Netanyahou VI : le véritable visage du régime israélien

Le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou à la tête d’une coalition plus extrémiste que jamais annonce l’accentuation du processus d’oppression et de dépossession des Palestiniens.

Par Gregory Mauzé

En remportant le scrutin du 1er novembre 2022, l’alliance dirigée par Benyamin Netanyahou a mis fin à une anomalie politique. En juin 2021, un attelage aussi éphémère qu’insolite, associant des partis opposés sur le plan idéologique, avait en effet vu le jour dans l’unique but d’écourter le règne du « roi Bibi ». Ce dernier, en rassemblant dans un ensemble cohérent la droite historique, les ultra-orthodoxes et les sionistes religieux d’extrême droite, dotera au contraire Israël d’un exécutif à son image. Celle d’une société rendue malade par des décennies de colonialisme, de racisme et de violence institutionnelle décomplexée contre les Palestiniens.

Le sort des Palestiniens entre les mains de l’extrême droite

Ce n’est certes pas la première fois que Netanyahou s’associe aux franges extrêmes du suprémacisme juif. La nouveauté de ce sixième gouvernement formé par le détenteur du record de longévité au pouvoir en Israël réside dans le fait que son émanation la plus radicale, incarnée ici par le Parti sioniste religieux et son allié principal Puissance juive1, se voit désormais confier des pouvoirs inédits, en particulier dans l’administration du territoire occupé. Le premier devient responsable des constructions et des colonies en Cisjordanie et, plus largement, de la gestion des populations civiles palestiniennes et israéliennes sur les 60% de la région sous contrôle exclusif israélien (la zone C). Le second obtient, quant à lui, l’autorité sur la police nationale et, surtout, celle des frontières. Cette dernière est chargée du « maintien de l’ordre » en territoire occupé, et est notoirement connue pour sa brutalité.

L’extrême droite messianique aura ainsi les coudées franches pour réaliser une version maximaliste du projet colonial. Au programme : légalisation de nouveaux avant-postes ; poursuite du nettoyage ethnique ; immunité absolue des soldats israéliens pour les actes commis durant leur service et interdiction de les filmer ; fin des dernières règles encadrant l’usage de la force ; changement du fragile statu quo sur l’esplanade des mosquées… Fidèle à leur slogan de campagne, les sionistes religieux entendent bien montrer« qui est le propriétaire », aux Palestiniens, et ce, de part et d’autre de la Ligne verte. À cette fin, Puissance juive a réclamé et obtenu le contrôle du développement du Néguev et de la Galilée, régions israéliennes de fort peuplement arabe et bédouin.

Le profil des futurs artisans de cette politique n’est guère plus rassurant. Dirigeant de Puissance juive, Itamar Ben Gvir, a arrêté huit fois pour violences et condamné pour soutien au terrorisme. Son chef de cabinet Chanamel Dorfman, qui a négocié l’accord de gouvernement, affirmait en 2012 : “Le seul problème avec les nazis, c’est que j’étais du mauvais côté.” Le président du Parti sioniste religieux Bezalel Smotrich, qui deviendra l’équivalent du ministre en Cisjordanie, n’est pas en reste. « Vous êtes ici par accident, parce que Ben Gourion n’a pas fini le travail et ne vous a pas expulsés en 48 », lançait-il ainsi en 2021 à des élus palestiniens d’Israël. Pour les sionistes religieux, les Palestiniens sont sommés de se soumettre à la suprématie juive, qu’ils soient ou non détenteurs de la citoyenneté israélienne. La solution pour les « Arabes déloyaux » qui s’y refuseraient? La déportation vers les pays voisins.

Ceux qui comptaient sur Netanyahou et son parti pour contrebalancer la radicalité de ces forces que l’on peut sans hésitation qualifier de néofascistes risquent de déchanter. Son parti, le Likoud, s’accorde en effet avec eux sur l’essentiel, qu’il s’agisse de la poursuite de la colonisation, du refus absolu du droit à l’autodétermination des Palestiniens ou de l’annexion de larges pans de la Cisjordanie. «Seul le peuple juif a des droits nationaux entre la mer et le Jourdain » assurait déjà en 2018 Miri Regev, une des fidèles de Netanyahou.  Ce dernier n’a, du reste, aucun intérêt personnel à contrarier ses alliés, qui lui sont indispensables pour façonner le système judiciaire en vue de ses futurs procès.

Un changement de degré, pas de nature

Il ne faudrait toutefois pas s’y tromper : ce catalogue des horreurs constituera pour la condition des Palestiniens un changement de degré, certainement pas de nature. « Les gouvernements israéliens changent, mais rien ne change pour nous », résume Ahmed2, membre de l’Union des comités de travailleurs agricoles (UAWC). Qualifiée de terroriste comme six autres ONG par le précédent gouvernement, son organisation est bien placée pour savoir que l’arrivée de ce dernier n’a conduit à aucune amélioration sur le terrain. À bien des égards, la situation s’est même aggravée. Un an après l’alternance politique de juin 2021, les planifications de constructions, les appels d’offres et les lancements de chantiers dans les colonies avaient respectivement augmenté de 26, 15 et 62%, par rapport à la moyenne des années Netanyahou (2009-2021) selon un rapport de l’organisation anti-occupation La Paix Maintenant. Il en va de même pour les destructions d’habitations et de structures civiles, en hausse de 59% à Jérusalem-Est et de 65% dans le reste de la Cisjordanie. Quant au nombre de tués en Cisjordanie en 2022, il est tout simplement le plus élevé depuis que l’ONU a commencé à les décompter en 2005, avec près de 200 Palestiniens abattus.

En réalité, les propositions les plus choquantes des nouveaux patrons de la Cisjordanie sont loin de représenter une rupture avec les pratiques existantes.

L’annexion de la Cisjordanie ? Elle progresse dans les faits de manière continue. Elle a notamment connu une accélération dramatique avec l’expulsion de masse de la population de Massafer Yata, au sud de Hébron-al-Khalil, initiée début 2022. L’annexion de jure que prévoyait d’entreprendre Netanyahou en 2020 était, quant à elle, largement soutenue par le chef de l’opposition Benny Gantz.

La déportation des « Arabes déloyaux » ? C’est précisément pour « défaut d’allégeance » au titre d’une loi de 2018 que l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, détenu sans procès depuis mars 2022, risque l’expulsion vers la France.

L’impunité pour les colons violents ? Elle est déjà pratiquement totale. Selon l’ONG israélienne Yesh Din, moins d’une plainte sur dix donne lieu à une condamnation, laquelle reste souvent symbolique.

L’affaissement de l’État de droit ? La volonté du nouveau gouvernement de contourner la Cour suprême, qui effraye tant ceux qui se plaisent à penser Israël comme une démocratie libérale exemplaire est, dans une large mesure, un non-sujet pour les Palestiniens. Si l’institution est décriée par la droite pour s’opposer ici à une expulsion, là à la légalisation d’un avant-poste, elle autorise de façon générale « presque tous les types de violations des droits de l’Homme commises par Israël dans les territoires occupés. » selon B’tselem.

Le suprémacisme juif, que les commentateurs semblent découvrir avec Ben Gvir et Smotrich ? C’est justement animé d’une idéologie postulant le droit d’un peuple à en dominer un autre qu’Israël perpètre contre les Palestiniens le crime d’apartheid, et ce, selon Amnesty International, depuis 1948.

Menaces sur l’image d’Israël

En montrant un visage aussi peu reluisant, ce nouveau gouvernement trahit ainsi la nature profonde du régime d’oppression des Palestiniens qui perdure au-delà des alternances politiques. Ce faisant, il jette une lumière crue sur les contradictions entre la réalité de terrain et les discours lénifiants cherchant à blanchir l’apartheid israélien, tâche dans laquelle Yaïr Lapid, prédécesseur de Netanyahou, était passé maître, notamment auprès de l’Union européenne (UE). La fuite en avant d’Israël vers l’extrême droite est-elle, dès lors, susceptible de remettre en cause la mansuétude internationale dont il a jusqu’à présent bénéficié?

En Palestine, où la désillusion vis-à-vis du monde politique israélien domine, certains veulent y croire. « Il sera très difficile aux Européens d’expliquer qu’il faut laisser une chance à ce gouvernement : Netanyahou et ses alliés ont été très clairs sur leurs intentions à notre égard. » relevait au lendemain des élections du 1er novembre Wesam Ahmad, défenseur des droits humains à Al Haq, autre ONG qualifiée de terroriste par le gouvernement anti-Netanyahou. « Cela pourrait forcer la Communauté internationale à réconcilier sa rhétorique avec sa pratique, notamment en cessant le commerce avec les colonies, ce qui, concrètement, contribue à empêcher la création d’un État palestinien. »

La menace que fait peser le futur gouvernement d’extrême droite sur l’image du pays est prise très au sérieux par les réseaux d’influence pro-israéliens, en particulier aux États-Unis. « Nous ne pourrons pas rester silencieux connaissant l’énorme impact que les mots et les actions d’Itamar Ben Gvir et de Bezalel Smotrich en tant que ministres vont avoir sur les relations entre les États-Unis et Israël », commentent ainsi les lobbyistes Dennis Ross et David Makovsky dans un éditorial pour le très sioniste Washington Institute. Le fondateur du Times of Israel, David Horowitz, s’est quant à lui inquiété du fait que les ambitions de Ben Gvir risquaient « de justifier les accusations d’apartheid qui pèsent sur le pays ».

Vers une rupture avec l’hypocrisie internationale ?

S’il ne faut pas s’attendre à un big bang diplomatique, le statu quo n’en est pas pour autant inébranlable. Aux USA, le maintien du lien indéfectible entre Washington et Tel-Aviv, souhaité par le président Biden, est menacé par une base alarmée par la dérive illibérale d’Israël. Selon le Times of Israel, la décision de la justice étatsunienne d’ouvrir une enquête sur le meurtre de la journaliste palestino-étatsunienne Shireen Abu Akleh doit beaucoup à la pression du Congrès démocrate. L’UE a, pour sa part, gelé début décembre le projet d’accord de coopération entre l’agence Europol et la Police israélienne, en raison du fait, selon un source de Haaretz, qu’il y a désormais « une pression pour être moins indulgent avec Israël  ».

En outre, l’aggravation de la situation sur le terrain pourrait influencer la Cour internationale de justice, à laquelle l’Assemblée générale de l’ONU a octroyé en décembre 2022 un mandat pour évaluer si l’occupation prolongée du territoire palestinien équivalait à une annexion. Une telle reconnaissance pourrait avoir des implications diplomatiques majeures. En 2020, l’UE et plusieurs États membres avaient menacé de représailles si Israël mettait en œuvre son projet d’annexer une partie de la vallée du Jourdain. Le gouvernement belge s’était notamment engagé, dans cette éventualité, à envisager un train de contre-mesures contre Israël.

Bien qu’on voie mal, à considérer son programme, comment cette coalition pourrait ne pas franchir les lignes rouges fixées par la Communauté internationale, on aurait tort de sous-estimer les talents d’équilibriste de son chef d’orchestre. Pragmatique, Netanyahou excelle en effet dans l’art du double discours et connaît les limites symboliques à ne pas transgresser pour pouvoir perpétuer en toute quiétude l’enracinement de la colonisation. États-Unis comme Européens seraient alors tentés de continuer à privilégier le business as usual à la prise de responsabilités.

L’effondrement, lors du scrutin du 1er novembre, des dernières forces israéliennes anti-occupation est pourtant là pour le rappeler : sans pression extérieure, Israël n’a aucune raison de rompre avec le confort de l’aventure coloniale qu’il a pu jusqu’à présent poursuivre en toute impunité. «Quiconque pense que des changements positifs peuvent venir des élections israéliennes se trompe lourdement. » alertait le 8 novembre 2022 l’écrivain palestinien Jalal Abukhater dans The Independent. « Il appartient au reste du monde de cesser de normaliser les idéologies odieuses de la suprématie ethnique que nous voyons prospérer en Israël.»

1 Héritier du parti Kach, interdit pour cause de terrorisme aux Etats-Unis et… en Israël

2 Nom d’emprunt

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