Pulitzer, Cynthia McKinney, une ancienne parlementaire états-unienne qui fut la première femme afro-américaine à avoir représenté l’État de Géorgie à la Chambre des représentants des Etats-Unis d’Amérique, et Yasmin Sooka, membre de la Commission sud-africaine Vérité et Réconciliation, étaient également membres du jury avec l’avocat britannique Michael Mansfield QC et Antonio Martin Pallin, un ancien juge de la Cour suprême espagnole. Le jury était chargé d’évaluer si en vertu du droit international, les pratiques d’Israël à l’encontre du peuple palestinien constituent une violation de l’interdiction d’apartheid. La décision d’accueillir le Tribunal dans le musée de District Six était hautement symbolique, car ce lieu commémore la destruction et le déplacement forcé de la communauté multiculturelle du quartier de District Six à Cape Town par le gouvernement de l’apartheid dans les années 1970.
L’archevêque Desmond Tutu ouvrit officiellement le Tribunal par un discours inaugural. Les 25 témoins appelés à se présenter devant le TRP étaient tous experts dans leurs domaines respectifs. Ils soumirent des dépositions écrites que les juges purent examiner préalablement, tandis qu’au cours des sessions publiques du Tribunal ils furent priés de présenter ces dépositions et, dans certains cas, de répondre aux questions qui leur étaient posées par le jury.
Le gouvernement israélien fut invité à exposer son cas devant le Tribunal, mais il a choisi de ne pas exercer ce droit et n’a pas répondu aux courriers du TRP. Le fait qu’Israël n’ait pas présenté ses arguments n’invalide pas les conclusions du Tribunal, puisque le jury était en mesure de prendre en compte la position du gouvernement israélien à partir d’un matériel disponible au grand public et de la réaction de la Fédération sioniste sud-africaine.
Qu’est-ce que l’apartheid?
L’apartheid est fréquemment associé avec le système de discrimination raciale manifeste qui existait en Afrique du Sud entre les années 1948 et 1994, ainsi que dans le Sud-Ouest africain (Namibie) entre 1948 et 1990. Un système similaire de discrimination existait en Rhodésie (actuel Zimbabwe) entre 1965 et 1979. Que l’apartheid ait été un système de gouvernement pas seulement propre à l’Afrique du Sud explique pourquoi la Convention sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (la Convention de 1973 sur l’Apartheid) définit l’apartheid comme un crime « qui englobe les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe ». Il était entendu, pour ceux qui ont rédigé cette Convention, que le fait que c’était en Afrique australe qu’avait cours l’apartheid dans les années 1970 ne voulait pas dire que celui-ci n’était pas reproductible ailleurs. 5
L’apartheid est défini par la Convention de 1973 sur l’Apartheid comme « actes inhumains commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ». Une définition similaire de l’apartheid se trouve dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale. L’interdiction de l’apartheid s’applique à toute situation où (1) deux groupes raciaux distincts peuvent être identifiés; (2) des « actes inhumains » sont commis contre le groupe subordonné; et (3) de tels actes sont commis de manière systématique dans le cadre d’un régime institutionnalisé de domination d’un groupe sur l’autre.
Des témoignages d’experts soumis au Tribunal attestent du fait que les perceptions, tant propres qu’extérieures, de l’identité juive israélienne et de l’identité palestinienne démontrent que les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens peuvent aisément, aux fins du droit international, être définis comme groupes raciaux distincts. A cet égard, le TRP a considéré que tous les Palestiniens, ceux qui vivent en Israël, ceux qui vivent dans les territoires occupés et les réfugiés, constituent une entité collective du peuple palestinien; ils furent donc tous pris en compte pour déterminer si les pratiques d’Israël envers les Palestiniens enfreignent l’interdiction d’apartheid selon le droit international.
Au regard de celui-ci, la pratique de l’apartheid est tout autant considérée comme une violation grave d’une obligation internationale que comme un crime international. Le crime d’apartheid découle du droit pénal international et l’interdiction des pratiques d’apartheid provient des législations relatives aux droits humains, en particulier des traités qui interdisent la discrimination raciale.
Les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine
Le TRP a conclu qu’« Israël soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination considéré comme apartheid en vertu du droit international ».
Il explique que « ce régime discriminatoire se manifeste sous une intensité et des formes variables à l’encontre de différentes catégories de Palestiniens selon le lieu de résidence ». Que « les Palestiniens vivant sous le régime militaire colonial en territoire palestinien occupé sont soumis à une forme d’apartheid particulièrement grave ». Que « les citoyens palestiniens d’Israël, bien qu’autorisés à voter, ne font pas partie de la nation juive en vertu du droit israélien et sont de ce fait privés des avantages liés à la nationalité juive et soumis à une discrimination systématique touchant un large spectre de droits humains reconnus ».
Indépendamment de ces différences, le Tribunal conclut que « l’application de l’autorité israélienne sur le peuple palestinien, quel que soit le lieu de résidence, équivaut dans son ensemble à un régime intégré unique d’apartheid ».
Cette assertion selon laquelle les politiques d’Israël envers les Palestiniens équivalent dans leur ensemble à un régime unique intégré d’apartheid peu importe où ils résident, faisant référence uniquement à l’intensité avec laquelle est pratiqué l’apartheid à l’encontre de catégories spécifiques de Palestiniens, est sans doute l’élément le plus controversé des conclusions du TRP. Des études antérieures sur l’apartheid, par exemple, n’ont considéré le régime israélien qu’en territoire palestinien occupé. 6 Une des raisons pour lesquelles de précédentes études n’ont pas examiné si l’apartheid existe en Israël pourrait être que l’affaire dans le cas d’Israël était considérée comme moindre. Et ce du fait qu’une caractéristique particulière de l’apartheid en Afrique du Sud était le refus du droit de vote aux sud-africains de peau noire, alors qu’en Israël, le droit de vote ou celui de former des partis politiques ne sont pas refusés à la minorité palestinienne.
Cependant, afin de satisfaire aux dispositions de la Convention de 1973 sur l’Apartheid, il n’est pas nécessaire de montrer que l’apartheid sud-africain est reproduit exactement à l’identique ailleurs. En effet, cette Convention sur l’Apartheid ne fait même pas référence à la restriction du droit de vote dans la longue liste d’exemples d’apartheid explicitement mentionnés en son Article II. Certes, cela pourrait avoir été dû à des différences idéologiques, dans le sens où un vote libre et juste n’était pas courant pour les pays communistes qui furent des instruments de remise en question de l’apartheid et du colonialisme, ouvrant la voie à l’adoption de la convention de 1973 sur l’Apartheid.
Il est cependant également possible que les rédacteurs de la Convention aient pu être d’avis que dénier aux Africains le suffrage n’était qu’un aspect, et en soi pas le plus important, des nombreuses mesures législatives « destinées à empêcher un groupe racial ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays » (cf. Article II, c, 1973 Convention sur l’Apartheid). En Rhodésie, par exemple, les Africains pouvaient voter, mais seulement sur un rôle distinct, ce qui limitait le nombre de représentants qu’ils pouvaient élire au Parlement. Cela signifie qu’ils n’ont jamais été en mesure de contester les lois et les politiques de la minorité blanche. 7 Un argument similaire pourrait être opposé à Israël. Bien que les Palestiniens puissent voter et former des partis politiques en Israël, leurs activités sont limitées par le présupposé qu’Israël soit un Etat juif, l’électorat palestinien et ses représentants à la Knesset (mot hébreu pour le Parlement d’Israël) n’ayant dès lors dans les faits aucune chance de changer cela.
Une autre caractéristique commune avec l’apartheid tel qu’il était pratiqué en Afrique australe est celle de la domination effective d’une population par une minorité. En Rhodésie, ce ne furent pas plus de 3% de la population qui régnèrent sur les autres 97%. Les premiers étaient blancs, ces derniers étaient noirs. De même, en Afrique du Sud, les 20% de la population qui étaient blancs régnaient sur les 80% restants qui étaient noirs. La population palestinienne d’Israël à l’intérieur des frontières de 1967 ne se chiffrant qu’à quelque 22%, les détracteurs de la comparaison entre Israël et l’Afrique du Sud soulignent généralement le fait que les Palestiniens sont une minorité en Israël. La faiblesse de cet argument provient de ce que la Convention de 1973 sur l’Apartheid ne formule rien d’explicite se rapportant à la quantification d’une situation de domination par une minorité. Quoiqu’il en soit, la population palestinienne sous contrôle israélien, y compris celle des territoires palestiniens occupés, est largement plus importante que le pourcentage invoqué. La comparaison avec l’Afrique australe devient par ailleurs encore plus évidente dès lors que sont pris en compte également les réfugiés palestiniens et les Palestiniens qui furent déplacés en 1948 et 1967.
La pertinence de l’emploi du mot « apartheid »
Ceux qui se refusent à qualifier d’apartheid la politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens savent combien l’usage de ce terme est sensible étant donné que l’apartheid est universellement reconnu comme un crime contre l’humanité. 8 Ceux qui participent à un tel crime s’exposent à de graves conséquences. Ceci pourrait expliquer que préalablement au TRP, le juge Richard Goldstone ait publié un op-ed dans le New York Times, faisant valoir qu’il est erroné d’utiliser le mot « apartheid » dans le chef d’Israël puisque « les Arabes israéliens – 20% de la population d’Israël – votent, ont des partis politiques ainsi que des représentants à la Knesset, et occupent des postes prestigieux, notamment à la Cour suprême. » 9 Ce que le juge Goldstone ne relève pas, c’est la multitude de problèmes associés aux pratiques discriminatoires d’Israël envers ses citoyens palestiniens dans de nombreuses autres sphères de la vie publique, telle la restriction de leur accès aux droits de résidence, à la propriété foncière, à la planification urbaine, aux services, ainsi qu’aux droits sociaux, économiques et culturels.
Comme le fait observer le TRP, « le système juridique israélien accorde un statut privilégié aux Juifs par rapport aux non-Juifs à travers ses lois sur la citoyenneté et la nationalité juive, celles-ci ayant créé un groupe privilégié dans la plupart des domaines de la vie publique ». En ce qui concerne la Cisjordanie, le TRP exprime sa préoccupation au sujet de la séparation et de la discrimination institutionnalisées que révèle l’existence de deux systèmes juridiques entièrement séparés: « les Palestiniens sont soumis au droit militaire appliqué par des tribunaux militaires bien éloignés des normes internationales en fait de procès équitable; les Juifs israéliens vivant dans des colonies de peuplement illégales sont soumis au droit civil israélien dépendant de tribunaux civils. Avec par conséquent, selon le groupe auquel on appartient, une procédure et une condamnation très différentes pour le même crime, commis dans la même juridiction ».
Notons que l’étendue des pratiques d’apartheid du régime israélien est délibérément occultée. A la différence de la législation d’apartheid sud-africaine, explicite et aisément disponible, un grand nombre de lois israéliennes sont inaccessibles. Les ordres militaires sont par exemple rarement publiés, et toute loi est publiée en Hébreu. Bien que la législation israélienne soit censée être publiée en Hébreu, qui est la langue parlée par ses citoyens juifs mais ne l’est pas par ses citoyens arabes, elle pose beaucoup de difficultés de compréhension aux lecteurs ne maîtrisant pas l’Hébreu.10 En Afrique du Sud, la discrimination était flagrante, et les lois publiées en Afrikaans comme en Anglais, la lingua franca, rendaient leur compréhension aisée pour l’Occident.
A noter également la plainte déposée auprès du Comité d’éthique de la Knesset, alors que le TRP était en cours, par un membre de la Knesset du parti «centriste» Kadima, Otniel Schneller, visant à retirer la citoyenneté israélienne à Haneen Zoabi, députée arabe israélienne à la Knesset et témoin devant le TRP. O. Schneller a déclaré au Jerusalem Post qu’elle souhaitait faire expulser de la Knesset H. Zoabi ainsi que Jamal Zahalka, un collègue parlementaire palestinien du parti arabe israélien Balad, en raison d’un voyage qu’ils auraient fait tous deux en Turquie, en raison également de la comparution de Zoabi en qualité de témoin devant le TRP. « Ils devraient aller au Parlement de Gaza, auquel ils appartiennent », déclarait O. Schneller au Jerusalem Post, faisant référence à eux comme à une «cinquième colonne », à des « ennemis de l’Etat agissant de l’intérieur. » 11
L’article II (f) de la Convention de 1973 sur l’Apartheid stipule que « persécuter des organisations ou des personnes, en les privant des libertés et droits fondamentaux, parce qu’elles s’opposent à l’apartheid » relève en soi du crime d’apartheid.
Les répercussions du constat d’apartheid
Avant que ne commence à Cape Town la troisième session du Tribunal Russell sur la Palestine , il y eut dans les médias un flot de rapports critiques, en ce compris la polémique Goldstone dans le New York Times. A mentionner ici également: des manifestations de rue, a et finalement le piratage du site officiel du TRP juste avant que ses conclusions furent rendues. On peut se demander si de telles actions servirent les intérêts d’Israël puisqu’en fin de compte, elles attirèrent plus d’attention sur le TRP et le régime israélien d’apartheid que ceux-ci n’en auraient reçue sans cela dans la presse internationale. En Afrique du Sud, le TRP a saturé les journaux locaux; il y eut de fréquents op-eds et plusieurs longs articles de fond. Tous les grands journaux d’Afrique du Sud ont couvert la conférence de presse au cours de laquelle Michael Mansfield QC a lu les conclusions du Tribunal. L’un de ceux-ci a même consacré une partie de sa première page au TRP. Comparée à celle des sessions précédentes du TRP, la couverture médiatique de la session de Cape Town fut un grand succès.
L’un des aspects intrigants du TRP est le silence d’Israël et de ses partisans depuis la publication de ses conclusions. Ceci est probablement délibéré, Israël ne souhaitant sans doute pas attirer l’attention sur les recommandations du TRP. Celles-ci contiennent un appel aux Etats à « exercer une pression suffisante sur Israël, notamment par l’imposition de sanctions ou la rupture des relations diplomatiques, que ce soit collectivement par l’intermédiaire d’organisations internationales ou, en l’absence de consensus, à titre individuel par la rupture des relations bilatérales avec Israël ».
Le TRP a également appelé la société civile mondiale à « reproduire l’esprit de solidarité qui a contribué à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, notamment par la conscientisation des parlements nationaux au sujet des conclusions de ce Tribunal et par le soutien à la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) ». Une autre des recommandations du TRP est de faire appel à l’Assemblée générale des Nations Unies en vue de « reconstituer le Comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid et de convoquer une session extraordinaire pour examiner la question de l’apartheid contre le peuple palestinien ». À cet égard, le Tribunal appelle ledit Comité à « dresser une liste des individus, organisations, banques, sociétés, entreprises, associations caritatives et autres organismes publics ou privés qui collaborent au régime d’apartheid d’Israël, afin d’adopter des mesures appropriées ».
Considérant le silence de la communauté internationale sur les fréquentes violations par Israël des droits des Palestiniens, il est peu probable que celle-ci prenne en compte les conclusions du TRP. Les recommandations du Tribunal sont cependant importantes. Elles fournissent un argumentaire solidement structuré émanant de personnalités de renommée internationale, susceptible de permettre, sur base du constat d’apartheid, un recadrage du discours sur la politique d’Israël envers les Palestiniens. Elles fournissent également une feuille de route détaillée quant aux actions que la société civile internationale peut entreprendre, dont l’interpellation des gouvernements nationaux pour exiger de ceux-ci que tout soit mis en œuvre en vue d’une solution équitable et pacifique à ce conflit. La convocation du Tribunal dans un pays où le régime d’apartheid fut établi puis démantelé est particulièrement significative. En Afrique du Sud s’est déjà déclenchée une vague d’indignation populaire contre la discrimination d’Israël envers le peuple palestinien, couplée au niveau de la société civile à d’effectifs boycotts par des syndicats et des universités: toutes réactions que les conclusions du TRP viendront sans aucun doute encore amplifier. Il n’est dès lors pas impossible que le peuple et le gouvernement sud-africains ouvrent la voie à un mouvement de pression international pour contraindre les gouvernements à modifier leur politique envers Israël et les Palestiniens.
Victor Kattan
Source : Al Shabaka, 23 novembre 2011
Pour lire le résumé des conclusions du TRP en Anglais, cliquez ici . Pour lire le résumé des conclusions du TRP en Arabe, cliquez ici . Pour plus d’informations sur le Tribunal Russell, visitez http://www.russelltribunalonpalestine.com/en/
1 Voir le Rapport de la Mission d’enquête des Nations Unies sur le conflit de Gaza (connu aussi comme « Le Rapport Goldstone », du nom du juge sud-africain Richard Goldstone qui a présidé la mission), dans UN doc. A/HRC/12.48, Sept. 25, 2009: p. 408, § 1893.
2 « Legal Consequences of the Construction of a Wall in the Occupied Palestinian Territory, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 2004 »: p. 136. http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1671.pdf
3 Le modèle inquisitoire est commun aux pays, tels que la France, dont le système juridique est bâti sur un droit codifié, contrairement au système anglo-saxon de common law essentiellement fondé sur un droit jurisprudentiel. Comme l’explique le professeur sud-africain de droit Mervyn Bennun, « le juge d’instruction convoque des témoins, les interroge, et souvent dirige l’enquête. Devoirs dont l’exécution est censée se conformer parfaitement à la prescription internationale de présomption d’innocence ainsi qu’à l’exigence d’une solide norme de preuve préalable à une éventuelle condamnation lors du procès qui pourrait s’ensuivre. » Voir Mervyn Bennun, « Not judges but witnesses », Mail & Guardian, Nov. 4, 2011. http://mg.co.za/article/2011-11-04-not-judges-but-witnesses/
4 La première session du TRP a eu lieu à Barcelone, où il s’est agi « d’examiner les complicités et omissions de l’Union européenne et de ses États membres relatives à l’occupation continue par Israël des Territoires palestiniens et à la perpétuation des violations du droit international commises par Israël ». La deuxième session a eu lieu à Londres pour examiner la complicité des entreprises internationales dans les violations par Israël du droit pénal international, du droit humanitaire international et des droits humains.
5 Voir par exemple la déclaration de Monsieur Papademas (Chypre), UN General Assembly, Official Records, 28th Session, 1973, 3rd and 4th Committees, 2003rd meeting, 22 October 1973, Agenda Item 53, « Draft Convention on the Suppression and Punishment of the Crime of Apartheid (continued) » (A/9003 and Corr.1, chaps XXIII, sect. A.2, A/9095 and Add.1): p. 142, pp. 142-143, § 39.
6 Voir par exemple Tilley, V. (éd.), « Occupation, Colonialism, Apartheid? A Re-Assessment of Israel’s Practices in the Occupied Palestinian Territories under International Law » (Cape Town: The Human Sciences Research Council, 2009). http://electronicintifada.net/downloads/pdf/090608-hsrc.pdf
7 Voir Jericho Nkala, « The United Nations, International Law, and the Rhodesian Independence Crisis » (Oxford: Clarendon Press, 1985): 1.
8 Israël, en fait, a voté en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies qui désigna initialement l’apartheid comme un crime contre l’humanité. Voir UN General Assembly Resolution 2202 (XXI), Dec. 16, 1966. Certes, c’était sept mois avant qu’Israël occupe Jérusalem-Est, la Cisjordanie, Gaza, le plateau du Golan et la péninsule du Sinaï lors du conflit armé arabo-israélien de juin 1967.
9 Richard J. Goldstone, « Israel and the Apartheid Slander », New York Times, Oct. 31, 2011. http://www.nytimes.com/2011/11/01/opinion/israel-and-the-apartheid- sland …
10 Certains membres de la Knesset ont même proposé de supprimer l’Arabe comme langue officielle de l’Etat d’Israël. Voir Moshe Arens, « Israel’s shameful attack on Arabic must be stopped », Ha’aretz, Nov. 15, 2011. http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/israel-s-shameful-attack-on-arabic-must-be-stopped-1.395617
11 Voir Lahav Harkov, « Zoabi to Cape Town tribunal: Israel a racist state », The Jerusalem Post, Nov. 6, 2011. http://www.jpost.com/DiplomacyAndPolitics/Article.aspx?id=244554 et http://www.icj-cij.org/docket/files/131/1671.pdf
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