La Pop music palestinienne en pleine ascension

Les musiciens palestiniens de genres divers apparaissent plus régulièrement dans les festivals et les programmations, ce qui est remarquable, compte tenu des défis auxquels ils sont confrontés.

Par Catherine Fache. d’après William Ralston, The Rise of Palestinian Pop, BBC Culture, 17 septembre 2019.

Bashar Murad, qui a grandi à Jérusalem-Est, a débuté avec des reprises de pop occidentale avant de sortir ses propres chansons, certaines en arabe et d’autres en anglais – avec des vidéos audacieuses et des paroles satiriques sur la liberté d’expression. En 2009, Bashar a commencé à partager sa musique sur Facebook et à la télécharger sur YouTube et Soundcloud. Peu de temps après, il l’a ajoutée à Spotify mais a eu du mal à trouver un public local car la plateforme n’était accessible qu’aux Palestiniens enregistrés sur les marchés étrangers utilisant un réseau privé virtuel (VPN). L’absence d’une plateforme du Moyen-Orient signifiait également que la musique de Bashar n’était pas remarquée à l’étranger. Une décennie plus tard, il a désormais un succès mondial. En avril, il s’est produit à Palestine Music Expo (PMX) à Ramallah, ainsi qu’à la Semaine de la musique canadienne de Toronto.

Le succès de Murad est une pièce d’un puzzle beaucoup plus vaste.  Il y a toujours eu des musiciens palestiniens, mais leur situation a rendu leur reconnaissance improbable. Le manque d’infrastructures locales est au cœur du problème. Les trois seuls lieux de musique dans les territoires palestiniens se trouvent en Cisjordanie, mais leur grande taille les rend impropres à accueillir des spectacles émergents. Pour cette raison, les concerts doivent avoir lieu dans des restaurants ou des salles de fortune, qu’il n’est pas toujours possible de convertir en un espace adapté. Les quelques entreprises qui louent le matériel nécessaire ne sont pas abordables pour la majorité de la population locale. Le seul autre lieu clé pour les musiciens palestiniens est Kabareet dans la ville israélienne de Haïfa. Depuis son lancement, il y a quatre ans, ce lieu est devenu une deuxième maison pour les Palestiniens qui ont un passeport israélien ou des documents les autorisant à voyager en Israël.

De plus, à Jérusalem, chaque concert risque l’annulation. Israël interdit souvent les activités des organisations palestiniennes au motif qu’elles sont liées à l’AP et érodent la souveraineté israélienne sur la ville. Rania Elias, directrice du Centre culturel Yabous, a déclaré : “Plusieurs fois, nous avons annoncé des lectures, des concerts et des expositions, qui ont été interdits par les forces israéliennes. Ils viennent une heure avant l’événement avec des soldats et un ordre disant que, selon les informations dont ils disposent, nous organisons un événement dangereux pour la sécurité d’Israël.» «La culture est une forme de résistance pacifique et un moyen de préserver notre identité culturelle et notre patrimoine», a-t-elle expliqué. «Cela donne de l’espoir aux gens, et donc les forces israéliennes ne veulent pas de ces concerts.» Du côté de Gilad Erdan, ministre israélien de la Sécurité publique, on explique: «Les résidents de Jérusalem-Est sont libres d’organiser tout événement culturel et sportif et nous nous félicitons de la richesse culturelle de notre capitale, Jérusalem, qui est une ville de paix et une plaque tournante du tourisme dans le monde entier. La seule limitation de la loi concerne les événements de l’organisation ou parrainés par l’Autorité palestinienne, qui est un élément politique hostile à Israël et un partisan du terrorisme, qui travaille de toutes les manières à saper la souveraineté israélienne sur notre Capitale.”

Pour les événements organisés dans le reste de la Cisjordanie – à l’exception de la zone C sous contrôle israélien – une autorisation doit être demandée aux autorités palestiniennes et le couvre feu doit être respecté.

L’enregistrement et la diffusion de musique sont également difficiles. Il y a des studios à Ramallah et à Jérusalem-Est mais le matériel d’enregistrement n’est pas accessible aux moins fortunés. Des taxes à l’importation élevées excluent la livraison par la poste, ce qui signifie que l’équipement doit être apporté par ceux qui peuvent voyager à l’étranger, et il peut être difficile de le passer aux frontières. Il existe un label de musique bien connu, Samer Jaradat Productions, mais pour les autres, aucun ne fonctionne pleinement, en partie parce que peu de personnes sont formées au droit d’auteur. Les artistes dès lors s’auto-publient et téléchargent sur des plateformes en ligne telles que Spotify, Deezer, YouTube et Soundcloud dans le faible espoir que leur musique rencontrera un public.

Dans la bande de Gaza, les opportunités sont encore moins nombreuses. Les studios d’enregistrement sont rares et tout équipement doit provenir d’Égypte ou d’Israël à un prix exorbitant. Hamada Nasrallah, chanteur du groupe Sol, explique qu’il a dû vendre ses biens pour s’offrir une guitare, qui fut détruite lors des bombardements israéliens d’août 2018 contre le Centre Said al-Mishal. Les pénuries rendent «difficile de se concentrer sur la musique» car «nous n’avons pas le minimum pour vivre», explique MC Gaza, un rappeur local. De plus, le Hamas interdit les événements au motif que la musique alternative sape les traditions musulmanes.  Les restrictions à la circulation aggravent le problème: beaucoup de musiciens ne peuvent pas voyager ou rencontrer des professionnels. Pour entrer en Israël, des permis spéciaux sont nécessaires, qui sont rarement accordés, surtout pas rapidement.

Chaque année, PMX a déposé une demande de permis au nom de Sol, mais elle a été chaque fois refusée. Cette année, ils ont eu de la chance, mais uniquement pour Nasrallah, autorisé à quitter Gaza pour la première fois. Il en a été informé par téléphone quelques heures avant la représentation.

«La Palestine est un si petit morceau de terre et il y a des frontières tout autour de vous», dit l’artiste locale Rasha Nahas. Née à Haïfa, elle est autorisée à voyager en dehors de la Cisjordanie, mais ce privilège l’empêche de voyager au Moyen-Orient parce que peu d’Etats de la région reconnaissent Israël. Elle est maintenant installée à Berlin où elle poursuit une carrière d’artiste solo. Son premier album vient de sortir.

La position des Palestiniens nés à Jérusalem est particulièrement complexe. Le statut de résident permanent leur permet de vivre et de travailler en Israël mais ils ne peuvent pas entrer dans un autre pays sans visa, ce qui est difficile à obtenir car ils n’ont aucune nationalité.

Les six membres du groupe de rock El Container ont grandi à Jérusalem-Est et ont donc le droit de résidence permanente en Israël, mais leur nationalité officielle n’est pas définie et ils n’ont pas de passeport. Suleiman Harb, membre du groupe, explique que pour obtenir un visa (ce qui arrive rarement), ils doivent introduire une demande en ligne auprès des festivals.” et il ajoute ” mais de toute façon nous ne pourrions pas faire des tournées normales parce que cela nécessiterait beaucoup d’argent et qu’il n’y a aucune garantie de retour.” Cela réduit également leurs chances de diffuser leur musique car les labels hésitent à s’engager avec un groupe mis dans l’incapacité de faire une tournée dans les principaux pays arabes, à savoir le Liban, la Syrie et Dubaï. Le groupe s’est néanmoins produit en Turquie, en Italie, au Maroc, en Jordanie et en Égypte. Ils ont refusé d’autres invitations envoyées avec de mauvaises intentions: “On essaie de faire se rencontrer des groupes israéliens et palestiniens sur la même scène pour montrer qu’ils peuvent exister dans le même espace; la musique n’est pas au centre de leurs préoccupations”, dit Harb.

Les musiciens des Hauteurs du Golan sont confrontés à des restrictions similaires. Bien que Syriens, les musiciens locaux sont considérés comme faisant partie de la scène palestinienne: ils ne sont même pas autorisés à voyager en Syrie, ils ne peuvent donc voyager qu’en Israël et en Cisjordanie. Les quatre membres de TootArd, étiquetés comme Palestiniens, ont grandi dans le village de Majdal Shams et ont leur résidence permanente en Israël, mais leur nationalité officielle est également “indéfinie” et ils n’ont pas de passeport. Les problèmes de visa les ont obligés à refuser des offres venues de Beyrouth, Dubaï, Koweït et Algérie, qui ont tous des exigences de visa particulièrement strictes.

L’accès à une plateforme mondiale est un défi pour tous les musiciens palestiniens. Certains – comme Murad, TootArd, El Container et Rasha Nahas – commencent à atteindre une audience internationale, mais d’autres continuent à composer avec les limites auxquelles ils sont confrontés. Ce qui les unit, c’est l’optimisme devant la perspective d’un changement.

Mahmood Jrere a suivi cette évolution. Aux côtés des frères Tamer et Suhel Nafar, Jrere fait partie de DAM, le premier groupe hip-hop des Territoires palestiniens et un des plus célèbres. En 1999, lorsque le groupe s’est formé, le paysage palestinien de la musique alternative était quasi désert, en partie parce que les musiciens n’avaient aucun espoir de succès. Leur musique était proche des gens parce qu’elle parlait de la réalité et de la violence, ce qui contrastait avec l’amour et le romantisme de la musique arabe classique et pop. Profitant d’Internet, ils ont signé en 2006 un contrat avec le label londonien Red Circle Music. Le succès de DAM a inspiré une génération de hip-hop palestinien, mais ce n’est que plus récemment que la musique s’est développée dans la région. «Le hip-hop a éclaté, mais ce qui est différent maintenant, est la diversité de la scène palestinienne », explique Jrere.

Au centre de cette évolution, se trouve PMX, destiné à permettre aux artistes palestiniens de produire leur musique, d’acquérir de nouvelles compétences et de se connecter à l’industrie musicale mondiale. Chaque année, ses organisateurs invitent des délégués du monde entier à rencontrer des musiciens locaux et à les entendre jouer. Si la Palestine ne peut pas aller au monde, alors le monde viendra à elle. A l’origine de l’événement se trouve Martin Goldschmidt, qui l’a créé avec Jrere et trois autres musiciens et activistes palestiniens, Rami Younis, Abed Daa’dleh et Abed Hathout.

«PMX offre aux artistes des opportunités», dit Jrere, «et les encourage à faire un pas en avant, à continuer de perfectionner leur son et à développer leur image.» Cela crée également une saine compétition et lie les différentes scènes musicales, fragmentées depuis si longtemps. Rasha Nahas ajoute: « Les musiciens palestiniens ont réalisé que les choses étaient possibles. Vous avez un regard différent lorsque vous savez que vous pourriez jouer pour Sony dans six mois.”

Le lancement en 2018 de Spotify au Moyen-Orient reflète ou anticipe un grand intérêt mondial pour la musique du Moyen-Orient. La nouvelle présence du géant du streaming aide les musiciens palestiniens de deux manières importantes: fournir une plate-forme à ceux qui vivent dans les Territoires  et, à travers le «hub arabe», les présenter au public mondial en ajoutant leur musique à des playlists, un moyen important de découverte musicale. “Depuis le lancement de Spotify au Moyen-Orient, j’ai vu une augmentation considérable du nombre de personnes écoutant ma musique”, explique Murad. «Islande, Japon, … il m’aurait été impossible d’atteindre ces gens d’une autre manière.»

Être en mesure de présenter leur musique aux professionnels est une étape majeure, mais une infrastructure locale est nécessaire pour que les musiciens palestiniens prospèrent. Pour ce faire, l’équipe de PMX fournit du matériel et organise des ateliers sur le droit d’auteur pour faciliter le lancement de labels, de distributeurs et de sociétés de recouvrement. Il est prévu d’ouvrir un bureau permanent à Ramallah pour mettre les artistes en contact avec des promoteurs étrangers et aider à l’organisation des tournées.

Mais un gros obstacle auquel tous les artistes pop du Moyen-Orient sont toujours confrontés est la façon dont on a tendance à les cataloguer en Occident. Rasha Nahas a déclaré que son héritage arabe est considéré comme une «musique du monde» réservée à des événements arabes spéciaux, où son travail ne convient pas vraiment. «En tant qu’artiste palestinien, on vous impose votre genre; on pense toujours que nous allons jouer de la musique palestinienne traditionnelle, mais nous sommes comme dans tous les autres endroits du monde, avec beaucoup d’artistes qui font des choses différentes.»

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