Politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens : tentative de sociocide (suite)

Bulletin 51, mars 2012

Dans la première partie, j’ai évoqué différents aspects de la guerre totale menée contre les Palestiniens que j’ai -après d’autres- appelée « sociocide ». J’y ai évoqué la destruction du territoire (A), le nettoyage ethnique (B), la destruction sociale (C), politique (D) et économique (E). Deux points moins souvent abordés sont l’objet de cette deuxième partie.

F. Destruction culturelle et historique

L’histoire, la culture et l’éducation cimentent une société et témoignent de sa vitalité. Or comme l’écrit Suleiman Mansour (M. Hallaj, «Palestine – The Suppression of an Idea » sur www.syria-wide.com) [1], un artiste palestinien : « …Les Israéliens disent qu’il n’y a pas de peuple palestinien, qu’ils sont venus sur une terre sans peuple. Les arts, la littérature et la culture en général leur montrent qu’ils mentent, qu’il y a un peuple et que ce peuple a une culture prolifique. » L’acharnement à détruire ou empêcher toutes ces manifestations de l’existence d’un peuple vise non seulement à éliminer ce qui contredit la narration officielle mais encore à tenter de tuer de l’intérieur la société palestinienne.

Depuis 1948, Israël s’attelle au démantèlement des preuves. En 47-49, les troupes détruisent les bibliothèques privées et publiques, les archives ; des journaux politiques ou littéraires sont fermés, plus de 440 villages sont rasés (après la guerre) ; des mosquées, des monuments historiques sont endommagés ou démolis. Un but : rendre les Palestiniens invisibles sur leur sol. Pour parfaire cet effacement du fait palestinien, sur ordre de Ben Gourion, la toponymie des lieux est changée : les noms de lieu sont hébraïsés quand ils ne sont pas totalement changés (reprise de noms bibliques sans égard pour leur localisation exacte).

Après 1967, cette politique se poursuit à coup d’ordres militaires et de censure. Les publications, écrites/audio/vidéo politiques sont interdites (y compris la publication des résolutions de l’ONU sur la Palestine), même la littérature est soumise à censure : en 1981, 3000 livres étaient interdits dont ceux de Mahmoud Darwish. Ni radio ni TV palestiniennes ne sont autorisées et le cinéma palestinien ne peut se développer qu’à l’extérieur. Israël décide des programmes scolaires, censure les manuels[2] et ferme les écoles et universités pendant des mois, voire des années (comme l’université de Birzeit). Le drapeau palestinien et toute référence à lui est interdit, etc.

Depuis les accords d’Oslo, dans la relative autonomie accordée, films, pièces de théâtre, littérature, peinture, danse, chants vont fleurir de plus belle. De leur côté, les radios et TV se multiplient à côté de la PBC, télévision officielle de l’AP, dans une grande liberté.

Dès lors, la politique va virer à la rage destructrice. On peut rappeler, lors de l’opération « Bouclier défensif » en 2002, le vol des archives du ministère de l’Education à Ramallah, la destruction du matériel informatique ou la destruction d’une partie du centre historique de Naplouse[3], sans oublier les destructions à Bethléem, Hébron, Gaza, etc. En avril 2002, à Ramallah, le centre Sakakini, doté d’une excellente bibliothèque, est en partie dynamité. En 2008, la bibliothèque de l’Université islamique, la plus riche de la bande de Gaza, a été visée par un bombardement et est partie en fumée.

A Silwan, actuellement, les colons de l’association Elad détruisent, sous prétexte de fouilles, non seulement des maisons mais aussi les évidences historiques de l’habitat non juif. On expulse les habitants palestiniens pour judaïser le quartier. De surcroît, d’après le ministère palestinien du Tourisme et des Antiquités, de 1967 à 1992, 200.000 artefacts ont été volés et transférés en Israël. En 2010, Israël a même tenté – sans succès, fort heureusement- de faire inscrire, à l’UNESCO, en son nom, au titre de patrimoine mondial de l’humanité, la tombe de Rachel qui se trouve à Bethléem et le tombeau des Patriarches situé à Hébron.

Cette volonté de tuer la mémoire et l’existence des Palestiniens ancrée dans le paysage est continuellement à l’œuvre: l’un des derniers villages palestiniens toujours debout, Lifta, est menacé aujourd’hui de destruction pour développer un projet immobilier. A Jérusalem, un Musée de la Tolérance se bâtit sur un cimetière musulman…

Enfin, dans les foires internationales, Israël présente les falafels et le houmous comme des produits nationaux. La broderie palestinienne est utilisée en confection ou en décoration : la plupart du temps, il s’agit de broderies découpées dans des vêtements anciens et recyclées par le design israélien.

G. Destruction psychologique

A la question de savoir quel était le but de la politique israélienne, Yehuda Shaul, Breaking the silence, répond :

« Il est clairement défini : c’est de montrer la présence permanente de l’armée, de produire le sentiment d’être traqué, contrôlé, bref, il s’agit d’imposer la peur à tous dans la société palestinienne. On opère de façon irrationnelle, imprévisible, créant un sentiment d’insécurité qui casse la routine. »

La routine de l’utilisation de la force, voire de la terreur, de l’humiliation et des arrestations arbitraires, la manifestation d’une violence ordinaire qui se traduit par des blessés et des morts, est conçue comme une méthode de contrôle et de domination de la population palestinienne. Celle-ci devrait se résigner à disparaître dans le silence, à s’aplatir pour ne plus exister.

L’attaque de 2008-2009 contre Gaza a montré clairement que l’ennemi, c’est toute la population, toute la société et tous les signes de son organisation politique, civile, sanitaire, économique, éducative, religieuse. Un général avait annoncé qu’Israël allait ramener la bande de Gaza à des dizaines d’années dans le passé. Des amis gazaouis décrivaient la situation comme comparable à celle de 1948, sauf qu’il n’y avait plus nulle part où aller.

Ce que l’ONU-et d’autres- appellent « utilisation d’une force disproportionnée » est en réalité une guerre totale pour tuer la société et toute résistance de sa part à l’effacement, à la résignation et la forcer à l’abandon de toute velléité de résistance.

Cette violence est présente depuis les débuts de l’Etat d’Israël. Elle prend pour cible tous les Palestiniens et tout spécialement les enfants et les jeunes.

Les arrestations massives et quotidiennes constituent un type particulier de violence visant à déstabiliser la société. Il y a aujourd’hui quelques 6000 détenus dans les prisons israéliennes, dont des enfants (164 en septembre 2011 et jusqu’à 391 en avril 2009, DCI). Plus de 700.000 Palestiniens ont été détenus en Israël depuis 1967, ce qui représente plus de 20% de la totalité de la population qui vit sous occupation israélienne. Pratiquement, chaque famille palestinienne a été affectée. La violence est habituelle lors des arrestations ; la torture est pratiquée à grande échelle lors des interrogatoires et les conditions de détention sont pénibles. Les enfants prisonniers sont marqués à vie. Le retour à la vie normale est souvent difficile.

Cette stratégie donne des résultats sans aucun doute. Mais les manifestations contre le Mur et les dépossessions comme toutes les nouvelles formes de résistance civile qui fleurissent montrent qu’elle a ses limites. Acculée, la société palestinienne continue néanmoins de se défendre. Mais au risque aussi d’une violence intrasociale et d’une mentalité mortifère. Beaucoup de jeunes disent que la vie et la mort, c’est la même chose.

Conclusion provisoire

Comment appeler une politique dont le but est d’éliminer un peuple non pas physiquement- même si l’élimination physique n’est pas exclue- mais dans son identité et son existence organisée en société ? Sociocide.

De fait, en excluant l’aspect de destruction physique totale ou partielle, on peut donner une définition de sociocide/politicide très proche de celle de génocide, à savoir : un acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux notamment par le meurtre de membres du groupe, par l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe et par la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction.

Marianne Blume

La première partie de l’article dans le Bulletin 50.


[1] http://www.syria-wide.com/index.php?option=com_content&view=article&id=143&Itemid=108

[2] L’Etat d’Israël vise particulièrement le système éducatif : l’Etat d’Israël décide des programmes, des livres, poursuit les enseignants militants, etc. « Le Décret militaire 101 imposait que tout le matériel de lecture, les livres et les périodiques soient approuvés par le censeur militaire. Toute référence à la Palestine ou à la question palestinienne était ainsi systématiquement censurée. Chaque année, les autorités israéliennes soumettaient les manuels scolaires importés d’Egypte et de Jordanie à une censure rigoureuse, effaçant certains mots, paragraphes, chapitres ou refusant l’entrée des livres abordant la question palestinienne, ses racines ou l’héritage culturel. »  (http://www.ibe.unesco.org/publications/free_publications/Tawil6f.pdf )

[3] Rien que pour Naplouse ont été détruits : 80% de la mosquée Al Khadra, 20% des mosquées Al-Satoun et Al-Kabir (anciennes églises byzantines), 60 maisons historiques, l’entrée du marché datant du 18e siècle, 7 réservoirs romains, 80% des rues pavées. L’Art Newspaper du 9 septembre 2005 décrit ces destructions comme « une attaque symbolique contre la présence palestinienne sur le territoire ».

One thought on “Politique d’Israël à l’encontre des Palestiniens : tentative de sociocide (suite)

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Top