Israël : selon que vous serez juif ou arabe…

On le savait déjà- et on le sait encore mieux depuis la Loi État-nation du peuple juif, en Israël, les citoyens ne sont pas tous égaux. La gestion de la crise du coronavirus en est une preuve de plus.

Par Marianne Blume

Informer

Au commencement de la pandémie, Israël a, comme d’autres pays, entrepris d’informer la population et de lui expliquer les gestes de protection. Rien à redire.

Si ce n’est que, au début, RIEN n’est publié en langue arabe sur les sites du ministère de la Santé, de l’Education, des Transports ni non plus sur leurs médias sociaux. Les mesures de santé publique et de sécurité étaient au début données en hébreu et parfois en russe et en anglais, mais jamais en arabe. Comme si les Palestiniens d’Israël, les Druzes, les communautés bédouines n’existaient pas. Il est vrai que depuis la loi État-nation du peuple juif de 2018, la langue arabe n’est plus deuxième langue officielle de l’état d’Israël. Il est vrai aussi que ces citoyens-là sont des citoyens de seconde zone.

Ce sont donc des élus de la Liste unifiée (coalition des partis arabes), des chefs des conseils locaux arabes et des ONG (notamment Adalah) qui ont poussé le gouvernement à publier en arabe les recommandations et informations nécessaires. Le gouvernement israélien a répondu assez vite aux critiques car, le virus ne faisant pas la différence entre Juifs et non-Juifs, les risques de contamination entre communautés étaient élevés.

Néanmoins les informations existantes sont moins fournies qu’en hébreu et mises à jour avec retard.

Vu ces insuffisances, le Comité supérieur arabe de surveillance, un organe extraparlementaire qui représente les citoyens arabes d’Israël et coordonne les activités entre divers groupes palestiniens en Israël, a décidé de la création d’un site en arabe mis à jour par des professionnels de la santé et ouvert aux questions des citoyens.

En avril, le ministère israélien de la Santé, pour la période de ramadan, s’est fendu d’un prospectus et d’une vidéo en arabe (Maisam JULJULI, Israel Finally Releases a Coronavirus Ad in Arabic. Too Bad It Depicts Palestinians as Saudis, 5 mai 2020). Devant le tollé soulevé par ces diffusions, le ministère a dû les retirer. Sur ces prospectus, les Palestiniens sont représentés comme des Saoudiens : turbans, barbes, femmes voilées à l’excès. Le seul personnage habillé à l’européenne est un facteur… Le Magen David Adom (équivalent de la Croix Rouge) n’a pas fait mieux. Quant à la vidéo, elle est un ramassis de clichés et s’adresse aux femmes dans le seul langage qu’apparemment, elles comprennent : la cuisine. Comme si en Israël, les femmes n’étaient ni professeurs, ni avocates, ni médecins, ni infirmières ni… Pour renverser la vapeur, un autre clip vidéo a été rapidement mis en ligne qui évite les clichés.

Le plus symptomatique dans cette histoire est que le secteur de la santé compte 30% d’employés arabes. Mais, manifestement, on a préféré s’adresser à une agence de pub pour créer le matériel plutôt que de les consulter.

Détecter et soigner

Tout comme pour l’information, les autorités sanitaires n’ont commencé à mettre en place des dispositifs de tests qu’après les interpellations de députés et d’ONG arabes. Néanmoins, le nombre de personnes testées reste inférieur quand il s’agit de citoyens non-Juifs.  Selon un tweet du 2 avril de Yousef Jabareen (universitaire et membre de la Knesset), « Seulement 117 citoyens arabes d’Israël ont été diagnostiqués contre 6211 nationalement (environ 2%) et seulement 4000 ont été testés — approximativement le nombre de citoyens juifs testés par jour… ». L’apartheid sanitaire en action.

Or, il faut savoir qu’à l’exception des hôpitaux qui existaient avant 1948 et dans les villes mixtes, les localités palestiniennes d’Israël ne disposent pas d’hôpitaux et que, par ailleurs, les cliniques existantes n’ont pas les moyens de gérer la pandémie. Dans la plupart des villages, ce sont des entreprises privés qui gèrent les services d’urgence. Les employés de ces entreprises n’ont pas été formés par le ministère de la Santé  pour procéder à des tests de dépistage du coronavirus et les ambulanciers n’ont pas été formés pour évacuer les patients atteints de coronavirus vers les hôpitaux, qui sont généralement éloignés.  «La situation dans les localités arabes est catastrophique en ce qui concerne les situations d’urgence», explique Mohammad Barakeh, chef du Comité supérieur arabe de surveillance. Que dire alors de la situation dans les communautés bédouines du Néguev dont 35 villages ne sont même pas reconnus et n’ont ni eau courante, ni électricité, ni même voiries ? La crise du corona virus fait éclater au grand jour les discriminations dont font l’objet les citoyens israéliens palestiniens.

En février, au début de la pandémie, le ministère de la Santé  a créé une cellule d’urgence chargée de planifier le programme national d’urgence : diagnostic et traitement des patients atteints de coronavirus, préparation des hôpitaux, mise en quarantaine des patients et des porteurs du virus, tests et arrêt progressif de l’activité économique, arrêt du travail dans des lieux qui ne sont pas vitaux pour l’économie, ainsi que des études dans les universités et les écoles. Or elle ne comprend pas un seul expert arabe et ne s’est pas souciée des problèmes spécifiques du « secteur arabe » (terminologie israélienne). Devant la catastrophe annoncée, les parlementaires arabes, Adalah et d’autres organisations de défense des droits des minorités ont interpellé le gouvernement qui, dans une certaine mesure, par crainte de contamination avec sa population juive, a finalement déployé des cliniques mobiles pour effectuer des tests de dépistage dans les villes et villages habités par des Palestiniens. On était déjà à la fin mars. Les citoyens juifs israéliens bénéficiaient déjà de tests y compris en rue ou en drive-through (des équipes font le dépistage sur les conducteurs sans qu’ils doivent descendre de voitures), étaient mis en quarantaine etc.

Au 31 mars, dans un article d’Haaretz, on peut lire ceci : « Le plan original pour les driving-through comprenait sept communautés juives, et pas une seule arabe. Par conséquent, les informations sur le plan ont été publiées uniquement en hébreu. Les Arabes n’ont pas entendu parler de ces points à temps, et en raison de la distance et du retard de l’information, seul un petit nombre d’Arabes ont demandé à être testés dans les communautés juives. » Jugeant alors que la demande était minime du côté arabe, on n’a pas élargi le plan. C’est de nouveau à l’initiative des parlementaires arabes, que la Knesset a promis de mettre en œuvre ce type de dépistage dans les communautés arabes.

Quand, enfin, les tests ont commencé  dans les villages arabes, le gouvernement a pris conscience du danger. En avril, la ville de Deir al-Assad était un des foyers majeurs du pays : plus d’un habitant sur 100 y était porteur du coronavirus. Il aura suffi d’un superviseur de la kashrout venu dans l’abattoir de l’endroit. Tout-à-coup, le gouvernement décide de placer des barrages filtrants aux entrées de la ville et d’installer dans la région un drive-through. L’armée israélienne a aussi été appelée pour apporter des colis alimentaires et « pour convaincre les habitants de faire très attention ». La peur de la contamination a rendu les habitants arabes visibles. Les porteurs de virus ont été placés en quarantaine dans des hôtels.

Les autorités ont stigmatisé la population arabe  prétendant qu’elle désobéissait aux consignes du ministère de la Santé et était réticente aux tests. Or, au final, ce sont les communautés haredi (Juifs orthodoxes) qui sont les plus touchées : Bnei Brak et le quartier juif de Jérusalem-Est ont même dû être confinés avec barrages gardés. Alors que les haredim ne constituent que 10% de la population, les hôpitaux rapportent que la moitié de leurs patients sont haredim. Il est vrai que cette communauté a refusé pendant près de deux semaines de suivre les recommandations du gouvernement : les synagogues et les yeshivas restaient ouvertes et on ne s’en remettait qu’à Dieu.

Pendant ce temps-là, les mosquées restaient fermées et des imams ont reçu des amendes parce qu’ils avaient organisé une prière. Deux poids, deux mesures.

Le rôle du personnel médical arabe

Alors que les Palestiniens ne représentent que 20% de la population totale en Israël, ils sont particulièrement présents dans le domaine médical. Selon les informations officielles publiées par Haaretz, ils représentent 17 % du total des médecins, 24 % des infirmiers et 47 % des pharmaciens. Sans parler du personnel d’entretien.

Leur contribution dans la lutte contre la pandémie a été essentielle. Le nombre de medecins arabes responsables du département coronavirus dans les hôpitaux est impressionnant. Ils travaillent côte à côte avec des collègues juifs et déclarent en général que le racisme n’a pas cours dans leur travail.

C’est alors qu’une organisation israélienne, Have You Seen the Horizon Lately, sponsorise une campagne menée par des médecins arabes. Dans une vidéo (https://israel.co.il/), des docteurs, des infirmières, des pharmaciens et autres personnels de la santé apparaissent munis de leur masque avec le slogan « Partenaires dans le destin, partenaires dans le gouvernement ». Ils enlèvent ensuite leur masque et leur nom apparaît, révélant leur origine arabe. Le but est clair : si la communauté arabe a lutté au risque de sa vie pour sauver sans distinction la population d’Israël, il est temps qu’elle soit aussi présente dans le gouvernement.

Bien que cette vidéo ait fait un tabac (près de deux millions de vues), on sait que et Netanyahou et Gantz ont refusé de s’allier avec la liste arabe accusée par Netanyahou de soutenir le terrorisme contre l’Etat Juif. Dans un tweet du 28 avril, Yair Lapid , dans l’opposition à la Knesset, prévient : « Si … dans un hôpital, vous êtes un médecin ou une infirmière arabe qui n’a pas fermé les yeux depuis des semaines, vous devez savoir qu’ils ne modifieront pas la loi de l’État-nation » Tout est dit. Un Etat juif pour les Juifs. Le reste des citoyens est et restera de seconde zone.

Réponse à l’apartheid sanitaire

On l’aura compris la crise du coronavirus a non seulement exposé les discriminations envers la communauté arabe mais elle a aussi mis en lumière la capacité de cette communauté à se défendre et s’organiser. En date du 21 mai, seulement 2% des morts et 6% des gens contaminés étaient arabes.

Plusieurs explications ont été avancées. Isarël met en avant la coordination avec les autorités israéliennes, dont on a vu la négligence et le traitement discriminatoire. Les gens de terrain avancent d’autres raisons. D’abord le rôle des parlementaires arabes, des ONG arabes et des professionnels de la santé avec le Comité supérieur arabe de surveillance. Ensuite les initiatives locales non seulement des médecins mais aussi des autorités politiques et religieuses. Enfin, une certaine collaboration des autorités israéliennes et le respect des consignes par la population. On peut ajouter que le fait que la population arabe soit majoritairement jeune et donc moins vulnérable, que les communautés arabes soient de facto ségrégées et que la situation est plus facilement gérable dans un espace réduit a sans doute contribué à maintenir un taux de contamination relativement bas.

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