La jeunesse palestinienne dans le collimateur de l’occupation

Bulletin 51, mars 2012

Dès les premières semaines de la seconde Intifada, des mineurs d’âge ont été victimes de violences de l’armée israélienne. Une des premières images de la répression du soulèvement à avoir fait le tour du monde est d’ailleurs celle de l’assassinat du petit Mohamed Al Dura dans les bras de son père, ce dont l’armée israélienne a toujours nié être le moins du monde responsable.

A Demonstration in the village 'A NABI SALIH'  Occupied Palestinian Territory May 7th 2010 - 25Israël a établi officiellement que des mineurs pouvaient représenter un danger à partir de l’âge de 15 ans, autorisant de ce fait l’armée à s’en prendre à eux. Pourtant, les forces armées de l’Autorité palestinienne ne recrutent qu’à partir de 18 ans, les mineurs ne peuvent donc être considérés comme combattants par l’armée israélienne. Aucun mineur n’est jamais armé lors des confrontations qui mettent aux prises des soldats à l’intérieur de véhicules blindés ou des snipers postés dans des tours et des adolescents qui, à la sortie de l’école, se regroupent pour en regarder quelques-uns d’entre eux jeter des pierres sur le blindage des Jeeps. Plus tard, les assassinats d’autres enfants comme Iman al-Hams, jeune fille de 13 ans, dont le corps fut criblé d’une vingtaine de balles, près de Rafah, en 2004 ou Abir Aramin, 10 ans, tuée à la sortie de son école en 2007, ont longtemps défrayé la chronique. Pourtant, jusqu’aujourd’hui, quasiment aucun soldat n’a été inculpé ni reconnu coupable d’homicide. L’armée se contente généralement de désapprouver le « comportement inadéquat » du soldat ou invoque une erreur de jugement de sa part, le soldat se croyant à tort menacé.

«A partir de 12 ans, vous êtes autorisés à tirer »

Mais il y a plus. Selon le témoignage d’un soldat, rapporté en novembre 2000 par la journaliste israélienne Amira Hass, celui-ci avait reçu comme consigne de son supérieur «à partir de 12 ans, vous êtes autorisés à tirer ». Puisqu’il est raisonnablement impossible d’évaluer l’âge exact d’un enfant, qui plus est à distance, cette consigne n’était manifestement qu’une carte blanche donnée pour blesser ou abattre de jeunes adolescents ne représentant aucun danger pour les soldats. Il était donc clair dès le début que les mineurs étaient une cible déjà toute désignée de la répression israélienne contre le soulèvement palestinien.

Aujourd’hui encore, à Jérusalem-Est comme à Hébron et dans certains villages du nord de la Cisjordanie, les enfants sont la cible du harcèlement des forces d’occupation. Ainsi, dans des villages comme Ni’lin, Qusra ou Nabi Saleh, l’armée organise parfois des descentes, au beau milieu de la nuit, afin de photographier des mineurs, parfois des enfants de 10 ans, une pratique qui, selon elle « contribue au maintien de l’ordre et de la sécurité ». Pour l’armée, en effet, cette « cartographie » sert à construire une base de données en vue d’identifications ultérieures et vise donc les mineurs en dehors de toute suspicion particulière.

Mineurs devant les tribunaux militaires et en détention

Entre début 2005 et fin 2010, 835 mineurs palestiniens ont été arrêtés et jugés par des tribunaux militaires israéliens, pour jet de pierres. Parmi eux, 34 adolescents âgés de 12 à 13 ans, 255 de 14 à 15 ans et 546 de 16 à 17 ans. Un seul a été acquitté, tous les autres ont été condamnés. Les condamnations sont souvent obtenues sous le coup d’aveux signés sous la contrainte, après des actes de brutalité ou de torture. Le peu de droits qui leur sont accordés en tant que mineurs, lors de l’arrestation, des interrogatoires ou pendant l’incarcération (comme le droit de ne pas être emprisonné avec des adultes) ne sont parfois pas appliqués. Quoi qu’il en soit, le droit militaire israélien est en violation flagrante du droit international, qui reconnaît le cas particulier des mineurs en termes de responsabilité pénale ainsi que le fait que les conditions d’arrestation, l’interrogatoire d’incarcération peuvent porter préjudice à leur développement ultérieur, justifiant des procédures adaptées.

Agressions physiques

Les mineurs sont aussi victimes d’agressions physiques. Le 27 décembre 2011, la brigade Golani débarque à Hébron. Toutes les organisations présentes sur le terrain ont constaté, à partir de cette date, une augmentation des agressions contre la population civile en général, contre les enfants en particulier, de l’arrestation arbitraire jusqu’aux coups. A Silwan, l’armée poursuit depuis des années une politique de harcèlement des habitants, ciblant particulièrement les mineurs. Les jeunes enfants ne sont pas épargnés : en novembre 2010, Adam Mansour Rishq, un enfant de 7 ans, est battu par des soldats israéliens qui l’accusent d’avoir jeté une pierre sur une de leurs Jeeps. Un policier, témoin de la scène, n’a rien fait pour défendre l’enfant. En mars 2011, Mohammed Ashwah, un enfant de 11 ans, a révélé avoir été approché par un homme inconnu qui lui a proposé 200 shekels contre des informations sur des enfants qui jetteraient des pierres. L’enfant, effrayé, fut ensuite l’objet de menaces s’il ne collaborait pas.

Une grande partie des incidents entre les colons et les Palestiniens se situent à Hébron, à Jérusalem et dans la région de Naplouse. Dans les quartiers de Silwan et de Sheikh Jarrah, les colons, soutenus par les associations d’Elad et Ateret Cohanim, ont un comportement verbalement et physiquement violent à l’encontre de leurs voisins palestiniens. En septembre 2009, un colon de Silwan tira une balle dans chacune des jambes d’un adolescent de 15 ans. Les adolescents qui gardent des troupeaux aux alentours des villages de la région de Naplouse sont régulièrement les victimes de « ratonnades » organisées depuis les colonies de la région, dont celle de Yithzar. C’est le cas du jeune Mohamed Abdelkader Ibrahim Qadous, qui a été violemment agressé par des colons, en octobre 2009 et en mars 2010, tué d’une balle dans la poitrine par un soldat israélien. Les incidents continus avec les colons ont instauré un réel climat de terreur dans la population palestinienne, allant parfois jusqu’à pousser des familles à quitter leurs habitations et abandonner leurs terres. De leur côté, les forces israéliennes ne font strictement rien pour protéger la population palestinienne. L’impunité des colons est donc totale.

Entraves aux déplacements

Les enfants, comme tous les autres Palestiniens, sont soumis au régime des permis pour passer le Mur. Les difficultés commencent dès leur naissance. De nombreuses femmes accouchent en effet dans des conditions inacceptables, mettant en péril leur existence ainsi que celle de leur bébé, du fait des entraves mises à leurs déplacements. Au cours des six premiers mois de l’année 2007, dans le village d’Azzun Atma, totalement encerclé par le Mur, sur 33 naissances, cinq ont eu lieu à l’extérieur de l’enclave, les futures mères préférant quitter le village avant la date prévue de l’accouchement afin d’éviter les risques de complications.

Les humiliations aux points de passage n’épargnent pas non plus les enfants qui sont parfois l’objet de brutalités de la part des soldats. À Gaza comme en Cisjordanie, il arrive que des milliers d’enfants ne puissent rejoindre leurs écoles suite à la fermeture des points de passage ou à cause d’incursions de l’armée.

Conditions de vie aggravées

À Gaza, suite à la suppression brutale des permis de travail en Israël, le chômage a fait des ravages dès le début de la seconde Intifada. Dans ces conditions, les parents doivent parfois contracter des emprunts ou vendre le peu qu’ils possèdent afin de financer la scolarité de leurs enfants. Si on y ajoute les incursions, les bombardements, il est alors difficile pour les enfants, dans ces conditions, de se concentrer à l’école, dans des classes qui dépassent souvent la cinquantaine d’élèves.

En Cisjordanie, la destruction des oliviers porte de plus gravement atteinte aux ressources des familles.

L’environnement immédiat de ces enfants est parfois directement touché lorsque les forces israéliennes détruisent le domicile familial. Ces dernières années, les démolitions de maisons sont en augmentation constante dans les différents quartiers palestiniens de Jérusalem. Le 13 février 2012, à Silwan, dans un quartier particulièrement visé par ces destructions, le Madaa Creative Center, seul centre d’animation destiné aux enfants, est détruit par les forces israéliennes.

Depuis septembre 2000, 1.472 mineurs palestiniens ont trouvé la mort, assassinés par l’armée ou par des colons israéliens. Chez les autres enfants, soumis à des conditions de vie aussi extrêmes, les désordres psychologiques sont fréquents : cauchemars, énurésie, problèmes de concentration, hyperactivité, agressivité. Certains enfants ont vu des personnes se faire blesser ou se faire tuer sous leurs yeux ; ils ont parfois perdu des camarades de leur âge. La plupart d’entre eux ont connu des incursions et les bombardements. L’absence totale de mesures destinées à protéger les mineurs palestiniens ainsi que l’impunité totale dont jouissent les soldats ou les colons coupables d’agressions à leur encontre est la signature d’une politique délibérée destinée à hypothéquer l’avenir de ces jeunes et donc de la société palestinienne elle-même.

Julien Masri

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