Israël en guerre pour l’annexion de facto de la zone C

Le 4 novembre dernier, alors que le monde n’avait d’yeux que pour l’élection du futur président des Etats-Unis, Israël détruisait entièrement le village de Khirbet Humsah situé dans le nord de la Vallée du Jourdain, en zone C. L’acharnement d’Israël à détruire les infrastructures palestiniennes, doublé de la construction effrénée de nouveaux logements dans les colonies, met au jour la véritable guerre engagée pour annexer  de facto  la zone C.

Par Nathalie Janne d’Othée

Article à paraître dans le bulletin Palestine n°86 (décembre 2020)

Pour rappel, lors des accords d’Oslo, le territoire palestinien occupé avait été divisé en trois zones, les zones A, B et C, destinées à acquérir successivement leur autonomie. La zone C, la plus étendue, représente plus de 60 % de la Cisjordanie. C’est aussi la zone la moins peuplée de Palestinien.ne.s, et dans laquelle se trouvent la plupart des terres arables et des ressources aquifères. Alors que l’Autorité palestinienne a obtenu certaines prérogatives dans les zones A et B, la zone C est, quant à elle, toujours restée sous le contrôle total d’Israël. C’est également dans la zone C que sont implantées les colonies israéliennes.

Changement de contexte

A la fin du mois de juin, l’AFP rapportait que le gouvernement israélien intervenait directement auprès de journalistes sur les réseaux sociaux pour rectifier leur utilisation de l’expression « territoire occupé » en « territoire disputé » à propos de la zone C (Israël/Palestine : la guerre sémantique de la « Zone C », AFP/L’Orient le Jour, 26 juin 2020). Le monde attendait alors avec appréhension le 1er juillet et l’éventuelle annonce d’annexion formelle (ou  de jure ), en application du Plan Trump, d’une partie de la Cisjordanie par Netanyahou.

Mais la mauvaise gestion américaine de la crise du Covid-19, suivie par la mort de Georges Floyd, a progressivement éloigné la perspective d’une réélection de Donald Trump et donc du contexte nécessaire à la mise en œuvre de l’annexion formelle. Les “accords d’Abraham” conclus entre Israël, les Emirats Arabes Unis et Bahrein n’ont ensuite été qu’un joli coup médiatique où Israël a semblé concéder l’abandon de l’annexion en échange d’une normalisation de ses relations avec ces pays.

Mais alors que de nombreuses voix internationales, l’UE en tête, se réjouissent de l’abandon du projet israélien d’annexion, le gouvernement de Netanyahou met, quant à lui, les bouchées doubles pour rendre irréversible l’annexion  de facto  de la zone C.

Une guerre pour la zone C

Ces derniers mois, Israël déploie plus que jamais sa stratégie des « faits accomplis » pour garantir son contrôle de la zone C et ce, quelle que soit la politique américaine à venir. Le futur président américain Joe Biden a en effet beau se dire un « ami d’Israël », sa politique au Moyen-Orient ne marchera sans doute pas aussi ouvertement sur le droit international que celle de son prédécesseur.

Israël mène donc une véritable guerre contre la présence palestinienne en zone C, selon les mots du journaliste britannique Ben White (How Israel is waging war on Palestinians in Area C, Middle East Eye, 20 September 2020). Dans son communiqué du 10 septembre dernier, le Coordonnateur des Nations Unies pour les affaires humanitaires dans le Territoire palestinien occupé, Jamie McGoldrick, montre que la crise du Covid-19 n’a en rien ralenti les efforts d’Israël, en annonçant que quelque 389 structures palestiniennes ont été confisquées ou démolies en zone C entre les mois de mars et d’août 2020, ce qui constitue le taux de destructions le plus élevé depuis 4 ans.

La guerre pour la zone C se traduit également par un budget de 20 millions de shekels (soit 6 millions de dollars) alloué au ministère des Colonies pour répertorier les constructions palestiniennes non autorisées dans cette zone. Rappelons ici que 98% des demandes palestiniennes de permis pour construire en zone C sont rejetées par les autorités israéliennes. Les communautés palestiniennes qui y résident n’ont donc la plupart du temps d’autre choix que de construire sans autorisation, risquant par conséquent à tout moment la destruction de leurs propriétés.

C’est ce qui est arrivé le 4 novembre dernier à la communauté de Khirbet Humsah dans le nord de la Vallée du Jourdain. Alors que l’attention médiatique était toute à l’élection américaine, les autorités israéliennes ont détruit la totalité des infrastructures de cette communauté bédouine, laissant ainsi 73 personnes, dont 41 mineurs, sans toit. Le but d’Israël est manifestement de pousser ces communautés à rejoindre les villes et villages palestiniens en zone A et B. Or, nouveau rappel, le déplacement forcé de population par une puissance occupante représente un crime de guerre au regard du droit international humanitaire (art. 49 de la 4e Convention de Genève).

La destruction par Israël d’infrastructures palestiniennes est  redoublée par l’avancée de la construction continue de colonies dans la zone C. Au mois d’octobre, Israël a ainsi encore annoncé la construction de plus de 4900 nouveaux logements dans les colonies. Depuis 2012, l’organisation israélienne La Paix Maintenant recense les permis de construire dans les colonies. L’année 2020 est selon elle une année record. Selon Brian Reeves, porte-parole de La Paix Maintenant, cela peut être relié aux permis de construire délivrés pour la colonisation en zone E1 située entre Jérusalem et Maale Adumim, pour laquelle le Plan Trump publié en janvier 2020 a constitué un feu vert inédit. Cité dans un reportage de RFI, il souligne « Ça, c’est l’annexion de fait. Il s’agit de l’acquisition formelle de territoires en imposant une réalité sur le terrain. Et le fait que cela ne soit pas déclaré comme une annexion a peu d’impact sur le terrain. »

Enfin, le 15 novembre, le gouvernement israélien a annoncé la reprise de la construction dans la colonie de Givat Hamatos dans le sud de Jérusalem. Par cette annonce, Netanyahou entend tester le nouveau président américain Joe Biden. Lorsque celui était vice-président de Barack Obama, les Etats-Unis s’étaient en effet fermement opposés à la poursuite de la construction à Givat Hamatos, une colonie qui empêcherait la continuité territoriale entre Jérusalem et Bethléem dans un futur Etat palestinien.

Réactions européennes largement insuffisantes

Face à ces records en termes de démolition d’infrastructures palestiniennes et de construction d’unités de logement dans les colonies, la réponse de l’Union européenne est plus que décevante ; elle est inquiétante. Dans un communiqué suite à l’annonce des 4900 nouveaux logements, le Haut représentant pour la politique extérieure de l’Union, Josep Borrell, a en effet rappelé la position de l’UE sur la nécessité d’une solution à deux Etats et sur l’illégalité de la colonisation. Il a également appelé Israël à se raviser et ajouté que « Dans le contexte de la normalisation des relations entre Israël, les EAU et Bahreïn, les Israéliens et les Palestiniens devraient saisir cette occasion et prendre des mesures urgentes pour instaurer la confiance et rétablir la coopération conformément aux accords précédents et dans le plein respect du droit international ». Pendant qu’Israël viole allégrement le droit international, tournant définitivement le dos à la perspective d’une solution à deux Etats, l’UE persiste donc à en appeler au dialogue et à la reprise des négociations. En réponse à l’annonce de nouveaux logements à Givat Hamatos, Borrell s’est de la même sorte contenté d’exprimer sa profonde inquiétude. Le message, pour Israël, est on ne peut plus clair : les réponses de l’UE en resteront au stade incantatoire ; l’Union européenne ne prendra aucune sanction. Autrement dit, Israël peut poursuivre sa politique illégale des « faits accomplis » en toute impunité.

Certains Etats membres de l’UE ont apporté des réponses plus fortes, surtout face à la destruction de Khirbet Humsah. Plusieurs Etats européens avaient en effet contribué au financement des infrastructures détruites. C’est notamment le cas de la Belgique qui ,dans un communiqué, a déclaré avoir introduit auprès des autorités israéliennes, avec d’autres Etats européens, une demande de réparation ou de compensation pour la destruction de ces infrastructures .

Conscients des enjeux autour de l’avenir de la zone C, les diplomates européens en poste à Jérusalem se sont par ailleurs rendus le 20 octobre dernier à Masafer Yatta, un village menacé de destruction dans les collines au sud de Hébron. Dans son intervention, le chef de délégation de l’UE Sven Kühn Von Burgsdorff a d’ailleurs déclaré : «Tout ça devrait être fait par Israël, en tant que puissance occupante. C’est leur responsabilité. Mais puisqu’ils ne la prennent pas…». Sous-entendu : puisque  Israël ne fournit pas l’assistance nécessaire à la population occupée, comme il en a l’obligation, l’UE y pallie.

Pour conclure, non seulement l’UE ne prend aucune sanction contre l’annexion du territoire palestinien par Israël, mais elle en paye aussi le coût. Comme le souligne Hagai El-Ad, directeur de l’organisation israélienne de défense des droits humains B’tselem, dans un tweet « L’Europe doit se demander si elle va continuer à envoyer ses diplomates d’une école de Cisjordanie menacée de démolition par Israël à une autre. Ce n’est pas une stratégie. C’est important et apprécié, mais la justice pour les Palestiniens ne sera pas rendue de cette manière. »

Illustration : destruction de Khirbet Humsah
Crédit : B’tselem

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