Bulletin n°89 : culture – Chaire Mahmoud Darwich : Résonances

Par Nedjma Hadj Benchelabi*

« Au ver à soie, nous dérobons un fil pour édifier un ciel qui nous appartienne et enclore cette migration.

Et nous ouvrons la porte du jardin pour que le jasmin sorte dans les rues comme une belle journée.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens.

Là où nous élisons demeure, nous cultivons les plantes vivaces et récoltons les morts.

Dans la flûte, nous soufflons la couleur du plus lointain, sur le sable du défilé, nous dessinons les hennissements.

Et nous écrivons nos noms, pierre par pierre. Toi l’éclair, éclaircis pour nous la nuit, éclaircis donc un peu.

Nous aussi, nous aimons la vie quand nous en avons les moyens. »

Mahmoud Darwich1

Mahmoud Darwich est une des figures de proue de la poésie palestinienne et l’un des plus grands poètes contemporains. À la suite de la guerre en 1948 et la création de l’État d’Israël, sa famille a dû fuir la Galilée pour s’installer au Liban. Un an plus tard, elle y retourne clandestinement pour découvrir que le village a été rasé et que la Palestine a été effacée. Porte-parole malgré lui de tout un peuple, ses premiers textes furent associés à la cause palestinienne. Sa poésie chante l’exil, la guerre, la prison, l’amour. Elle a la douleur du déracinement et la douceur des parfums du jasmin, elle possède une force admirable qui a pu rayonner en plusieurs langues et atteindre plusieurs continents.

Composer une programmation pour la chaire Mahmoud Darwich est une mise en corps, en images et en mots grâce à des œuvres d’artistes, poètes et penseurs contemporains, complices de résonances multiples. Ce sont des dialogues imaginés et ouverts afin de perpétuer son œuvre. La chaire est une plateforme qui permet de composer une présente absence, celle du grand poète Darwich,2 et de donner vie à une anatomie de l’errance, résolument contemporaine, imprégnée des défis de nos solitudes actuelles et nos vies en commun.

Regards sur l’avenir

Dans ce contexte, la chaire a continué son programme intitulé ‘le futurisme arabe’ pour donner voix à des projets artistiques futuristes explorant des territoires et des paysages de rêves. Ces projets incitent à regarder les réalités politiques et sociales du monde arabe sous un autre jour. Ils emploient la fiction pour proposer des récits et des réalités alternatifs, des avenirs possibles au-delà des soulèvements Arabes et de leurs dés/illusions. Chargés du passé et de la forte résilience au présent, ces travaux stimulent des dialogues importants entre les deux rives de la méditerranée, et dépassent dans leurs propos les contextes spécifiques. Nous avons invité Larissa Sansour, Monira Al Qadiri, Mazen Maarouf, Mariam Mekiwi et Bassem Yousri…Des films d’arts et des livres au présent en format digital, accessible à tous.

Par ailleurs, une nouvelle orientation a été prise qui vise notamment le soutien et l’accompagnement par la Chaire à des projets artistiques ici en Belgique et dans le monde arabe. Cela s’est concrétisé par le lancement du premier appel à projets aux artistes et chercheurs en sciences humaines. Cette nouvelle impulsion se veut complémentaire au travail de présentation des ramifications contemporaines de l’œuvre de Mahmoud Darwich. Cet appel a pour but d’encourager les résonances contemporaines de l’œuvre du poète palestinien Mahmoud Darwich et de ses influences sur la création artistique et intellectuelle dans le monde contemporain arabe, européen et méditerranéen. Ce premier appel à candidatures est accompagné d’un propos curatorial d’Elia Suleiman. Les quatres lauréats seront annoncés très prochainement.

Ouvrir le dialogue et tisser des liens, créer des passerelles entre artistes et publics belge et La place donné aux jeunes artistes est un choix conscient. Les travaux de cette jeune génération sont très révélateurs du dynamisme et de la créativité actuelle. Il reflète les thématiques actuelles, propres au monde globalisé dans lequel nous vivons : ces jeunes sont en contact avec le monde mais plus que cela, ils sont concernés par le monde.

« Walk with Amal »

Pour cette rentrée, la chaire vous donne rendez-vous les 6 et 7 octobre à la ville de Bruxelles avec un magnifique projet, « Walk with Amal ».

Dans The Walk (« La marche »), une marionnette qui représente une petite fille réfugiée se fera la porte-parole de tous les enfants déplacés du monde. La petite Amal entreprend un long voyage de 8000 km qui la conduit de Turquie, en Grèce, en Italie , en France, en Suisse, en Allemagne, en Belgique et au Royaume-Uni. Cette performance inédite entend apporter une réponse artistique en ces temps agités : une odyssée qui dépasse les frontières, qu’elles soient politiques ou linguistiques. 

À Bruxelles, Amal prend la forme d’un spectacle de danse créé par des danseurs et des circassiens sous la direction artistique de Sidi Larbi Cherkaoui. Aux Abattoirs, lieu de la performance, nous découvrons une petite Amal hantée par ses souvenirs. Partout autour d’elle, ce qui semblait autrefois normal lui apparaît soudainement menaçant.  Le Chœur d’enfants de la Monnaie sera de la partie pour célébrer Amal avec enfants, artistes et adultes réunis. Par ailleurs, un projet de lettres venant du monde entier destiné à Amal s’achemine vers Bruxelles pour donner voix à des milliers d’enfants. Une sélection de lettres sera lue par les enfants à la place de la Monnaie en plusieurs langues comme clôture à ces deux journées à Bruxelles.

A la mi-novembre, nous préparons un programme artistique de trois jours « Pour Beyrouth de Bruxelles » en soutien aux artistes, collectifs et organisations culturelles du Liban.

Basé sur les relations d’amitiés et de collaboration qui lie la scène culturelle au Liban, ce programme est une plateforme de mobilisation des artistes et opérateurs culturels envers leurs collègues et partenaires libanais.

Beyrouth, une ville meurtrie par de terribles explosions qui ont rasé le port de la ville et provoqué des dégâts humains et matériels importants depuis le 4 août 2020. Cette catastrophe s’ajoute à̀ une situation économique et politique difficile à̀ laquelle la société́ civile fait face depuis de nombreux mois. La crise sanitaire due à̀ la pandémie n’a pas épargné́ le Liban et amplifie les difficultés des citoyens continuellement. Dans un formidable élan, les acteurs culturels ont continué́ à se mobiliser et à tisser des actions de solidarité́ remarquables à Beyrouth, et prochainement à Bruxelles. Une programmation exceptionnelle avec la participation d’un grand nombre d’artistes, et d’écrivains, libanais et belge pour rendre hommage à la résistance et au courage du peuple libanais. Un long week-end où succèderont au premier jour des prises de paroles pensées en tandem pour partager l’espoir et démontrer une solidarité́ entre les deux pays, entre les deux scènes culturelles.

Avec la poésie, avec la littérature, avec les arts de la scène, avec la musique, avec le cinéma, avec vous et grâce à nos publics et partenaires, nous continuerons, fidèle à cette citation de Mahmoud Darwich :

“Une personne ne peut naître qu’à un seul endroit. Mais il peut mourir plusieurs fois ailleurs : dans les exils et les prisons, et dans une patrie transformée en cauchemar par l’occupation et l’oppression. La poésie est peut-être ce qui nous apprend à entretenir l’illusion charmante : comment renaître de nous-mêmes encore et encore, et utiliser les mots pour construire un monde meilleur, un monde imaginaire qui nous permet de signer un pacte pour une paix permanente et globale… avec la vie.”3

Encacré 1 :

Auteur, metteur en scène et scénographe, Amir Nizar Zuabi est né à Jérusalem en 1976. Après une formation de comédien, il s’oriente vers la mise en scène et commence, en 2001, à collaborer avec le théâtre Al-Kassaba à Ramallah. Il y crée notamment Alive from Palestine, un spectacle qui connaîtra une tournée internationale . En 2009, Zuabi fonde à Haïfa sa propre compagnie ShiberHur (« Un empan de liberté »), afin d’offrir au public palestinien le meilleur de la création contemporaine et du théâtre de répertoire. Amir Nizar Zuabi est aujourd’hui directeur artistique de ’The Walk” et de Good Chance (UK).

Encadré 2

La Chaire Mahmoud Darwich est une initiative de la Fédération Wallonie- Bruxelles de Belgique, avec le soutien de Wallonie-Bruxelles International en consortium avec l’ULB, l’UCL et BOZAR.

http://mahmouddarwishchair.org/fr/

https://www.facebook.com/ChaireMahmoudDarwich/

*Coordinatrice du Programme de la Chaire Mahmoud Darwich, Bozar, Bruxelles

1 La terre nous est étroite et autres poèmes, Traduit de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar, Gallimard, 2000.

2 Présente absence, Traduit de l’arabe (Palestine) par Farouk Mardam-Bey et Elias Sanbar, Actes Sud, 2016.

3 Extrait du discours à la remise du prix du Prince Claus Fund of principal, Amsterdam, 2004.

Crédit photo : Good Chance

légende photo :The Walk, par Amir Nizar Zuabi.

 

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