Bulletin N°78t
« A qui appartient Jérusalem ? » : voilà la question qui plane au-dessus de la ville depuis le début de son histoire et en particulier depuis les 70 dernières années. D’une ville périphérique à l’ère ottomane jusqu’à la capitale de la Palestine sous le mandat britannique, Jérusalem est restée unie malgré les différents dirigeants et régimes et ce, jusque 1948, lorsqu’elle est devenue le « point central du conflit juif-arabe et un problème d’envergure internationale ».
Jérusalem, « capitale éternelle et indivisible d’Israël »
Après la guerre israélo-arabe de 1948-49, la Ville sainte a été divisée en deux parties gérées par deux administrations différentes : la Jordanie et le nouvel Etat d’Israël, pour qui Jérusalem est « la capitale éternelle et indivisible d’Israël ». Par conséquent, la reprise de Jérusalem-Est après la guerre des 6 Jours en 1967 a représenté un tournant dans le discours israélien d’une capitale unifiée et a marqué le début du processus de « judaïsation de Jérusalem-Est ». Pour y parvenir, les différents dirigeants israéliens ont adopté deux principes de base dans leur façon d’administrer Jérusalem-Est. Le premier, faire rapidement croître la population juive de Jérusalem-Est. Le second, empêcher l’augmentation de la population palestinienne et forcer les résidents arabes à s’établir ailleurs. Afin de mener à bien le premier objectif, d’immenses colonies ont été construites à des emplacements stratégiques et ce, pour installer une « masse critique » juive sur les territoires annexés, comme la colonie de Pisgat Zeev qui rompt la continuité territoriale du quartier palestinien de Beit Hanina. Les terres nécessaires à la construction de ces nouveaux quartiers exclusivement juifs appartenaient principalement aux Arabes et leur ont été confisquées par le gouvernement israélien pour un projet « d’intérêt public » : le développement des quartiers juifs dans le but de réaffirmer la présence juive au sein d’une ville nouvellement « réunifiée ».
Des politiques ouvertement discriminatoires
L’architecture de ces colonies confirme ce dessein : ces bâtiments surplombent le reste de la ville et rappellent sans cesse au peuple palestinien « qui est le dominant et qui est le dominé ». De plus, les autorités israéliennes ont encouragé et encouragent toujours les colons à s’établir dans les quartiers arabes en expulsant les Palestiniens de leurs habitations. Ces expulsions mènent souvent à de violentes confrontations entre les colons et les Palestiniens qui voient à nouveau leurs conditions de vie se dégrader. En effet, si le droit au logement des colons et par conséquent les actes qui en découlent sont protégés et garantis par le gouvernement israélien, la situation est différente pour les Palestiniens qui doivent s’engager dans de longues et onéreuses batailles juridiques pour défendre leurs maisons, tout cela en étant soumis aux atteintes à leur vie privée, aux pressions financières et au harcèlement quotidien menés par les colons et les forces de police. Ces agissements démontrent encore une fois la volonté de modifier l’équilibre de la ville manifestée par les autorités israéliennes qui cherchent à s’attribuer le monopole sur Jérusalem et sur sa population désunie. On peut conclure que, depuis 1967, toutes les politiques adoptées par le gouvernement israélien visent à servir deux objectifs stratégiques : augmenter l’étendue des territoires annexés et diminuer le nombre de Palestiniens vivant sur ces territoires. Dès lors, le but d’Israël a été d’établir et de maintenir la supériorité territoriale et démographique de la population juive comme l’a préconisé le comité de Gafni en 1973 en recommandant de ne pas laisser le pourcentage de Juifs passer en dessous de 74 % de la population de Jérusalem et le pourcentage d’Arabes dépasser 26 %.
Infléchir violemment la répartition démographique
Pour conserver une solide majorité juive dans la ville, il est nécessaire d’empêcher l’accroissement de la population arabe et de contraindre les résidents palestiniens à partir ; c’est le deuxième principe qui régit les politiques israéliennes concernant Jérusalem-Est depuis 51 ans.
Les programmes géopolitiques des organismes israéliens de planification et de la municipalité de Jérusalem se concentrent principalement sur la limitation de l’accroissement et de l’expansion des communautés palestiniennes ainsi que sur le contrôle géographique de Jérusalem-Est. Cet objectif a infléchi les politiques de planification urbaine à Jérusalem-Est depuis que cette partie de la ville est occupée. Les effets de ces orientations politiques sont toujours visibles aujourd’hui. En fait, depuis 1967, soit depuis que la municipalité de Jérusalem gère également la partie Est de la ville, l’État israélien n’a jamais fourni aux résidents palestiniens de plan d’urbanisme qui prenne en compte aussi bien l’accroissement naturel de la population que ses besoins en matière de logement. Selon la loi israélienne sur l’urbanisme et la construction, passée en 1965, un permis de construire délivré par la mairie de Jérusalem est un prérequis obligatoire pour entamer toute construction à Jérusalem. Quoi qu’il en soit, ces permis sont rarement octroyés aux résidents palestiniens de Jérusalem-Est. En effet, ils doivent fournir un document officiel qui atteste de la propriété des terrains. Le problème repose dans le fait que ces terres sont des propriétés privées, qui ne sont donc pas inscritesau Bureau de l’enregistrement cadastral israélien ni dans le Registre des terres et des titres, hérité de la période jordanienne, mais qui n’a jamais été tenu à jour. De plus, les frais liés à la demande de permis de construire sont très élevés et constituent un second obstacle pour les familles qui ont pu fournir un acte de propriété. Cet obstacle s’avère d’autant plus infranchissable que 76 % des Palestiniens de Jérusalem-Est vivent en dessous du seuil de pauvreté. La loi de 1965 donne également une base juridique à la mise en place du Plan local d’urbanisme qui vise à contrôler l’aménagement du territoire et à assurer de bonnes conditions sanitaires et sécuritaires dans les zones concernées de la ville.
L’urbanisme au service du contrôle sioniste de la partie Est de la ville
Malgré son objectif officiel, ce Plan local d’urbanisme n’a servi qu’à diminuer la superficie des terrains constructibles au moyen d’expropriations et de politiques discriminatoires. Depuis 1967, 60 000 logements ont été construits dans les colonies israéliennes à Jérusalem-Est, contre 600 pour les résidents palestiniens. De plus, de nombreux quartiers palestiniens ne bénéficient pas de plan d’urbanisme, ce qui empêche toute nouvelle construction sur leurs terres et rend illégaux les bâtiments déjà construits. L’utilisation discriminatoire de ces plans, en plus de la complexité des procédures pour obtenir un permis de construire, est une méthode pour entraver le développement des quartiers palestiniens de Jérusalem-Est et ainsi, diminuer la proportion de résidents palestiniens en ne leur laissant pas d’autre choix que de partir.
Depuis 1967, 60 000 logements ont été construits dans les colonies israéliennes à Jérusalem-Est, contre 600 pour les résidents palestiniens
Le plan directeur, ou « Master Plan », s’inscrit dans le cadre de ces politiques discriminatoires. Ce programme, appelé « Jerusalem 2000 », réfère au « Master Town Planning Scheme », un plan d’urbanisme global pour la ville de Jérusalem annoncé le 13 septembre 2004 par le maire de Jérusalem de l’époque, Uri Lublialsky, et qui sert à poser les grandes lignes des plans d’aménagement de la ville jusqu’en 2020. Le 5 mai 2009, le plan directeur a toutefois été modifié pour être applicable jusqu’en 2030 par le maire de Jérusalem, Nir Barkat, qui a alors annoncé vouloir faire réexaminer ce plan par la Commission du district de Jérusalem pour la planification et la construction, dépendante du ministère de l’Intérieur. Il souhaite créer sept programmes thématiques concernant l’exploitation du territoire de la municipalité de Jérusalem et plus précisément du centre-ville, des espaces libres, des modèles de construction, du patrimoine et des quartiers historiques, des transports et de la voirie, des infrastructures ainsi que des zones sensibles sur le plan environnemental. Ces programmes sont conçus dans le but d’« offrir une nouvelle vision, plus globale, qui servira à définir un cadre réglementaire selon lequel le développement de la ville en tant que capitale et métropole d’Israël peut être assuré tout en préservant sa valeur unique et la qualité de vie de tous les résidents de Jérusalem. » Ce plan directeur se base sur le présupposé qu’Israël exerce déjà sa souveraineté sur la totalité de la ville, ce qui montre clairement l’aspiration israélienne à prendre le contrôle, grâce à l’urbanisme, de la partie Est de Jérusalem.
Le but premier du plan directeur est de limiter la construction de logements pour les Palestiniens afin de veiller au maintien d’une certaine répartition ethnique de la population équivalant à 70 % de Juifs et 30 % d’Arabes.
Des projections estiment que, d’ici l’an 2030, environ 200 000 nouveaux logements seront nécessaires pour répondre aux besoins résidentiels de la population palestinienne de Jérusalem-Est, qui représente 60 % de la population totale de cette partie de la ville. Néanmoins, le Master Plan de la ville de Jérusalem ne prévoit de fournir que 100 000 logements aux Palestiniens, tout en allouant 40 000 nouvelles habitations aux seuls colons juifs. De plus, l’absence d’infrastructures adéquates rend impossible la concrétisation du projet de construction pour les habitants palestiniens, cette promesse ne relevant donc que de la rhétorique politicienne.
Des zones vertes pour étendre la ceinture de colonies illégales
Le plan directeur compte également agrandir les zones vertes « green zones » pour limiter l’accroissement de la population arabe dans la ville et étendre la ceinture de colonies qui entoure les quartiers palestiniens. Le Master Plan ne correspond ni ne répond aux besoins des Palestiniens en matière d’urbanisme, mais se consacre davantage à renforcer la présence illégale de colons juifs à Jérusalem-Est.
Pour les autorités israéliennes, les politiques urbaines ne sont qu’un moyen de placer leurs pions sur un plateau de jeu géant, ne laissant aux Palestiniens que peu d’opportunités de remporter la partie.
Zakaria Odeh est le directeur de la Civic Coalition for Palestinian Rights in Jerusalem