Si la question reste controversée, c’est pour des raisons essentiellement politiques. Du point de vue juridique, elle est bien arrêtée.
Par Gabrielle Lefebvre
La définition du crime d’apartheid date de 1973 lorsque le 3 novembre, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 3068 XXVIII portant sur une « Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid ».
Déjà, le 15 novembre 1972, l’A.-G. des N.-U. avait adopté une résolution 2922 XXVII dans laquelle elle réaffirmait sa « conviction que l’apartheid est une négation totale des buts et principes de la Charte des Nations Unies et constitue un crime contre l’humanité. »
Il faut lire attentivement cette convention pour bien comprendre qu’elle ne concerne pas uniquement ce qui s’est produit en Afrique australe même si ces pays en restent l’exemple historique le plus emblématique. A tel point que le mot afrikaans « apartheid » en est devenu le symbole. Il s’agit bien de désigner « les actes inhumains indiqués ci-après commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et de l’opprimer systématiquement. » Il s’agit en premier lieu de « refuser à un membre ou à des membres d’un groupe racial ou de plusieurs groupes raciaux le droit à la vie et à la liberté de la personne ». Sont décrits ensuite le meurtre, les atteintes graves à l’intégrité physique et mentale, à la liberté physique ou à la dignité des populations opprimées, les tortures, les peines et traitements inhumains et dégradants.
Autre acte inhumain désigné : celui d’imposer des conditions de vie destinées à entraîner la destruction physique totale ou partielle de ce ou ces groupes raciaux.
Sont condamnées aussi les mesures législatives ou autres destinées à empêcher le ou les groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays, priver leurs membres des droits fondamentaux comme le droit au travail, le droit de former des syndicats reconnus, le droit à l’éducation, le droit de quitter son pays et d’y revenir, le droit à une nationalité, le droit de circuler librement et de choisir sa résidence, le droit à la liberté d’opinion et d’expression et le droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques.
La convention cible également les mesures législatives et autres visant à créer des réserves et des ghettos pour le ou les groupes raciaux opprimés, les interdictions de mariage entre personnes de groupes raciaux différents et l’expropriation de leurs biens immobiliers.
Le travail forcé est aussi énoncé ainsi que la persécution des organisations et personnes que l’on priverait de leurs droits fondamentaux parce qu’elles s’opposent à l’apartheid.
Quasi toute la nomenclature se retrouve dans la tragédie vécue par les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza sous occupation israélienne et en partie pour les Palestiniens d’Israël. Notons que cette politique est nommée officiellement par les Israéliens eux-mêmes « hafrada », ce qui signifie « acte de séparer ». Le Mur étant lui-même qualifié de « barrière de séparation ». Il s’agit donc bien de la même notion que celle d’apartheid.
Les conclusions du Tribunal Russell sur la Palestine
C’est d’ailleurs la conclusion qui a été tirée par les juristes et par les membres du jury du Tribunal Russell sur la Palestine, lors de sa session tenue à Cape Town du 5 au 7 novembre 2011.
Le tribunal a conclu que « Israël soumet le peuple palestinien à un régime institutionnalisé de domination considéré comme apartheid en vertu du droit international. » L’intensité et les formes de ces discriminations varient selon qu’elle s’exercent contre les Palestiniens en zones occupées ou contre les Palestiniens vivant en Israël. En effet, « les citoyens palestiniens d’Israël, bien que jouissant du droit de vote, ne font pas partie de la nation juive en vertu du droit israélien et sont dès lors privés des avantages découlant de la nationalité juive et soumis à une discrimination systématique touchant une vaste gamme de droits de l’Homme reconnus. » Ce régime d’apartheid est apparu encore plus clairement lorsqu’Israël s’est proclamé « Etat-nation du peuple juif », le 18 juillet 2018 par un vote à la Knesset privant ainsi les Palestiniens de davantage de droits encore, à commencer par le retrait de la langue arabe comme deuxième langue nationale.
La connotation « raciale » est encore renforcée par cette définition d’Etat-nation juif. Le TRP notait déjà que le terme « racial » est compris par le droit international dans sa définition large qui englobe des éléments d’origine ethnique et nationale. « La définition de « groupe racial » relève dès lors plus de la sociologie que de la biologie. Les perceptions (y compris les perceptions propres et les perceptions extérieures) de l’identité juive israélienne et de l’identité palestinienne démontrent que les Juifs israéliens et les Arabes palestiniens peuvent aisément être définis comme des groupes raciaux distincts au regard du droit international. »
Le TRP a décrit longuement les actes inhumains découlant de la politique d’apartheid israélien, sur base de nombreux témoignages de personnes et d’associations palestiniennes et israéliennes et de rapports d’experts internationaux. Les assassinats ciblés, le recours à la force meurtrière contre les manifestants, les incursions et opérations militaires massacrant des civils, la torture et les mauvais traitements appliqués aux prisonniers palestiniens, les arrestations arbitraires et les détentions administratives : tous ces actes de violence constituent une forme particulière de domination sur les Palestiniens en tant que groupe.
Les violations systématiques des droits de l’Homme empêchent le développement de la population palestinienne, maintenue à l’écart de la vie politique, économique, sociale et culturelle. On refuse aux réfugiés et déplacés palestiniens le droit de regagner leur foyer ainsi que le droit à la propriété et à la citoyenneté. Ajoutons à cela des transferts forcés de population.
Quant aux droits civils et politiques, ils sont sérieusement limités, constate le TRP : droits de circulation et de séjour, droits à la liberté d’opinion et d’association. Enfin, les droits socio-économiques des Palestiniens sont réduits par des politiques discriminatoires notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé et du logement.
Ce « régime systématique et institutionnalisé » d’actes inhumains est concrétisé par un vaste arsenal juridique et des mesures de politique générale qui octroient un statut privilégié aux Juifs par rapport aux non-Juifs. Le TRP énumère ces nombreuses lois discriminatoires. Le tribunal souligne les deux systèmes juridiques séparés, en Cisjordanie, selon lesquels les Palestiniens sous occupation sont jugés par des tribunaux militaires tandis que les Juifs vivant dans des colonies illégales de peuplement sont régis par le droit civil israélien et dépendent de tribunaux civils. Par conséquent, il existe un vaste écart entre les procédures et les peines appliquées pour un même crime commis dans une même juridiction, selon qu’il est commis par un Juif ou un Palestinien. D’autre part, les Palestiniens sous occupation sont soumis à un grand nombre de lois, d’ordres militaires et de règlementations peu claires et impénétrables qui sous-tendent le régime institutionnalisé de domination d’Israël.
Le crime de persécution
Le TRP a aussi considéré que la plupart des témoignages entendus par lui confirment qu’Israël commet de nombreux actes de persécution, qui est aussi un crime contre l’humanité. Il pointe notamment le siège et le blocus de Gaza, les civils ciblés lors d’opérations militaires d’envergure, la destruction de logements civils, l’impact négatif du Mur sur la population civile et du régime qui lui est associé en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, les évacuations et démolitions forcées de villages bédouins dans la région du Néguev.
Une persécution qui s’ajoute donc aux actes d’apartheid. Israël doit mettre fin immédiatement à ces crimes contre l’humanité, conclut le TRP et ce, sous la pression des Etats du monde entier car ceux-ci ont l’obligation légale de mettre fin aux violations du droit pénal international et de poursuivre les auteurs de ces crimes internationaux.
Pour cela, le TRP demande, entre autres, que l’Assemblée générale des Nations Unies reconstitue le Comité spécial des Nations Unies contre l’apartheid et convoque une session extraordinaire afin d’examiner le drame de l’apartheid vécu par le peuple palestinien.
Le droit est dit ; la parole est à présent au politique…
« Du déni de Palestine à l’apartheid » : ce colloque organisé par le Comité de vigilance pour une paix réelle au Proche-Orient, en partenariat avec le site Orient XXI, s’est tenu le 13 octobre 2018 au Sénat français. Les actes de ce colloque, au cours duquel de nombreux conférenciers ont détaillé le crime d’apartheid commis par Israël, seront bientôt disponibles. Renseignements : maurice.buttin@orange.fr |
L’apartheid sud-africain
L’Apartheid (en afrikaans, « séparation ») désigne le régime qui a prévalu de 1913 à 1991 en Afrique du Sud. Persuadée de l’existence des races et de la supériorité de la race blanche, la minorité blanche crée un système de ségrégation aussi bien géographique (bantoustans) que politique et socio-économique afin d’assurer sa domination. La lutte des mouvements africains, dont principalement l’ANC de Nelson Mandela, et la solidarité internationale, matérialisée par un boycott résolu et des sanctions à tous les niveaux (militaire, politique, économique, sportif et culturel) viendront à bout de ce régime raciste et l’Afrique du Sud deviendra la république de tous ses citoyens. On notera qu’à partir de 1973, Israël entretiendra sans complexe des liens étroits (notamment militaires) avec le régime d’apartheid en dépit des résolutions, de l’ONU. |