
Face à l’occupation et aux dégats occasionnés, entre autre, par la pollution d’une usine chimique attenante, une famille palestinienne tente de développer un contre-modèle de développement agricole durable.
Un reportage de Marie-Noëlle van Wessem et Amélie Caillon
« Biladi, biladi », « mon pays, mon pays ». Assises à l’ombre des arbres et buvant un thé, on écoute chanter Fayez Taneeb, aux côtés de sa femme Mouna et de leur fils Oday sur leur parcelle coincée entre le Mur et une usine chimique israélienne. Il entonne avec enthousiasme et douceur ce chant de résistants. Nous sommes à Irtah, un petit village à côté de Tulkarem, au nord de la Cisjordanie, où une partie de la famille Taneeb travaille sur une ferme en maraîchage biologique.
« Hakoura », en arabe, signifie « potager qui assure la sécurité alimentaire de la famille ». Hakoritna, « notre potager », c’est le nom de leur ferme. Cultiver ce lopin de terre représente un acte de résistance quotidienne. Les maraîchers-ères de Hakoritna y font en effet face à une multitude de défis qu’ils tentent de relever en parallèle : résister au rouleau compresseur de l’occupation israélienne, aux pressions et aux vols de terres, atteindre l’autonomie alimentaire et énergétique, développer un modèle agricole en phase avec les enjeux environnementaux actuels, construire un modèle économique qui permette de vivre dignement de leur travail.
LA CONSTANCE DU JARDINIER
C’est d’abord en 1984, à la mort du père de Fayez, que les militaires israéliens profitent de l’absence d‘activité sur la ferme pour venir s’y entrainer quotidiennement, détruisant bon nombre de plantations. Devant le danger de perdre les terres de ses parents, Fayez met ses projets d’études de côté pour reprendre l’activité de la ferme à laquelle il retrouve accès après plusieurs mois de négociations. Une première victoire, et le début d’une aventure de résistance paysanne.
Plus tard, c’est le déménagement d’une usine chimique israélienne à Tulkarem, à proximité directe de leur ferme, qui ébranle leur activité. Les émanations de fumées dangereuses venant de l’usine obligent en effet la famille Taneeb à installer de plus en plus de serres pour protéger leurs légumes de la pollution.
A ces épreuves, s’ajoute le début de la construction du Mur d’apartheid, un nouvel épisode de pressions et d’incertitudes quant au futur de leurs terres. En 2003, le périmètre de leur ferme est déclaré zone militaire israélienne, avec interdiction d’y pénétrer. Pendant 18 mois, Fayez et Mouna se battent pour recouvrer leurs terres. C’est en 2005, avec 18 dunums[1](équivalent à 16.200 m²) de perdus, bon nombre d’arbres détruits ou en un piteux état dû à leur non-irrigation, les plantations de légumes réduites à néant et une perte considérable de temps et d’argent, que la famille Taneeb reprend, petit a petit, son activité.
A tout cela, s’ajoutent des difficultés plus structurelles, comme l’obligation pour les agriculteurs palestiniens d’acheter tous les matériaux destinés à leur activité agricole (semences, ruches, machines, etc.) à des compagnies israéliennes et à des prix très élevés. Sans compter les répercussions de l’ouverture des frontières d’Israël aux travailleurs palestiniens, avec la perte de 5 travailleurs, les salaires étant 2 à 3 fois plus élevés en Israël qu’en Palestine.
CONVERGENCE DES LUTTES
Malgré ces pressions, les Taneeb persévèrent dans leur résistance paysanne pacifique. Aux yeux de Fayez, les combats anticapitaliste, anti-impérialiste et anticolonial se rejoignent et doivent être menés de front. L’occupation israélienne s’inscrit dans un système complexe plus global où les dominations se renforcent les unes les autres. Il est donc essentiel de lier son combat contre l’occupation aux combats contre la logique même d’accaparement, de profit, de monopole et de standardisation du système capitaliste dans sa phase impérialiste. Ainsi, les Taneeb expérimentent des techniques d’agroécologie et de permaculture, pour tester des façons de cultiver la terre plus durables, créatives et diversifiées que les tendances dominantes de monoculture, contrôle des semences et utilisation massive de pesticides.
L’AUTONOMIE COMME RESISTANCE
Dans leur recherche d’autonomie, les Taneeb privilégient 3 éléments fondamentaux : l’eau, l’énergie et la nourriture. A l’entrée de la ferme, on peut lire sur un panneau : « L’eau, l’énergie et la nourriture sont disponibles librement pour tout être humain, à partir du moment où l’on ne suit plus la loi du capital, mais plutôt la logique de la nature. » dixit Dieter Duhm, co-fondateur de l’Ecovillage de Tamera au Portugal.
L’eau
L’accès à l’eau étant un problème crucial en Palestine[2], atteindre l’autonomie en ce domaine est une priorité. Un énorme tank récupère l’eau de pluie grâce à un système de gouttières installé sur la toiture d’une serre. Pendant l’hiver, l’eau ainsi récupérée permet l’irrigation en toute autonomie, avec l’objectif à terme de l’atteindre toute l’année en augmentant le nombre de gouttières et la quantité de tanks. Parallèlement, un système d’aquaponie[3] a été mis en place, ce qui permet d’économiser l’eau.
L’énergie
Pour ne plus dépendre des fournisseurs d’électricité, l’équipe de la ferme a construit (avec des matériaux de récupération) un prototype de fabrication de gaz de méthane. Le principe est simple et nécessite peu de matière ajoutée : de la bouse de vache et de l’eau, mélangées dans un grand bidon fermé hermétiquement pour empêcher le gaz de méthane en fermentation de se propager dans l’air. Après un certain temps, on obtient du gaz de méthane prêt à être utilisé. Parallèlement, la famille Taneeb a construit un séchoir solaire qui leur permet de faire sécher des fruits et légumes. Cette transformation des produits permet de conserver et valoriser leur production, et ainsi, d’augmenter leurs revenus.
La nourriture
Depuis quelques années, la famille Taneeb a commencé à mettre en place une banque de graines, basée sur l’échange. Cela leur permet de ne plus dépendre financièrement de Monsanto qui oblige à racheter chaque année de nouvelles graines et les pesticides qui vont avec (les plantes issues de ces graines sont susceptibles de développer plus facilement des maladies). Cela permet également de préserver des variétés locales de légumes. L’objectif est, d’ici quelques années, d’être indépendant en matière d’apport de graines. Quant aux plantations, la famille utilise des alternatives naturelles pour désherber et fertiliser leurs sols : mulch, compost, désherbage manuel, paillage.
ACCUEILLIR ET TRANSMETTRE
Pour les Taneeb, sensibiliser à la situation des Palestinien-ne-s, c’est aussi un acte de résistance pacifique. Des milliers de voyageur-euse-s, volontaires, étudiant-e-s et lycéen-ne-s ont déjà visité leur ferme, aidé à l’installation de nouveaux systèmes d’exploitation écologiques et donné un coup de main.
Un projet qui permet de comprendre la complémentarité des différentes stratégies de résistance, ainsi que la similarité des logiques qui sous-tendent, d’un côté, la situation d’occupation et de colonisation en Palestine, de l’autre, la situation mondiale des paysan-ne-s aujourd’hui, en résistance face à un modèle économique et agricole qui broie les petites exploitations, les singularités, les pratiques durables et résilientes. Un projet inspirant par la détermination, l’ingéniosité et l’espoir qui animent ceux et celles qui le portent.
« 1 million d’oliviers pour une paix juste » : Un projet économique, écologique et politique
C’est en 2010, au retour d’une rencontre sur la Palestine à Bruxelles, que Fayez conçoit le projet de replanter 1 million d’oliviers en Cisjordanie, avec le soutien financier et moral d’individus, d’associations et de collectifs. Les dons permettent d’acheter de jeunes oliviers, de les planter et d’assurer leur entretien en embauchant des personnes en difficulté économique. Pour Fayez, il faut agir pour préserver la biodiversité et le paysage en Palestine, renforcer la sécurité alimentaire et montrer aux Palestiniens, aux Israéliens et au monde, que l’on peut résister à l’accaparement des terres et à la destruction des arbres. Depuis 2010, 66 000 arbres ont été plantés entre Jénine et Hébron, soit 7000 à 10 000 arbres plantés chaque année. Bulletin Palestine, septembre 2019 |
[1] Les 18 dunums perdus correspondent notamment au mur de l’apartheid et à sa zone de protection, cinquante mètres de large qui n’accueillent aujourd’hui aucune activité du côté israélien, laissant les parcelles anciennement cultivées en friches.
[2] Israël ayant dorénavant le monopole sur les ressources en eau de Cisjordanie, les Palestiniens doivent acheter leur eau aux compagnies israéliennes qui la puisent et l’exploitent.
[3] L’aquaponie consiste à coupler l’élevage de poissons à la production de légumes. L’eau qui circule dans le système est enrichie en nutriments par les poissons et ensuite filtrée par les légumes qui y puisent les éléments nécessaires à leur croissance.