« Les virus et les maladies n’ont pas de frontières, c’est pourquoi arrêter la propagation du coronavirus dans la bande de Gaza et en Cisjordanie est un intérêt israélien car une telle épidémie peut mettre en danger la santé du peuple d’Israël. » (Abu Rokon, chef du COGAT, le 13 mars 2020)
Par Marianne Blume
Cisjordanie
Dès que les premiers cas sont apparus à Bethléem, le ministère palestinien de la Santé a demandé à Israël de soumettre à des tests les personnes exposées au virus. L’ Autorité palestinienne (AP) a alors imposé des restrictions strictes sur la zone et l’a bouclée avec des postes de contrôle tenus par la police palestinienne. Une première depuis l’occupation. Par ailleurs, l’AP a déclaré l’état d’urgence et a fermé toutes les écoles, églises, mosquées et commerces non essentiels pour un mois. (lire l’article page 22-23)
Israël et l’AP ont également convenu que 40000 Cisjordaniens travaillant en Israël continueraient d’y travailler pendant les deux prochains mois à condition de rester en Israël. De cette manière, les risques de contamination seraient réduits. Le gouvernement israélien s’était engagé à ce que ces travailleurs soient logés décemment et dans des conditions sanitaires correctes.
Or, très vite, on s’est aperçu que ces conditions n’étaient pas remplies et certains sont rentrés en Cisjordanie. Par ailleurs, des travailleurs malades ont purement et simplement été jetés aux checkpoints sans aucune coordination avec le côté palestinien[1]… Quand le nombre de cas a augmenté en Israël, le gouvernement a fait rouvrir les checkpoints et près de 15000 Palestiniens se sont précipités pour rentrer chez eux sans qu’aucun test préalable n’ait été effectué sur eux. Ils devaient être testés et se soumettre à une quarantaine de 14 jours. Néanmoins, certains ont infecté leurs famille et proches. Comme par exemple dans le village de Biddou où l’on a dénombré 23 cas confirmés et un décès. Car, en dépit de ses obligations de puissance occupante, Israël n’a pas fourni le matériel nécessaire et c’est l’OMS qui a fourni 3000 kits de test, 50. 000 masques pour 2,7 millions d’habitants. Aucun respirateur n’a été livré. Récemment, l’AP a reçu 10000 kits et des respirateurs en provenance de Chine. Le Mossad avait réussi à en obtenir 100000 pour Israël …Néanmoins, avec les mesures prises rapidement par l’AP (information dans tous les médias, confinement, isolement des lieux contaminés, quarantaine, etc.), l’autogestion de la crise dans les villages et la solidarité entre Palestiniens ont permis de contenir la pandémie.
Et pendant ce temps-là, l’armée israélienne continue ses incursions dans les villes et villages, seses descentes dans les maisons, ses démolitions,ses arrestations, y compris d’enfants et ses assassinats. Quand des soldats ne crachent pas intentionnellement sur les voitures, les distributeurs automatiques, les escaliers et les serrures des magasins… Ou quand ils ne détruisent pas dans la vallée du Jourdain un petit centre de détection du coronavirus.
Et pendant ce temps-là, les attaques de colons, protégés par l’armée, ont augmenté de 78% à la date du 11 avril : incendies de récoltes, destructions d’oliveraies, violents assauts contre les bergers et les paysans, vols de bétail, actes de vandalisme contre les voitures, les maisons, crachats, etc. Comme le dénonce clairement B’tselem, Israël exploite la pandémie de coronavirus pour s’emparer de davantage de terres en Cisjordanie (Israeli settlers exploit coronavirus to take over West Bank land with military backing : violent attacks spike in April). “J’ai dit dès le début que le nouveau coronavirus est bon pour l’occupation“, a confié Gonen Ben-Itzhak, un ancien responsable du Mossad.
Inutile de préciser que les colons sont munis d’armes et pas de masques. Inutile d’ajouter que le confinement n’est imposé ni à l’armée ni aux colons.
Jérusalem-Est
Logiquement, tous les Jérusalémites auraient dû être traités de la même manière, ne fût-ce qu’à cause de la promiscuité. Mais là encore, l’apartheid l’a emporté.
Au début de la crise, jugeant qu’il y avait priorité pour les quartiers ultra-orthodoxes où le nombre de gens atteints du coronavirus était élevé (car on les a testés !), les autorités n’ont pas jugé bon d’en faire autant auprès des habitants palestiniens. Dès lors, il a fallu une requête adressée à la Cour suprême par un groupe de défense des droits humains pour qu’en avril ( !), Israël double le nombre de ses centres de filtrage (passés de 3 à 6) dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est. Par la suite, deux drive-through (test sans descendre de sa voiture) ont été placés près de Jabel Mukaber et au checkpoint de Qalandia.
Dans le même temps, un centre de dépistage, déjà installé dans le quartier de Silwan, a été fermé sous prétexte qu’il dépendait de l’AP dont les activités sont interdites à Jérusalem. Le ministre palestinien des Affaires de Jérusalem, Fadi Al-Hadmi, a été arrêté pour sa coopération avec l’AP dans sa lutte contre la propagation du coronavirus à Jérusalem Est : on l’a forcé à porter un masque souillé et il a été frappé. Le gouverneur de Jérusalem Adnan Gaith a été arrêté à son tour sous le même prétexte. De même, des institutions palestiniennes ont été empêchées de procurer de l’aide aux familles démunies, des jeunes volontaires qui désinfectaient les rues et distribuaient des colis alimentaires ont été arrêtés, parfois battus et même gazés !
Dès lors, en mars, un groupe de 81 ONG palestiniennes locales a formé en mars la «Jérusalem Alliance» pour faire face à la maladie dans les communautés palestiniennes de la ville. L’alliance a lancé une campagne de sensibilisation avec des vidéos et des informations en ligne en arabe, ainsi qu’une désinfection dans les quartiers de Jérusalem-Est qui, selon le groupe, n’a pas été effectuée par la municipalité israélienne. Elle a également mis en place des services de conseil et d’assistance téléphoniques et procuré des logements au personnel médical venu de Cisjordanie.
Des quartiers entiers qu’Israël a englobés dans les limites de Jérusalem sont en fait isolés par le mur d’apartheid : Shuafat et Kfar Akab. L’AP ne peut y intervenir et la plupart du temps, la police israélienne n’y entre pas. Quand, à Kfar Akab (120 000 habitants), 16 patients ont été diagnostiqués positifs par les services de santé de l’AP, le ministère israélien de la Santé a refusé de les mettre en quarantaine en Israël et ils ont été transportés à Ramallah. Les services de sécurité palestiniens ont patrouillé dans le quartier, en coordination avec Israël, pour mettre fin à des querelles et imposer un confinement. Par la suite, Israël n’a permis le passage vers Jérusalem qu’aux travailleurs essentiels et l’AP a dressé un barrage pour interdire l’accès à Ramallah vu le risque de contamination. Les résidents du quartier se sont retrouvés isolés dans les deux sens. Et la police israélienne est entrée pour « mettre de l’ordre »… et enlever les panneaux explicatifs installés par l’AP. Finalement, après des interventions politiques et juridiques, un centre de test a été établi à un des checkpoints du quartier.
Même situation à Shuafat, où vivent 150 000 Palestiniens, abandonnés de tous. La municipalité israélienne n’y a prévu ni centre de détection ni centre de quarantaine. Et il a fallu de nouveau une action juridique, l’intervention de parlementaires palestiniens à la Knesset et la colère du maire de Jérusalem, très à droite mais préoccupé par la propagation du virus, pour que, fin avril, soit placé un centre de tests (et un drive-through) devant le checkpoint de Shuafat. En attendant, ce sont des organisations locales dont Kulna Jerusalem (une association judéo-palestinienne) qui ont pris en main la désinfection des lieux, la distribution de masques, la diffusion des informations en arabe, etc.
Gaza
Gaza étant sous blocus depuis 2007, les Gazaouis plaisantaient en disant que le coronavirus ne passerait pas. Jusqu’au jour où deux personnes revenant du Pakistan ont été testées positives et ont auparavant contaminé le personnel de sécurité qui les a accueillies.
Dès lors, et compte tenu de la densité de la population (1,8 million), du dénuement complet dans lequel le blocus l’a plongée et des restrictions drastiques imposées par Israël sur toute importation, de l’OMS aux ONG internationales, de l’UNRWA aux ONG palestiniennes, des journalistes aux militants, tout le monde s’est accordé à dire qu’une catastrophe s’annonçait : hôpitaux sous-équipés, pénurie de médicaments (40% des médicaments essentiels introuvables), manque de lits (60 lits de soins intensifs) et de respirateurs, pléthore de blessés (marche du retour, attaques israéliennes), déficit de médecins, coupures d’électricité, eau non potable, pauvreté galopante, etc. L’ONU avait déjà prédit que Gaza serait invivable en 2020.
Le gouvernement israélien, quant à lui, était sûr que sa population était à l’abri. Grâce au blocus. Généreusement, ils ont néanmoins permis l’entrée de 200 kits de test, fournis par l’OMS et de 1500 écouvillons de prélèvement achetés par le ministère de la Santé de Cisjordanie pour Gaza via l’OMS. Pour 1,8 millions d’habitants… Dans son dernier rapport, l’OMS constate que de nombreuses lacunes doivent être comblées y compris l’achat de fournitures et d’équipements médicaux essentiels (tels que des kits de test de laboratoire). Mais comme on le sait, Israël refuse l’entrée de matériel dit « à double usage » et donc pièces de rechange, machine à rayons X, etc. n’ont pu être réparés ni remplacés.
C’est pourquoi l’International Crisis Group (ONG internationale indépendante dont la mission est de prévenir et d’aider à résoudre les conflits meurtriers grâce à un travail de recherche sur le terrain, d’analyses et de recommandations ) recommande à Israël d’assouplir le blocus pour laisser entrer les kits d’hygiène, respirateurs et autres fournitures sanitaires et de suspendre l’exigence de permis pour une hospitalisation en dehors de Gaza. Israël devrait aussi laisse rentrer dans la bande de Gaza tout personnel médical international .
Réponse d’Israël ? Il conditionne le passage de l’aide –qui ne provient en rien d’Israël- à la restitution de deux soldats israéliens faits prisonniers lors de l’agression israélienne de 2014 contre Gaza et de deux dépouilles de soldats ! Naftali Benett, ministre de la Défense, justifie cela par « les besoins humanitaires » d’Israël ! Comme l’écrit Gideon Levy (Israel trading in ventilators for helpless Gazans is inhumane, Haaretz, 15 avril 2020), l’humanité est plutôt du côté de Sinwar, leader du Hamas, qui demande en échange la libération de prisonniers, d’abord des femmes, des enfants, des prisonniers âgés et enfin des 55 prisonniers ré-arrêtés par représailles lors du kidnapping de trois adolescents israéliens en 2014.
Et pendant ce temps-là, les autorités de Gaza font tout leur possible pour éviter le désastre : confinement, mosquées fermées, manifestations publiques interdites, etc. Par ailleurs, des centres de quarantaine ont été mis en place ainsi que 2 centres de traitement des patients atteints du coronavirus.
Et pendant ce temps-là, l’AP refuse de lever les sanctions financières contre la bande de Gaza et, à la veille du ramadan, n’a versé que 25% de leur salaire à ses fonctionnaires…
Et pendant ce temps-là, le blocus continue sans aucun allègement (actuellement même les ordinateurs et le matériel de communication sont interdits d’entrée), les incursions, les tirs contre les pêcheurs et les épandages de pesticides sur les récoltes aussi. Comme le dit Ahmad Shameya, 25 ans, habitant de Khan Younès : « On a un virus bien plus grand qui s’appelle l’occupation israélienne et le siège »
« Coopération excellente entre les autorités israéliennes et palestiniennes » sic !
C’est ce qu’a déclaré le coordinateur spécial des Nations Unies pour le processus de paix au Moyen-Orient, Nickolay Mladenov. Certes, Israël a transféré 24 millions de dollars à l’AP mais c’est le montant des impôts dus à l’AP et jusque-là retenus ! Certes, Israël a envoyé du matériel médical en Cisjordanie et à Gaza mais la majorité provenait de l’OMS ! Certes, Israël a permis à Gaza d’obtenir des fonds pour pallier la situation sanitaire désastreuse maisils proviennent du Qatar… Et peut-on appeler coopération le blocus non allégé de Gaza ? Les incursions ? Les destructions ? La protection des colons ? Le vol des terres ? Les assassinats ? Les prisonniers -nouvellement arrêtés ou pas- dont des enfants laissés dans des conditions épouvantables ? Les Palestiniens de Jérusalem-Est testés tardivement et en nombre insuffisant ? Etc. Etc. Israël n’a « coopéré » que dans la mesure, où il devait protéger le peuple d’Israël. La « santé du peuple d’Israël » avant tout. Quant aux Palestiniens, ils peuvent crever !
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[1] https://www.middleeasteye.net/fr/reportages/ils-lont-jete-comme-un-dechet-un-palestinien-ayant-les-symptomes-du-covid-19-expulse