Les médias israéliens prétendent souvent que les prisonniers politiques palestiniens bénéficient d’un traitement “cinq étoiles”. En réalité, ils font face à certaines des conditions parmi les pires d’Occident.
Par Oren Ziv
L’évasion de six prisonniers politiques palestiniens de la prison de Gilboa, le 6 septembre dernier, a à la fois enragé et ravi le public et les médias israéliens. Pour beaucoup, le fait que les prisonniers, impliqués ou responsables d’attaques ayant entraîné la mort de civils israéliens, aient pu s’enfuir d’une prison de haute sécurité et échapper à la capture a suffi à susciter l’admiration.
L’évasion a rapidement fait sensation dans les médias sociaux. A l’heure d’écrire ces lignes, quatre des prisonniers, dont le plus célèbre, Zakaria Zubeidi, l’ancien commandant de la brigade des martyrs Al-Aqsa du Fatah à Jénine, avaient été rattrapés. Les deux fugitifs encore en liberté furent rattrapés la semaine suivante.
Étonnamment, un grand nombre d’Israéliens ont exprimé leur sympathie envers les prisonniers tout en les considérant comme des “terroristes” ; cela semble provenir en grande partie du fait qu’ils ont été séduits par les aspects hollywoodiens de l’évasion, du tunnel creusé avec une cuillère à l’intérieur de la cellule de la prison jusqu’aux échecs patents de l’administration pénitentiaire israélienne (IPS). Mais dans le public palestinien, la sympathie est réelle et largement répandue, avec des hommages et des appels à aider les prisonniers avec de la nourriture, de l’eau et un abri, et un refus massif de coopérer avec les initiatives d’Israël pour les capturer.
Les autorités israéliennes ont réagi en arrêtant les membres des familles des fugitifs – dont aucun n’était soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’évasion – dans le cadre d’une campagne de pressions visant à pousser les fugitifs à se rendre. La Croix-Rouge a également informé les familles de tous les prisonniers palestiniens que les autorités allaient supprimer les visites jusqu’à la fin du mois de septembre comme punition.
S’il y a une question qui unit tous les Palestiniens dans les territoires occupés, c’est bien celle des prisonniers politiques. Selon l’Autorité palestinienne, un Palestinien sur cinq est passé par une prison israélienne depuis le début de l’occupation en 1967. Dans une réalité où tout enfant peut finir par passer des mois dans une prison militaire simplement pour avoir manifesté dans son village, les prisonniers bénéficient d’un statut particulier dans la société palestinienne. En tant que telle, l’évasion a permis à de nombreux Palestiniens, ne fût-ce que pour un instant, d’imaginer une “auto-libération” de tous les prisonniers enfermés par Israël.
L’événement devrait également servir aux Israéliens à réfléchir sur la lutte des Palestiniens. Pour les Palestiniens, les prisonniers évadés – ainsi que les 4650 autres Palestiniens actuellement emprisonnés par Israël – ne sont pas des “terroristes” mais des prisonniers politiques et des prisonniers de guerre. Et pour beaucoup, comme dans d’autres luttes anticoloniales, même ceux qui participent ou aident à planifier des attaques contre des civils israéliens font partie de la lutte légitime contre une occupation systématiquement violente.
La couverture des prisonniers palestiniens dans les médias israéliens est devenue plus importante ces dernières années, en particulier durant les grèves de la faim, lorsque les protestations populaires dépassent les murs de la prison et atteignent les rues et les points de contrôle des territoires occupés et même à l’intérieur d’Israël. Souvent, les Israéliens entendent parler aux informations de détenus en grève de la faim au bord de la mort parce que les dirigeants et analystes israéliens craignent une “réponse violente” ou une “escalade” de la part des Palestiniens, plutôt que de s’inquiéter de la santé ou de la survie du prisonnier.
Ceci en contraste avec les médias et les réseaux sociaux palestiniens, qui rendent régulièrement compte des assignations à résidence, des audiences des tribunaux militaires israéliens, de la lutte pour la libération des prisonniers grévistes de la faim, des femmes en prison et de la vie des anciens prisonniers. On trouve des affiches de prisonniers dans presque tous les villages et villes des territoires occupés. De nombreux groupes de défense des droits de l’Homme comme Addameer et DEI-Palestine fournissent des rapports détaillés sur les arrestations et les conditions de vie des détenus.
L’évasion a également mis l’Autorité palestinienne dans une position délicate. Au cours du seul mois dernier, l’armée israélienne a tué cinq Palestiniens lors de deux raids nocturnes dans les camps de réfugiés de Jénine et de Balata ; ces deux opérations ont probablement été coordonnées avec l’AP. Bien que l’armée israélienne n’exige pas une telle coordination préalable avec l’AP, la latitude dont elle a bénéficié ces dernières années a été un élément important de sa coordination en matière de sécurité (lire article pages 24-27).
Cependant, avec les appels à l’aide aux fugitifs qui résonnent dans toute la société palestinienne et les marches publiques organisées par des hommes armés, principalement dans la région de Jénine, pour soutenir l’évasion, il sera difficile pour l’AP d’aider les forces israéliennes à entrer dans ces centres-villes comme elle le faisait auparavant. Avec la possibilité que les deux derniers évadés soient retournés en Cisjordanie, l’armée israélienne craint que toute tentative d’envahir les camps pour les capturer ne se solde par des confrontations armées.
Les “prisons cinq étoiles”
Depuis l’évasion, plusieurs journalistes israéliens ont lancé et recyclé la théorie selon laquelle les prétendus “prisonniers de sécurité” palestiniens vivent dans des “prisons cinq étoiles” où la vie est une “fête” ou un “camp d’été” qui comprend la télévision, des études universitaires (qui ont en fait été abolies en 2011), de la nourriture gratuite et une foule d’autres avantages.
Ceux qui soutiennent cette théorie n’ont manifestement jamais passé une journée dans une prison israélienne, et n’imaginent pas les conséquences mentales, physiques et sanitaires d’une incarcération perpétuelle. Les conditions de détention en Israël – y compris pour les détenus non politiques – sont parmi les pires du monde occidental. Les détenus sont exposés à une chaleur ou un froid extrême selon les saisons, et vivent dans moins de trois mètres carrés par prisonnier, comprenant le lit, les toilettes et la douche, contre 8,8 mètres carrés par prisonnier dans les autres pays occidentaux. Après que l’Association pour les droits civils en Israël a déposé une pétition à ce sujet, la Haute Cour d’Israël a statué en juin 2017 que l’État avait 18 mois pour augmenter de manière significative l’espace de vie des prisonniers israéliens. Cette décision n’a pas encore été pleinement appliquée à ce jour.
La situation des Palestiniens définis comme “prisonniers de sécurité” est pire que celle des détenus de droit commun, et même de ceux définis comme “prisonniers de sécurité” juifs. Ils n’ont pas accès à des téléphones publics (à l’exception d’un projet pilote limité qui a débuté en 2019). Les visites des proches, coordonnées par la Croix-Rouge, ont lieu une fois par mois et sont limitées aux parents du premier degré, qui doivent obtenir à la fois un permis d’entrée en Israël et un permis d’entrée dans la prison, les deux pouvant être refusés par le Shin Bet sans aucune explication.
En outre, les prisonniers politiques n’ont pas la possibilité de demander des vacances ou de recevoir des visites conjugales, et il est extrêmement rare que leur peine soit réduite. Ils sont tous emprisonnés dans des ailes de sécurité maximale, où la possibilité de se déplacer entre les cellules ou dans la cour est extrêmement limitée. Même ceux qui ont besoin d’une réinsertion sociale ou de séances de rééducation (que les détenus non sécuritaires reçoivent) ne peuvent pas les obtenir.
Avec le début de la pandémie de COVID-19, les restrictions imposées aux prisonniers politiques palestiniens ont encore été renforcées. Les visites des proches et des avocats ont été complètement supprimées, et comme ils n’ont pas accès à des téléphones publics, les prisonniers ont été en fait coupés du monde. Même lorsque les restrictions imposées aux détenus de droit commun ont été levées, on a continué très longtemps à les appliquer aux prisonniers politiques.
Les prisonniers politiques palestiniens qui ont purgé leur peine peuvent également faire l’objet d’une détention administrative, un outil utilisé discrétionnairement par les autorités israéliennes dans les territoires occupés. Avec cette forme de détention, les prisonniers peuvent, aussitôt libérés, être immédiatement réincarcérés et ce, indéfiniment. Les ordres de détention administrative sont réexaminés tous les six mois, mais les prisonniers ne sont jamais informés de quels crimes ils sont accusés, ni des charges retenues contre eux. Par conséquent, il est pratiquement impossible de s’en défendre.
Article original paru le 12 septembre 2021 sur +972 Magazine
Traduction : Thierry Bingen et Ouardia Derriche