Des Israéliens hors du commun

Bulletin 51, mars 2012

(dans dossier “Normalisation vs. Coopération”)

Ils ne sont pas très nombreux mais leur conviction compense leur petit nombre. Que ce soient les Anarchists against the Wall, l’Israeli Committee Against House Demolition (ICAHD), la Coalition of Women for Peace, l’Alternative Information Center (AIC) ou quelques autres encore, ils se joignent tous à la lutte contre l’occupation israélienne et pour l’autodétermination du peuple palestinien. Et ce genre de position exige du courage dans une société israélienne qui vire de plus en plus à droite et où la gauche dite « pacifiste » elle-même a un agenda bien différent de l’agenda palestinien. Qu’est-ce qui les distingue de la gauche « mainstream » ? Quelles sont les caractéristiques de ces mouvements ? Quel est leur rôle dans la résistance palestinienne et au sein de la société israélienne ?

Le test BDS

En Israël, ils sont traités d’« activistes pro-palestiniens » tandis que les membres de Peace Now ou des travaillistes seront, quant à eux, qualifiés de « pacifistes ». Jamais, n’est mis en avant le caractère bénéfique pour Israël de leurs actions ou le fait qu’une paix durable, basée sur la justice, ne peut venir que de ce type de coopération avec les Palestiniens.

Comme le soulignait l’Alternative Information Center dans son dernier article sur la normalisation (voir article « En finir avec l’« industrie de la paix » dans ce même bulletin), la coopération véritable avec les Palestiniens peut être soumise au test BDS. En effet, ce qui distingue ces mouvements du reste de la société civile israélienne, c’est leur adhésion à la campagne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions contre Israël, une position rarement adoptée vu les risques qu’encourt en Israël toute personne appelant au boycott de l’Etat ou de ses colonies.

En juillet 2011, la Knesset votait en effet une loi interdisant tout appel au boycott économique, culturel ou académique d’Israël, de ses institutions ou de toute zone sous son contrôle, une référence claire aux territoires occupés. Les sanctions sont d’ordre pécuniaire, c’est-à-dire l’incapacité de participer aux appels d’offres pour des marchés publics  du gouvernement pour ce qui concerne les entreprises et la perte des avantages fiscaux pour les organismes sans but lucratif. Malgré les risques occasionnés, les organisations engagées dans la campagne BDS ne se sont pas laissé impressionner. La Coalition of Women for Peace continue à alimenter le site « Who profits » (from occupation – http://www.whoprofits.org/) avec des informations sur les entreprises qui investissent dans les colonies et la campagne « Boycott from within » (http://boycottisrael.info/) n’a pas cessé pour autant son activité non plus.

Le droit au retour

Outre du fait de l’interdiction du boycott, l’adhésion à la campagne BDS est restreinte par le contenu même des revendications de l’appel de 2005 : la fin de l’occupation des territoires palestiniens, la reconnaissance du droit fondamental des citoyens arabo-palestiniens d’Israël à une égalité absolue  avec les citoyens israéliens et le respect, la protection et la promotion du droit au retour pour tous les réfugiés palestiniens en vertu de la résolution 194 de l’AGNU. Si les deux premiers points sont soutenus par la gauche pacifiste israélienne – avec des divergences sur la question du partage de Jérusalem, le dernier reste une ligne rouge que peu franchissent. La crainte de voir un jour se profiler une majorité démographique arabe en Israël, alimentée par les argumentaires sur l’antisémitisme, contribue en effet à dresser du droit au retour une image fantasmagorique de danger absolu.

Sur la question du droit au retour, il faut souligner l’intérêt du travail entrepris par Zochrot (http://zochrot.org/). Cette organisation s’est donné pour mission de sensibiliser l’opinion publique israélienne à la mémoire de la Nakba et au caractère bénéfique de l’application du droit au retour pour l’avenir commun des deux peuples. Récemment, dans leurs locaux, étaient exposées des œuvres imaginant la réalisation concrète du droit au retour et cela, dans le but de le démystifier. Des initiatives qui sont encore loin d’atteindre un large public mais qui ont le mérite d’exister.

Coopération par l’action sur le terrain

La coopération entre les Palestiniens et les Israéliens des Anarchists against the Wall commence très tôt. Dès la création des comités populaires palestiniens, ces derniers se joignirent aussitôt aux manifestations hebdomadaires contre le Mur et contre l’occupation. Et ils sont toujours présents aujourd’hui, que ce soit à Beit Umar, Nilin, Nabi Saleh, Qaryout, Bilin, Maasara, Kufer al-Dik, Kufer Qaddum, Al Walaje, publiant régulièrement sur leur site des rapports sur le déroulement des différentes manifestations.

Leur présence a du poids parce qu’elle apporte un regard extérieur sur la répression subie par les manifestants palestiniens. Les militants israéliens peuvent ainsi témoigner sur les manifestations dans les médias israéliens. Ils remplissent également une fonction d’interposition en empêchant les soldats israéliens de s’en prendre aux Palestiniens. Les Israéliens ne sont pas pour autant immunisés contre des arrestations et les Anarchists against the Wall doivent prévoir une assistance juridique pour défendre tous ceux qui terminent les manifestations en détention dans une cellule. Une campagne de récolte de fonds est organisée à partir de leur site pour les aider à en supporter les frais (http://www.awalls.org/ ).

Poids politique relatif

Michel Warschawski explique le rôle de ces mouvements en Israël via la métaphore d’une bicyclette avec une grande roue et une petite roue. La grande roue, représentée par “La Paix maintenant” et le mouvement travailliste, a été capable de mobiliser quelque 400.000 personnes lors de la guerre contre le Liban en 1982. La petite roue, représentée par les forces plus radicales, mobilise entre 5.000 et 10.000 personnes selon les périodes. (Cf. “En Israël, le soutien massif à l’opération a commencé à s’éroder”, Interview de M. Warschawski dans le Monde, 7.1.2009).

Seule la grande roue est à même de jouer un rôle politique significatif en Israël. La petite roue ne doit donc pas négliger la grande et doit continuer à agir afin de mobiliser un plus grand nombre. Mais le problème est que le camp de la paix, cette « grande roue », ne s’est plus mobilisé depuis des années. Face à l’opinion publique israélienne largement favorable à l’attaque de Gaza en 2008-2009, Michel Warschawski déclarait même que le fameux « camp de la paix » avait disparu.

Bref, le bilan de ces initiatives sur la société israélienne dans son ensemble n’est pas considérable. Mais le petit nombre de ces Israéliens hors du commun les rend encore plus importants.

Nathalie Janne d’Othée

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