L’Union européenne change de ton, vraiment ?

Bulletin 51, mars 2012

Ces derniers mois, pas moins de trois rapports des chefs de mission de l’Union européenne dans le territoire palestinien occupé, un communiqué de presse des ambassadeurs européens auprès des Nations Unies, des déclarations d’officiels européens et un rapport de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, tous critiquant vertement la politique israélienne ou ses dirigeants, ont fait les titres de la presse.

Parallèlement, et contrairement à la décision prise en 2006 de suspendre son aide directe au gouvernement palestinien suite à la victoire du Hamas aux élections, l’UE a déclaré qu’elle continuerait d’apporter son soutien au nouveau gouvernement d’unité palestinien.

Pour autant, cela présage-t-il d’un réel changement de politique de la part de l’Union européenne?


Les rapports des chefs de mission : propos sévères et recommandations incisives

Depuis 2005, des rapports confidentiels sont rédigés annuellement par les chefs de mission diplomatique de l’UE dans les territoires occupés. Egalement appelés « rapports des Consuls », ils décrivent de manière détaillée et objective la politique israélienne et contiennent des recommandations. S’ils se limitaient jusqu’à présent à Jérusalem-Est, deux thématiques nouvelles ont été abordées en 2011 : la zone C en Cisjordanie et les Palestiniens d’Israël. Ces rapports atterrissent souvent dans la presse, soit du fait de fuites des diplomates eux-mêmes, frustrés de rédiger des comptes rendus circonstanciés qui croupissent dans des tiroirs, soit des Israéliens, qui les tuent ainsi dans l’œuf avant qu’une discussion sérieuse ait pu avoir lieu à leur sujet.

Le rapport sur Jérusalem-Est accuse la politique de colonisation israélienne de mettre en péril la solution à deux Etats. Il ajoute que « sans Jérusalem comme future capitale de ces deux États, un accord de paix durable (…) ne sera pas possible ». Les stratégies déployées par les Israéliens afin d’affaiblir la présence palestinienne à Jérusalem sont minutieusement décrites : annexions, déplacements forcés et démolitions, difficultés d’obtenir un permis de construction et/ou de rénovation, risque de transfert qui pèse sur les Bédouins, statut fragile lié à la « résidence » par opposition à la « citoyenneté », utilisation du prétexte archéologique pour expulser la population de certains quartiers,… Sont également exposés les problèmes induits par le sous-financement des écoles et transports publics utilisés par les Palestiniens, les restrictions aux mouvements et leur impact sur le commerce et l’accès aux soins de santé, la fermeture prolongée des institutions politiques palestiniennes  et les difficultés d’accès des musulmans et des chrétiens aux sites religieux.

Le rapport recommande, entre autres, que soit réinstaurée une représentation de l’OLP à Jérusalem et que les délégués européens rencontrent leurs homologues palestiniens à Jérusalem-Est. Les recommandations portent également sur les droits économiques et sociaux des Palestiniens et la dimension culturelle et religieuse de la ville. Plus spécifiquement, le rapport suggère que les Etats membres demandent à la Commission européenne de prendre des mesures législatives visant à décourager les transactions financières qui soutiennent les colonies israéliennes et de sensibiliser les citoyens sur les produits qui en sont issus. Si les rapports précédents contenaient également des recommandations, c’est la première fois que les chefs de mission vont jusqu’à suggérer que la Commission légifère sur les transactions avec les colonies. La formulation, vague, permet une interprétation large : tous les flux financiers qui participent à la pérennisation des colonies sont potentiellement concernés.

Le rapport sur la zone C en Cisjordanie (juillet 2011) dresse le même constat : la perspective d’une solution à deux Etats s’éloigne à mesure qu’Israël continue d’y ériger de nouvelles colonies ou d’étendre celles qui y existent déjà, de s’approprier ses ressources naturelles, de restreindre la liberté de circulation des Palestiniens et de détruire les infrastructures qu’ils y ont bâties. Région riche en eau et en terres fertiles, la zone C est « cruciale pour la viabilité d’un futur Etat palestinien » mais aussi, par sa position, pour sa continuité, dit le rapport. Il donne pour exemple le cas de la Vallée du Jourdain (classée à 90% en zone C) où la présence palestinienne a été divisée par cinq depuis 1967 alors que la présence israélienne a été multipliée par 258. Sont également décrits l’impact de l’administration militaire israélienne sur les conditions humanitaires, sécuritaires et psychologiques dans lesquelles vivent les Palestiniens, les mesures de planification urbaine mises en place par Israël pour empêcher le développement des communautés palestiniennes et les problèmes induits par l’absence de l’Autorité palestinienne. Une série de recommandations sont proposées afin d’ « encourager » Israël à changer ses politiques dans la région et à engager davantage les communautés palestiniennes, à réduire la vulnérabilité de ces dernières, à y promouvoir le développement économique et y accroitre la responsabilité des autorités israéliennes conformément au droit international humanitaire.

Le rapport sur les Palestiniens d’Israël (novembre 2011) fait état des discriminations dont ils sont victimes. Cette fois, c’est la politique d’Israël en Israël qui est pointée du doigt. Contrairement aux deux autres rapports, peu d’information ont filtré sur son contenu.

Mais il n’y a pas que les rapports des chefs de mission qui égratignent Israël :

En novembre 2011, le président français, Nicolas Sarkozy, s’en est pris au premier ministre Netanyahou, le qualifiant, lors d’une discussion privée avec Barack Obama, de « menteur ». Nick Clegg, vice-premier ministre britannique, a quant à lui dénoncé la politique coloniale israélienne qu’il a qualifiée d’« acte de vandalisme délibéré ». Le mois suivant, le rapport d’information de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale (France – décembre 2011) sur la géopolitique de l’eau a fait grand bruit. Faisant référence à la politique israélienne à l’égard de la Palestine sur la question de l’eau, il affirme que « tout démontre, même si bien peu nombreux sont ceux qui osent employer le mot, que le Moyen-Orient est le théâtre d’un nouvel apartheid ». Cinq jours plus tard, dans un communiqué conjoint, les ambassadeurs auprès des Nations Unies des quatre pays européens du Conseil de Sécurité se sont dits consternés par la décision d’Israël d’accélérer la construction de logements dans les colonies qui « envoie un message accablant ». Ils ont appelé le gouvernement israélien à revenir là-dessus, estimant que « la viabilité de l’Etat palestinien et la solution à deux Etats, qui est essentielle pour la sécurité à long terme d’Israël, sont menacées par l’expansion systématique et délibérée des colonies ». Ils ont aussi condamné les attaques des colons. Si le vocabulaire utilisé n’est pas particulièrement sévère, le fait que trois des quatre membres européens du Conseil de Sécurité (Allemagne, France, Royaume-Uni) soient les Etats membres les plus influents de l’UE est plus significatif. L’Allemagne a, par ailleurs, récemment décidé de rehausser le niveau de la représentation diplomatique palestinienne et de lui conférer le statut d’ambassade.

Un réajustement de la politique européenne

Lorsque le Hamas, qui est toujours sur la liste des organisations terroristes de l’UE, a gagné les élections en 2006 et a pris la tête du nouveau gouvernement, l’UE a adopté des mesures de rétorsion et a cessé les aides financières normalement consenties au gouvernement palestinien.

Début février, au Qatar, le Hamas et le Fatah ont conclu un accord sur un gouvernement technocratique d’unité nationale. L’Union européenne a cette fois annoncé que le versement de son aide continuerait, comme à l’accoutumée.

Qu’est-ce qui explique ce changement ?

D’une part, la décision de 2006 avait été désavouée par de nombreux diplomates et parlementaires qui s’étaient rendu compte que l’UE, en s’ingérant de la sorte, avait contribué à la division intra-palestinienne. D’autre part, le « printemps arabe » a forcé  l’Union européenne à revoir sa politique à l’égard des voisins du sud de la Méditerranée : l’UE  semble enfin prendre conscience que le respect des aspirations démocratiques des peuples signifie aussi accepter le résultat des élections, quel qu’il soit.

Quel impact ?

Concrètement, si le ras-le-bol des diplomates est perceptible et que le ton est plus radical, les blocages persistent. Par exemple, les recommandations initialement contenues dans le rapport sur les Palestiniens d’Israël ont été supprimées et certaines formulations adoucies. Il était également prévu que le rapport sur la zone C soit discuté par les chefs d’Etats et de gouvernements et qu’il fasse l’objet d’un communiqué officiel. Or, il n’y en a pas eu, ce qui suggère que le rapport a été étouffé. Et à moins d’être adoubé par le Conseil européen, il n’a que peu de valeur.

Ces blocages sont le fait d’Etats de l’UE alliés inébranlables d’Israël (la République tchèque et les Pays-Bas en tête) mais également d’Etats, certes plus modérés, mais qui s’opposent systématiquement à toute critique sérieuse d’Israël (Italie et Pologne par exemple). Critique facilement balayée étant donné que les positions du Conseil et du Service d’Action Extérieure de l’UE doivent être le résultat d’un consensus. Cela n’empêche pas que les autres Etats européens pourraient adopter une position plus ferme mais, par couardise, pour des raisons de politique intérieure ou historiques, ils se réfugient derrière la position européenne dont ils savent pourtant qu’elle sera vide de sens.

Ensuite, comme souligné précédemment, le premier rapport des Consuls sur Jérusalem-Est date de 2005 ; or, force est de constater que la situation sur le terrain ne s’est pas améliorée, au contraire. Sans compter que cette affluence de documents et déclarations critiques donne la fausse impression du « réveil » d’une UE qui prendrait enfin ses responsabilités.

Pourtant, s’il ne faut pas en être dupe et si les rapports et les recommandations sont étouffés, ils ont le mérite d’exister. Les rapports produits par les Consuls remontent aux ministères des Affaires étrangères nationaux, qui disposent donc d’une information de première main très claire sur ce qui se passe sur le terrain. Ils facilitent dans une certaine mesure le travail de la société civile, qui peut renvoyer aux responsables européens une information qu’ils ont eux-mêmes produite et dont ils peuvent difficilement se distancier ou contester l’objectivité. Le même raisonnement s’applique aux recommandations : les diplomates en poste dans les territoires occupés proposent à la Commission de prendre des mesures afin de décourager les transactions financières avec les colonies, ce qui s’inscrit tout à fait dans nos campagnes de boycott. Quant au rapport de travail de la commission des Affaires étrangères sur l’eau, quel qu’en soit le résultat, il aura au moins servi à alimenter un débat dans lequel la qualification d’apartheid pour désigner l’Etat d’Israël gagne du terrain.
Finalement, il faudra attendre les élections palestiniennes et la réaction de l’UE qui s’ensuivra pour juger de la réalité du réajustement de la politique européenne vis-à-vis du Hamas.

Vers une crise diplomatique avec Israël ?

Le gouvernement israélien a rejeté les rapports des Consuls, sans pour autant les démentir. Une certaine irritation, teintée d’arrogance, était perceptible : le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a qualifié le rapport sur Jérusalem de « bruit de fond désagréable » et de « tentative désespérée de recevoir de l’attention ».

Le rapport sur l’eau a fait l’objet d’une réponse officielle qui nie toute discrimination. Le porte-parole cité plus haut a commenté le rapport, disant qu’il était « rempli d’un verbe empreint de propagande vicieuse, bien éloignée de l’esprit critique professionnel ».

La France, la Grande-Bretagne, le Portugal et l’Allemagne ont été accusés par le ministre des Affaires étrangères israélien Avigor Liberman de «perdre leur crédibilité» et de se rendre «insignifiants» après avoir publié leur communiqué. Le porte-parole d’Israël aux Nations Unies a, quant à lui, réagi en déclarant que ce ne sont pas les colonies qui sont un obstacle à la paix mais bien « le droit au retour des réfugiés exigé par les Palestiniens et leur refus de reconnaitre Israël comme Etat juif ».

On ne peut pas parler pour autant  de crise diplomatique: du côté européen, les déclarations ne sont pas suivies de sanctions et le « business as usual » continue ; du côté israélien, le besoin du soutien européen dans le dossier iranien suffit à calmer leur irritation. Le partenariat UE-Israël a donc encore de beaux jours devant lui.

Katarzyna Lemanska

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