Palestinien né au Liban, Oussama Keiss vit en Belgique depuis 2017. Le bulletin Palestine recueille ici son analyse des défis auxquels devront faire face les réfugiés palestiniens au cours des années à venir.
1. La diaspora palestinienne est aujourd’hui extrêmement atomisée, entre les réfugié.es en Palestine même, ceux et celles éparpillé.es dans les pays limitrophes, sans compter ceux et celles qui ne disposent pas de ce statut. Existe-t-il encore une communauté d’intérêt entre eux et un fort sentiment de destin commun?
1. En signant les accords d’Oslo de 1993, l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) espérait la création d’un Etat palestinien dans les frontières d’avant 1967 (la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza). En tant que réfugiés de 1948 (expulsés de ce qui allait devenir Israël, NDLR), nous nous sentions oubliés par cette décision. Même s’il n’était pas abandonné, le droit au retour n’était plus une priorité pour l’OLP. Or il reste fondamental pour les Palestiniens. D’autres facteurs ont contribué à renforcer le sentiment d’unité des Palestiniens de la diaspora, comme les mobilisations populaires dans le cadre du « printemps arabe », les informations qui circulent sur la réinstallation définitive des réfugiés dans les pays où ils résident, ou la perspective de nouvelles déportations. En particulier ces derniers temps, nous ne nous sentons plus en sécurité et socialement stabilisés où que nous soyons. Il y a certes des réfugiés qui ne se sentent pas concernés par ces questions, mais ils constituent une minorité . |
2. Pensez-vous que les futures générations chercheront prioritairement à retourner sur leurs terres, ou plutôt à se battre pour l’égalité des droits dans les pays d’accueil?
2. L’essence de la lutte palestinienne est la libération de la Palestine dans son intégralité et le droit au retour. Elles dépendent de la capacité de résistance et de la fermeté du peuple palestinien, lesquelles sont également affectées par les conditions politiques dans les pays arabes voisins. Les nouvelles générations de réfugiés luttent en parallèle dans deux directions qui ont un lien organique : acquérir des droits civils et disposer d’une vie digne sur place et refuser les injonctions à renoncer au droit au retour.
En 2011, certaines factions palestiniennes ont organisé la Marche du retour à l’occasion de l’anniversaire de la Nakba à la frontière de la Palestine occupée avec le Liban et la Syrie. Une foule dense de réfugiés s’est rassemblée à la frontière et des jeunes ont essayé de traverser la barrière malgré le danger. Il y a eu plusieurs dizaines de martyrs, dont l’âge variait de 17 à 25 ans, donc de la troisième génération après la Nakba. A d’autres moments, de nombreux martyrs de la même génération sont tombés en menant des opérations de commandos individuels à l’intérieur de la Palestine. Cette vigueur de la revendication pour le droit au retour dans la jeunesse contredit la théorie du dirigeant sioniste David Ben Gourion, selon laquelle “Les vieux mourront et les jeunes oublieront”. Les générations à venir n’abandonneront pas le droit au retour et saisiront toute occasion de l’exprimer.
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3. Le mandat de Trump a été marqué par la volonté de faire disparaître la question des réfugié.es : fin des subventions à l’UNRWA, remise en cause du statut de réfugié, absence de la question dans le “Deal du siècle”. Le combat pour le droit au retour a-t-il des chances de perdurer à court, moyen et long terme?
3. Les États-Unis d’Amérique ont toujours pris le parti d’Israël et le soutiennent à tous les niveaux, militairement, économiquement et politiquement. L’Accord du siècle ne représente qu’une des « réalisations » de Trump parmi d’autres. Il a précédemment validé l’annexion du Golan syrien par Israël comme s’il n’était pas occupé. Qui s’en soucie ? En tout cas, cet accord a uni les Palestiniens et toutes les factions ont refusé d’accepter une telle proposition. Même les factions en paix avec Israël ne peuvent pas signer cet accord ; quand à l’UNRWA, il n’y a jamais eu de confiance entre elle et les réfugiés palestiniens car c’est une émanation de l’ONU qui détourne le regard des violations et crimes d’Israël. Ainsi, la lutte se poursuit à court et moyen terme, mais à long terme, je ne sais pas si Israël existera encore.
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4. Comment envisagez-vous le futur de la Palestine sur le long terme, et quel rôle peuvent jouer à l’avenir les réfugiés dans la lutte pour les droits des Palestiniens?
Notre lutte est une lutte entre le juste et l’injuste. La libération de la Palestine va changer la face du monde . C’est pourquoi elle rassemble tant de militants à l’étranger. Si nous analysons l’argument selon lequel la résistance reste défensive et n’est pas passée au stade de l’attaque, deux facteurs pourraient faire évoluer les choses. Le premier proviendrait de la société israélienne elle-même. Peut-elle continuer à vivre en l’absence d’une identité sociale unifiée ? L’identité religieuse n’est pas suffisante pour perpétuer une société, alors que dire si elle s’accompagne d’un conflit de classe et d’une discrimination raciale entre les Juifs israéliens eux-mêmes ? Le deuxième facteur est le facteur démographique, car le nombre de Palestiniens sur toute la « Palestine mandataire » est équivalent au nombre d’Israéliens, et on sait que le nombre de naissances chez les Palestiniens est beaucoup plus élevé que chez les Israéliens. Qui peut prédire quelle sera la situation dans 10 ou 15 ans ? Mais cela n’empêche pas les Palestiniens d’organiser leurs énergies à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine avec tous les militants, car cette injustice doit cesser, en Palestine ou n’importe où ailleurs. |