Les femmes palestiniennes se soulèvent dans le monde entier

Des rues de Palestine et d’Israël au Congrès américain, en 2019, les Palestiniennes se sont soulevées contre des injustices historiques mais aussi contre les oppressions quotidiennes. Aujourd’hui, elles réécrivent l’avenir.

Par +972 magazine

En août dernier, l’assassinat d’Israa Ghrayeb par les membres de sa famille a suscité l’indignation en Palestine et dans le monde arabe, incitant les femmes à briser les tabous en partageant sur les réseaux sociaux leurs récits sur la violence domestique. Elles ont exigé que tous les complices de la mort de Ghrayeb soient tenus comptables – des membres de sa famille aux institutions qui étaient censées la protéger mais se sont tues. La pression populaire qui s’en est suivie a obligé l’Autorité palestinienne à ouvrir une enquête sur l’assassinat.
Le 26 septembre, des milliers de Palestiniens ont défilé dans des dizaines de villes à travers la Palestine historique et à l’étranger, aux cris de : « Pas de patrie libérée sans la libération des femmes ». Les manifestations ont été organisées par le mouvement Tal’at (« Coming out » en arabe) – un groupe de femmes basé en Palestine, fondé un an avant l’assassinat de Ghrayeb et qui cherche à redéfinir la lutte nationale palestinienne.
« Ce sont les femmes palestiniennes qui, après des années d’action inlassable contre le colonialisme, peuvent proposer une véritable voie de libération. On ne se tiendra pas timidement derrière des hommes qui élaborent les agendas politiques et des déclarations complètement déconnectées des réalités vécues par les femmes ou, en fait, des réalités vécues par la majorité de notre peuple », écrit Soheir Asaad, l’une des organisatrices.

Les politiques oppressives d’Israël – qu’elles visent les Palestiniens citoyens israéliens, ceux qui vivent sous son régime militaire en Cisjordanie ou à Jérusalem-Est, ou ceux qui sont soumis au blocus dans la bande de Gaza – concourent avec les structures sociales patriarcales pour miner les droits et libertés des femmes.
Quant aux faits de violence familiale ou aux « crimes d’honneur », la justice continue d’y apposer l’étiquette de conflits familiaux pour justifier de les laisser sans suites. Devant ces tentatives de fragmentation et de paralysie du tissu de la société palestinienne, qui isolent les communautés dans l’espace et dans les systèmes juridiques, le mouvement Tal’at a donné naissance à une plateforme dynamique et intersectionnelle pour unir de nombreux Palestiniens au-delà des frontières, tout en mettant les femmes au premier plan. De plus, aux côtés d’autres groupes féministes, tels que l’organisation Assiwar, elles lancent des campagnes inédites afin que les hommes palestiniens, y compris des personnalités éminentes au sein de la société, soient tenus comptables de leurs actes de misogynie, d’agression ou de harcèlement sexuel.

En novembre, Israël a de nouveau arrêté l’ancienne députée palestinienne Khalida Jarrar au cours d’une vague d’arrestations de Palestiniens affiliés au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). En avril 2018, quand Israël a refusé aux mineurs emprisonnés leur droit à l’éducation en écartant leur enseignant durant plusieurs semaines, Jarrar, détenue dans la même prison, a préparé les étudiants détenus à leurs examens d’entrée à l’université. Elle a également donné des cours sur les droits humains à toutes les femmes détenues.
Le système pénitentiaire israélien a d’abord exigé que Khalida Jarrar mette fin à ces cours – une initiative qu’Addameer, l’organisation à but non lucratif pour les droits des prisonniers palestiniens, a qualifié « non seulement de déni de droit à l’éducation, mais aussi de tentative de réduire la capacité des femmes détenues à mieux comprendre leur propre oppression. » Après avoir rejeté la demande des prisonniers, le système pénitentiaire israélien a cédé et Jarrar a repris ses cours.

Rachida Tlaib est une autre femme politique palestinienne qui a fait l’objet d’un contrôle intense cette année, bien que dans des circonstances très différentes. Première Américano-Palestinienne à siéger au Congrès, Tlaib a prêté serment en janvier en tant que députée du treizième district du Michigan, portant une robe traditionnelle palestinienne en l’honneur de sa mère. « Ma Yama (mère en arabe) est venue aux Etats-Unis à l’âge de 20 ans », écrit Tlaib dans Elle, « et comme tout parent immigré, elle veut que tous ses enfants réussissent, mais sans abandonner nos racines et notre culture. »

La tenue de Tlaib a inspiré des femmes palestiniennes du monde entier à célébrer en ligne leur culture et leur héritage, avec le hashtag #TweetYourThobe.En particulier pour les Palestiniennes des Etats-Unis dont l’identité a été diabolisée avec agressivité et même niée dans les discours publics, ce fut un moment privilégié d’affirmer sa fierté. Un geste symbolique qui s’est rapidement mué en action puisque Tlaib, rejointe par la représentante au Congrès Ilhan Omar, a organisé une délégation du Congrès en Cisjordanie et à Gaza. L’itinéraire proposé comprenait des rencontres avec des associations et activistes palestiniens, ainsi qu’avec des organisations internationales des doits humains. Le but « était d’abord de constater ce qui se passe sur le terrain et d’entendre des témoignages de première main des parties prenantes », dit la représentante Omar dans un tweet.
Le gouvernement du premier ministre Benjamin Netanyahou, avec le soutien de l’administration du président Donald Trump, a empêché en août l’entrée sur le territoire palestinien des élues démocrates. Israël a toutefois offert à Tlaib un permis « humanitaire » pour lui permettre de rendre visite à sa grand-mère dans le village de Beit Ur al-Fauqa en Cisjordanie – un village qui a connu des décennies de saisies, d’accaparement de terres et d’expansion des colonies.
Ce permis, que Tlaib a finalement rejeté, constituait une tentative flagrante de la dépolitiser : Israël a refusé de collaborer avec Tlaib en tant que leader américaine ayant le droit de se déplacer et d’exprimer librement ses opinions, et ne lui a autorisé l’entrée qu’en tant que Palestinienne soumise à l’occupation.
Les Palestiniens se sont de nouveau tournés vers les réseaux sociaux, en partageant cette fois des images et des récits de leurs grand-mères avec le hashtag #MyPalestinianSitty. Si la précédente campagne sur les réseaux sociaux présentait les traditions et l’identité palestiniennes à une audience plus large, celle-ci place désormais les femmes palestiniennes âgées – les matriarches de la société – au centre.

En effet, le refus subi par Tlaib et Omar est emblématique de la manière dont les Palestiniennes et les femmes musulmanes (ainsi que les autres femmes de couleur) ont été au centre des efforts des Etats-Unis et d’Israël pour présenter les activistes antisionistes et anti-occupation comme des antisémites, alors même que les nationalistes blancs ont obtenu un sauf-conduit pour leur propre antisémitisme en vertu de leur soutien au sionisme.
Le fait que ces deux femmes aient été en première ligne pour contester la relation indéfectible des Etats-Unis avec Israël s’est traduit par des mesures draconiennes, telles que leur interdiction d’entrer en Palestine.
Cependant, l’interdiction israélienne ne saurait mettre un terme à l’accélération des débats sur le financement américain d’Israël, auxquels Tlaib a contribué. Le potentiel conditionnement de l’aide militaire américaine au bilan d’Israël sur les droits humains est, en l’espace d’un an, devenu un sujet de politique étrangère – sur lequel les candidats démocrates à la présidentielle, sans parler des divers groupes de pression à Washington, sont obligés de débattre.

Rachida Tlaib, les femmes de Tal’at et les femmes palestiniennes dans les prisons israéliennes ont opéré des avancées dans leurs environnements politiques respectifs. Elles font porter le débat sur la manière dont les politiques israéliennes – et l’aide et la complaisance de la communauté internationale à leur égard – affectent les Palestiniens en tant qu’individus, familles et communautés, et pas uniquement en tant qu’entité monolithique et sans visage.

Ainsi, ces femmes ont donné une voix à une réalité que leurs oppresseurs ont tenté de nier par la violence physique, la répression politique et le harcèlement légal.
L’histoire est souvent écrite par les puissants. En 2019, les femmes palestiniennes, qui sont doublement marginalisées par les politiques israéliennes et les normes patriarcales de leur société, n’ont pas seulement contesté les injustices historiques. Elles se sont levées pour lutter contre les oppressions quotidiennes. Aujourd’hui, elles réécrivent l’avenir.

Article original paru le 29 décembre 2020 sur +972 magazine.

Traduction AFPS

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