Alimentation forcée  : des prisonniers en grève de la faim

Bulletin 65, Septembre 2015

Par Katarzyna Lemenska

La loi sur l’alimentation forcée des prisonniers en grève de la faim vient d’être adoptée

 En Israël, la loi interdit le gavage des animaux, mais depuis peu, elle autorise celui des prisonniers palestiniens. Le parlement israélien vient en effet d’adopter un projet de loi autorisant l’alimentation forcée des prisonniers en grève de la faim. L’Association médicale israélienne considère pourtant que la pratique s’apparente à de la torture. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et la Croix-Rouge l’ont également condamnée.

L’arbitraire de la détention administrative

Quelque 5000 Palestiniens sont actuellement emprisonnés en Israël, dont 400 sous ordre de détention administrative : leur détention peut être renouvelée tous les 6 mois, et ce indéfiniment, sans que des charges leur soient notifiées. Pas de procès donc, ni de jugement, mais une incarcération qui dure jusqu’à ce que l’administration décide d’y mettre fin. Si la 4e Convention de Genève autorise Israël, en tant que puissance occupante, à utiliser le régime de détention administrative, le droit international y met des restrictions sévères. Les autorités israéliennes ignorent ces limites et l’appliquent de manière systématique et à grande échelle, ce qui est constitutif de détention arbitraire et abusive.

Le cas emblématique de Mohammed Allan

Pour réclamer les droits qui leurs sont déniés, les prisonniers n’ont qu’un recours : mettre en danger leur propre santé, voire leur vie. Le cas de Mohammed Allan, un jeune avocat palestinien, met à nouveau en évidence les dérives de la justice militaire israélienne et l’impasse à laquelle sont confrontés les prisonniers. Maintenu en détention administrative depuis novembre, il a initié une grève de la faim qui s’est soldée par son hospitalisation au bout de 60 jours. Le gouvernement israélien refusait de l’inculper et de le juger mais aussi de le libérer si les dommages dont il souffre sont réversibles… Un exil de 4 ans lui a été proposé en échange de sa libération, sans autre forme de procès. Le politique et le judiciaire acculent le prisonnier à un choix terrible : l’exil ou la mort.

La loi sur l’alimentation forcée, fortement controversée

Après les grèves de la faim de 2012, craignant que le décès d’un détenu déclenche une spirale de violence, le gouvernement israélien a rédigé une loi autorisant un juge à ordonner qu’un détenu soit attaché à son lit et entubé de force afin d’être nourri, contre sa volonté, si sa vie est en danger. Cette pratique invasive et douloureuse peut provoquer une hémorragie interne, un affaissement des poumons, des vomissements, voire la mort du patient. Il faut par ailleurs rappeler le fait qu’en Israël, le gavage des animaux est interdit. Il est par conséquent difficile de ne pas en conclure que les animaux y sont mieux considérés et traités que les Palestiniens… Malgré les oppositions de l’Union européenne, des Nations unies, de l’OMS et de la Croix-Rouge, le parlement israélien a adopté la loi. L’Association médicale israélienne refuse de l’appliquer et a introduit un recours en annulation auprès de la Cour suprême israélienne estimant que la pratique équivaut à de la torture et qu’elle va à l’encontre des standards éthiques médicaux. Elle a également clairement affirmé que tout médecin a le droit de refuser de la pratiquer. Le cas de Mohammed Allan a testé cette détermination : après être tombé dans le coma, il a été transporté à l’hôpital Soroka à Beersheba où les médecins ont refusé de le réanimer, respectant ainsi sa volonté. Il a ensuite été conduit à l’hôpital de Barzilai où la direction a clairement signifié qu’elle ne l’alimenterait pas de force. La Cour suprême israélienne a finalement levé son ordre de détention pour raisons médicales. Cette libération ne constitue pas une victoire pour autant : les médecins ignorent encore si les dommages cérébraux qu’ils ont détectés sont réversibles et, si son état de santé s’améliore, il sera à nouveau arrêté. Par ailleurs, rien ne change en matière de détention administrative. Finalement, on ne peut qu’espérer que l’ensemble du corps médical israélien se range derrière la position de l’Association médicale : il ne reste que l’éthique pour empêcher la torture devenue légale.

 

 

 

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