Délégitimée par ses échecs politiques, l’Autorité Palestinienne s’est enferrée dans une stratégie de préservation du pouvoir à tout prix. Au risque de trahir ses objectifs initiaux.
Par Zaid Amali
L’Autorité palestinienne (AP) est censée être le bras de l’Organisation de libération de la Palestine qui administre les affaires quotidiennes de l’État palestinien (dans les frontières de 1967). Depuis sa création après Oslo, sa popularité est aujourd’hui au plus bas. La solution à deux États convenue à Oslo constituait un compromis historique pour le peuple palestinien. Il acceptait de créer un État palestinien sur seulement 22 % de la Palestine historique. Mais cela ne s’est jamais concrétisé. En fait, Israël ne s’est jamais satisfait de cet arrangement et a continué à confisquer et annexer une bonne partie des 22% restants, avec encore plus de colonies et d’avant-postes illégaux, fragmentant la Cisjordanie occupée. Ceci a grandement contribué à l’effondrement du soutien populaire à l’Autorité palestinienne, qui avait misé sur le soutien d’une communauté internationale qui l’a déçue jusqu’au point où elle a opté pour la complicité avec Israël. Par ailleurs, l’AP, dirigée par le Fatah, a été minée par la corruption et le népotisme, ses responsables concentrant leurs efforts sur des gains personnels plutôt que sur la lutte nationale. Le « leadership » actuel s’appuie aujourd’hui sur les réalisations de l’OLP au siècle dernier pour justifier sa légitimité érodée par l’absence d’élections présidentielles et parlementaires. Dans son souci de conserver sa position et sa crainte d’être évincée, l’AP se heurte souvent à d’autres Palestiniens.
Les jeunes en colère prennent les devants
Le ressentiment est le plus répandu chez les jeunes, qui constituent la majorité de la population palestinienne. C’est toute une génération qui a été témoin de la naissance et de la mort de la solution à deux États ainsi que des assassinats systématiques, des détentions arbitraires et des restrictions de mouvement du fait des nombreux murs et points de contrôle militaires, ainsi que des divisions entre partis palestiniens. Avec l’échec du projet porté par l’AP et la disparition des partis politiques qui, pour la plupart, de partis révolutionnaires, se sont transformés en fonctionnaires bénéficiant de privilèges, ce ressentiment s’est traduit sur le terrain par une jeunesse prenant la tête de la résistance populaire et armée, de manière décentralisée et non organisée.
Dernièrement, à côté d’autres groupes armés apparus dans le nord de la Cisjordanie comme le Bataillon de Jénine, le phénomène de La Tanière du Lion constitue un tournant important dans la politique et la résistance palestiniennes. Tout au long de l’année, des jeunes de toutes les factions résistent en armes aux forces d’occupation israéliennes qui attaquent quotidiennement leurs villes, leurs villages et les camps de réfugiés, recueillant un large soutien dans l’opinion publique palestinienne et sapant davantage la popularité de l’AP dont les forces de sécurité restent les bras croisés face aux incursions et tueries quotidiennes. Depuis le début de cette vague, l’AP tente de briser ces groupes, soit en essayant d’attirer les combattants armés en leur offrant de l’argent et de les incorporer dans les forces de sécurité, soit en emprisonnant certains d’entre eux, prétendument pour les protéger des assassinats par les Israéliens.
Réprimer la dissidence
Pour maintenir son pouvoir, l’AP imite les régimes de la région et importe leurs méthodes répressives pour faire taire la dissidence. Une grave escalade a eu lieu en juin 2021, lorsque les forces de sécurité palestiniennes ont tué le militant bien connu Nizar Banat, dont les vidéos sur les réseaux sociaux critiquaient explicitement la corruption de l’AP et sa collaboration avec la puissance occupante, un sentiment qui rencontre un large écho dans la rue. Les autorités n’ont pas poursuivi les auteurs de cet assassinat dans le cadre d’une procédure régulière mais ont au contraire intensifié la répression contre l’opposition, attaquant physiquement des manifestants pacifiques et emprisonnant des membres respectés de la société civile.
Début novembre 2022, l’Autorité palestinienne a fait une descente dans une conférence et y a mis fin. Cette conférence, organisée par des personnalités connues de la société palestinienne, devait discuter de la réforme de l’OLP qui, selon la plupart des participants, n’est plus représentative du peuple palestinien et de son projet national. Intitulé « 14 millions » (pour le nombre de Palestiniens estimés à travers le monde), le rassemblement prévoyait la tenue d’une élection pan-palestinienne au cours de laquelle les Palestiniens de la diaspora et de tout le territoire situé entre le Jourdain et la Méditerranée pourraient voter pour le Conseil national palestinien, le parlement de l’OLP. Inacceptable pour l’AP, qui a imputé aux organisateurs le projet de vouloir renverser le « seul représentant légitime du peuple palestinien », accusation souvent lancée pour étouffer et discréditer toute forme d’opposition ou d’appel à la réforme.
Étouffer les organisations non gouvernementales
Après la dissolution du Conseil législatif et la prise de contrôle du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif, qui publie des décrets présidentiels à volonté, les organisations non gouvernementales palestiniennes et les groupes de défense des droits de l’Homme représentent désormais le dernier recours pour demander des comptes à l’AP et faire valoir les droits civiques. En dépit de la démonstration de solidarité de l’AP avec les sept organisations civiles palestiniennes attaquées et fermées par les autorités d’occupation israéliennes, notamment en rendant visite aux organisations ciblées par les raids militaires et en les hébergeant temporairement dans un bâtiment de l’OLP, ces mêmes groupes et leurs semblables n’ont pas été épargnés par les nouvelles politiques et réglementations de l’AP qui visent à entraver leur activité. Récemment, l’AP a tenté de faire passer une loi d’application de la TVA aux ONG palestiniennes, alors qu’elles travaillent de façon non lucrative. De même, elle a essayé d’interférer avec les sources de financement et les budgets de ces mêmes organisations, dans le but de contrôler étroitement leur activité. Parfois, l’Autorité palestinienne a même enjoint ses fonctionnaires à boycotter les ONG dont le travail porte sur la responsabilité et la transparence, comme la branche palestinienne de Transparency International, la coalition AMAN, en n’assistant pas à leurs événements et en refusant de coopérer avec elles.
Un besoin de réévaluation
Le « leadership » palestinien doit réévaluer son rôle et ses priorités. Au lieu de se heurter aux Palestiniens, l’AP devrait soutenir la résilience des Palestiniens face au colonialisme israélien. Malgré les restrictions israéliennes, il existe un potentiel pour construire une société plus dynamique et durable, qui soit davantage capable de faire face aux entreprises israéliennes de déplacement et de remplacement des populations. Comme son pouvoir et sa souveraineté sont limités, l’AP devrait au moins ne pas collaborer avec les forces israéliennes dans le cadre de la pseudo-coordination de la sécurité. Elle devrait travailler main dans la main avec la société civile palestinienne pour préserver l’ordre juridique et la démocratie, en commençant par organiser des élections générales afin de restaurer la démocratie et relancer les institutions d’État. Tant que ce ne sera pas fait, les responsables de l’Autorité continueront de n’assurer que leurs gains personnels dans un système politique dysfonctionnel, entaché de répression et de corruption.
Traduit de l’anglais par Thierry Bingen et Ouardia Derriche