Liquidation de l’UNRWA à Jérusalem ?

Bulletin N°78
Par Marianne Blume
Photo : Shuafat / Ahmad Gharabli L

Le 31 août, le Département d’Etat américain annonçait la fin des versements américains à l’UNWRA, soit un manque à gagner pour l’Agence de 30% sur un budget déjà en déficit. Applaudie par Netanyahou, la mesure vise tout simplement à liquider la question des réfugiés. « Selon le Washington Post, l’intention de Trump serait en effet de limiter le nombre de réfugiés aux Palestiniens qui étaient en vie lors de la création de l’Agence, le 8 décembre 1949. C. à d. quelque 50 000 personnes sur les 5 millions de réfugiés … »[1]Plus de réfugiés, plus de question à discuter, plus de question sur la « légitimité » de l’Etat d’Israël. CQFD .

Jérusalem dans le viseur

Depuis longtemps, Israël cible Jérusalem : élargissement des frontières municipales avec expulsion des populations palestiniennes, colonisation intensive dans Jérusalem intra muros et à l’est de la ville pour la détacher de la Cisjordanie, destruction de maisons, refus de permis de construire aux Palestiniens, services inégalement distribués entre quartiers arabes et juifs, création de parcs nationaux empêchant le développement des quartiers et villages palestiniens, nettoyage ethnique dans la zone E1, révocation des permis de résidence des Jérusalémites palestiniens, expulsion des institutions officielles palestiniennes, mur autour de Shuafat, mur autour de Jérusalem, etc. Il suffit de lire les rapports annuels des consuls en place à Jérusalem (mais les responsables politiques les prennent-ils en compte ?) pour comprendre comment Israël détruit lentement mais sûrement Jérusalem-Est, toujours occupée selon le droit international, pour la judaïser tout aussi lentement mais sûrement. L’objectif annoncé est d’ailleurs d’y réduire la population palestinienne à moins de 40%. 

La décision de Trump de déplacer l’ambassade des USA à Jérusalem est venue conforter la politique israélienne, en lui donnant l’aval d’un allié puissant non seulement pour déclarer Jérusalem « capitale éternelle et indivisible » d’Israël mais encore pour poursuivre tranquillement la judaïsation de la ville.

Jérusalem et l’UNRWA

Dans la foulée, le maire de Jérusalem, Nir Barakat, a annoncé la fermeture de l’UNRWA qui gère le camp de Shuafat, situé à Jérusalem. Le plan de Nir Barakat serait de mettre fin à toutes les activités de l’Agence : écoles, services médicaux mère-enfant et cliniques pour ensuite saisir les bâtiments qui les abritent. Barakat donne comme argument le fait que l’UNRWA est « une organisation illégale oeuvrant au progrès du terrorisme et à l’incitation à la haine. » (Haaretz, 08/10/2018 : Israel closing UNRWA in East Jerusalem:Assuming responsibility or a political move?) Le libellé même de la proposition est explicite : « Mettre fin au mensonge des réfugiés ». Un mensonge qui, d’après Barakat, fait partie de la propagande de l’Autorité palestinienne, encouragée par l’ONU et visant à la destruction d’Israël. D’une clarté limpide.

Dans le camp israélien, cette décision pose plusieurs questions. Le plan prévoit en effet la reprise des services par la municipalité. Or, avec la présence de l’UNRWA, il manque déjà non seulement de centres mère-enfant mais encore de places dans les écoles (d’après l’Etat d’Israël lui-même, il manque 2000 classes !). 

Danny Seidman, un expert des affaires de Jérusalem, doute que le plan soit légal.

« Comment le maire de Jérusalem peut-il déclarer la guerre à une institution internationale reconnue qui ne cause aucun dommage et est utile? C’est une question de théâtre, de pur maccarthysme pour les primaires du Likoud». (Ibidem)

En attendant, des inspecteurs israéliens du ministère de la Santé ont tenté de perquisitionner dans une clinique de l’UNRWA. Ce qui n’est pas de leur compétence. (Haaretz, 08/10/2018 : UNRWA says Israeli inspectors tried to raid its

East Jerusalem clinic) En attendant, Nir Barakat s’est rendu au camp de Shuafat avec 15 éboueurs qui y entraient pour la première fois, afin, dit-il, de « réaliser la première phase de l’évacuation de l’UNRWA ». Un comble quand on sait que le même Nir Barakat a privatisé le ramassage des ordures à Jérusalem-Est, causant la dégradation de la situation sanitaire.

Un camp de réfugiés à Jérusalem : Shuafat

Après la guerre de 1948, des centaines de milliers de réfugiés ont dû fuir leurs villages et leurs maisons. Certains se sont réfugiés à Jérusalem sous administration jordanienne. Pour abriter ces réfugiés, l’UNRWA a construit un camp, appelé Mu’askar, dans le quartier juif de la vieille ville. En 1965, vu la surpopulation et les conditions sanitaires déplorables, l’Agence a créé un nouveau camp, partiellement sur des terres du village de Shuafat, dont le camp a pris le nom. Après la guerre de 1967, une nouvelle vague de réfugiés est venue s’y réfugier. A l’origine, le camp avait une superficie de 0, 203 km2 et abritait les quelque 500 familles de Mu’askar.  Après qu’Israël ait annexé Jérusalem-Est en 1967, le gouvernement a modifié les frontières municipales de Jérusalem et le camp de Shuafat s’est retrouvé dans les limites de la ville. En conséquence, en 1968, les habitants du camp ont reçu le statut de « résident permanent », à l’instar des autres habitants palestiniens de la ville. Un statut qui n’a de permanent que le nom puisqu’il est de fait révocable. En tant que résidents, les réfugiés doivent eux aussi payer les taxes israéliennes, fait unique dans les annales des camps de réfugiés.

Depuis 2002, de nombreux non-réfugiés sont venus habiter dans le camp qui a alors doublé de superficie : 24000 personnes (UNRWA) dont un peu plus de la moitié sont des réfugiés. En effet, beaucoup d’habitants des villages que le mur allait séparer de Jérusalem (comme Kufr Aqab ou Al Walaja) sont venus s’y installer pour garder leur statut de Jérusalémites. De même, des réfugiés qui avaient quitté le camp pour s’établir ailleurs en Cisjordanie sont revenus pour ne pas perdre leur résidence. Enfin, en l’absence de police israélienne ou palestinienne, le camp sert aussi de refuge à des malfaiteurs.

En 2003, Israël a commencé la construction du mur à Jérusalem-Est et a relégué, par un mur dans le mur, le camp de Shuafat et ses environs du côté «  Cisjordanie» de la barrière. Qui dit mur dit aussi checkpoint et donc les habitants de Shuafat, bien qu’étant résidents de Jérusalem, sont contrôlés et doivent faire des files interminables pour sortir ou entrer du camp. Avec ce que ça implique de difficultés pour les écoliers, les ambulanciers, les malades etc.

Rôle de l’UNRWA

A l’exception de quelques dispensaires, Israël ne fournit aucun service municipal dans le camp (routes, égouts, eau, éclairage public, ramassage des ordures, écoles, courrier) en dépit des taxes que paient ses habitants. En général, la présence israélienne dans le camp de Shuafat se limite aux points de contrôle israéliens à l’entrée et à la sortie du camp, quand il n’y a pas d’incursions de la police des frontières, d’arrestations ou de destruction de maisons. L’UNRWA est censée gérer tout le reste. Dans les années 1980, elle a assuré elle-même, en l’absence de gestion municipale, la construction d’un système d’égouts et d’évacuation des eaux pluviales, vite devenu obsolète vu l’augmentation de la population, ce qui pose de réels problèmes de santé. Elle a bâti trois écoles (deux pour filles, une pour garçons) avec un cursus qui va jusqu’à la 10eclasse. Cependant, vu les conditions, le décrochage scolaire des garçons y est l’un des plus élevés de Cisjordanie, et les parents qui en ont les moyens envoient leurs enfants dans des écoles privées de Jérusalem (et non dans les écoles publiques qui enseignent le programme israélien). L’UNRWA dispose aussi d’un centre de santé pour les premiers soins qu’en 2016, le Croissant-Rouge émirati a permis de rénover et agrandir: il accueillera environ 30 000 patients par an. L’UNRWA gère aussi dans la mesure du possible le ramassage des ordures que la municipalité a cessé d’assurer depuis la première Intifada mais elle n’a que 13 éboueurs… Enfin, pour les familles les plus pauvres, l’Agence fournit des aides alimentaires.

Devant l’énormité de la tâche et l’absence d’implication de la municipalité, l’UNRWA a initié une coopération avec les associations de terrain et l’Université Al-Quds. Malgré cela, les conditions dans le camp restent très difficiles.

Retour sur l’expulsion de l’UNRWA

Nir Barakat déclare vouloir fermer l’UNRWA et prétend la remplacer par les services municipaux. Or on peut valablement douter du fait que le camp de Shuafat serait mieux desservi que les autres quartiers palestiniens de Jérusalem-Est dont on connaît les conditions  d’abandon par la municipalité. Par ailleurs, les divers plans proposés pour assurer une majorité juive à Jérusalem prévoient tous de séparer d’une manière ou d’une autre le camp de Shuafat, Kufr Aqab, Anata et Al Walaja de Jérusalem, suivant en cela le principe bien connu « prendre le plus de terres avec le moins d’habitants ». Dans cette optique, quel intérêt aurait la municipalité de Jérusalem à s’investir dans le camp de Shuafat ?

En réalité, l’objectif de Nir Barakat, comme celui de Netanyahou, Trump et consorts, c’est, en liquidant l’UNRWA, de faire perdre aux réfugiés leur statut et donc les droits y afférents, garantis par les résolutions de l’ONU. Tout le reste n’est que propagande..


[1]http://www.entreleslignes.be/le-cercle/paul-delmotte:Palestine : Le principal témoin assassiné 



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