Étiquetage : l’UE et le droit international fustigés par la droite israélienne

Par Nathalie Janne d’Othée

Les réactions israéliennes à l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur l’étiquetage interpellent par leur caractère excessif. Comment une telle décision, pourtant faible au regard des sanctions vigoureuses prises par l’UE face à d’autres occupations, peut-elle susciter des réactions aussi virulentes et catastrophistes ? Le discours de la droite « pro-colons » est désormais dominant en Israël. Profitons de l’effervescence provoquée par la décision européenne pour plonger dans les réseaux qui traversent ces milieux et en déterminent le narratif.

Le 12 novembre dernier, la CJUE a rendu un arrêt sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes. En novembre 2015, la Commission européenne avait déjà publié une Notice interprétative enjoignant les détaillants à indiquer l’origine de ces produits comme provenant des colonies, de manière à ce que les consommateurs européens puissent faire leurs achats en connaissance de cause. Interrogée par le Conseil d’Etat français, la CJUE ne fait donc que confirmer le caractère obligatoire de la communication de 2015. Si le Conseil d’Etat français a consulté la Cour, c’est parce qu’il a dû lui-même faire face à une plainte d’un exportateur de vin israélien établi dans les colonies, le vignoble Psagot, qui dénonçait là une mesure discriminatoire. Mais ni la communication de 2015, ni la décision de la Cour ne représentent une sanction à l’égard d’Israël ou des colonies israéliennes. Il s’agit en effet simplement de l’application par l’UE de son propre droit en matière d’information des consommateurs. Ce constat rend les réactions relevées en Israël et dans les réseaux de soutien à Israël d’autant plus démesurées.

Israël «  discriminé »

Dès la publication de l’arrêt, la réaction officielle israélienne ne s’est pas fait attendre. Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou a le premier donné le ton en déclarant: « L’Europe devrait avoir honte. Elle a pris une décision immorale. Parmi la centaine de conflits territoriaux à travers le monde, elle a choisi de cibler Israël, et Israël seul.» Dans son communiqué de presse, le ministre des Affaires étrangères Israël Katz est allé dans le même sens : « Cette décision est inacceptable à la fois moralement et en principe, et contredit la position de l’Europe selon laquelle la résolution du conflit doit se faire par des négociations directes et inconditionnelles, et non par des décisions juridiques. »

« Si vous ne faites passer vos informations que par le filtre de la droite israélienne, vous pourriez avoir l’impression qu’après le Jihad islamique palestinien, le plus grand ennemi d’Israël à l’heure actuelle est l’Union européenne », relève David Rosenberg. Dans un article publié dans le quotidien israélien Haaretz[1], il expose ainsi le caractère complètement disproportionné des réactions de la droite israélienne. Alors que les plus modérés qualifient le jugement de « “désastreux”, qui politisera l’étiquetage des produits et – horreur des horreurs – permettra aux gens d’acheter des biens sur la base de “considérations éthiques” subjectives », d’autres vont jusqu’à parler de volonté européenne « de nettoyer ethniquement le cœur de la patrie juive des Juifs. »

Psagot, un vignoble très bien connecté

Le vignoble Psagot, c’est en quelque sort « l’arroseur arrosé ». Alors qu’il croyait pouvoir obtenir gain de cause, il a au contraire permis à la CJUE de clarifier la portée du droit européen en matière d’étiquetage. Son directeur, Yaakov Berg a, même suscité les critiques de certains officiels israéliens, qui lui reprochent d’avoir relancé la question de l’étiquetage et d’avoir ainsi réduit les marges de manœuvre des Etats européens en matière d’application de cette législation (voir article Times of Israel, 11 novembre 2019[2]).

Mais ces critiques ne semblent pas gêner Yaakov Berg, qui a même déclaré : « le vignoble est fier de sa contribution à la lutte contre cette décision et entend continuer à la combattre. Nous sommes encouragés par le soutien que nous avons obtenu auprès des personnalités concernées en Israël et aux États-Unis, notamment le Département d’État, le Sénat et le Congrès.[3]

Tant de soutien pour un simple vignoble ? Mais quelques recherches révèlent que Psagot n’est pas un simple vignoble. Fondé par Yaakov et Naama Berg, il appartient désormais à Psagot Wine Inc., une société panaméenne gérée par la famille Falic. Cette famille floridienne s’avère être l’un des plus gros financeurs de Netanyahou. Aux Etats-Unis, les Falic sont également très influents. Ils entretiennent de nombreux liens avec les Républicains, notamment avec Donald Trump, mais également avec les Démocrates. En 2016, ils ont ainsi à plusieurs reprises financé la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. Les Falic sont en outre des soutiens importants de la colonisation israélienne, avec quelque 5,6 millions de dollars versés à des groupes de colons en Cisjordanie et à Jérusalem Est.

La société Psagot Wine Inc. n’a donc pas lésiné sur les moyens pour contrer la décision de la CJUE. Elle a engagé plusieurs lobbyistes, dont un ancien ambassadeur des Etats-Unis auprès de l’UE, Stuart Eizenstat.

Les « groupes de réflexion » de la droite israélienne

On découvre que le même Stuart Eizenstat est annoncé pour prononcer le discours d’ouverture d’un workshop à la faculté de droit de la George Mason University (Virginie, Etats-Unis) intitulé “Étiquetage des produits, litiges territoriaux et commerce international après l’arrêt Psagot de la CJCE[4]. Or un des professeurs de cette faculté n’est autre qu’Eugene Kontorovich, un juriste bien connu pour ses interprétations du droit international favorables à la colonisation israélienne. Et Kontorovich est également le directeur actuel du très influent Kohelet Policy forum.

Fondé en 2012 par la droite israélienne, ce think tank a en effet acquis une influence considérable sur la politique israélienne. Comme le souligne un article paru dans Haaretz en octobre 2018[5], ses représentants « conseillent les membres de la Knesset et les ministres, assistent aux réunions des commissions de la Knesset, siègent à des conférences, rédigent des documents politiques, publient des articles de journaux et adressent des requêtes à la Cour Suprême. » L’article souligne que « l’influence du Kohelet est visible dans toutes les questions explosives et conflictuelles qui ont affaibli le système légal et la réglementation », par exemple dans la loi sur l’État-nation. Si la loi sur l’Etat nation était déjà en discussion avant que le Kohelet n’entre en scène, c’est néanmoins ce think tank qui l’a poussée dans ses dernières étapes à la Knesset en insistant sur certains aspects, dont la suprématie du peuple juif.

Le Kohelet Forum n’est pas le seul think tank à inspirer le narratif israélien actuel. En mettant en lumière les liens financiers et les réseaux, il est possible d’identifier les personnes et les organismes qui promeuvent dans la politique israélienne la mise au ban du droit international au profit de la loi du plus fort.

Les réactions virulentes de ces réseaux à la décision européenne sur l’étiquetage montrent que l’action de l’UE est efficace. En adoptant des décisions cohérentes avec ses principes et avec le droit international, l’UE fait peur aux promoteurs de la colonisation israélienne. C’est donc en approfondissant cette approche que l’UE peut espérer sauvegarder, en sus de la sienne propre, la crédibilité du droit international.

 

[1] https://www.haaretz.com/opinion/.premium-when-is-a-west-bank-product-made-in-israel-when-settlers-say-so-1.8127219

[2] https://www.timesofisrael.com/grapes-of-wrath-israel-sours-on-west-bank-winery-in-spat-over-eu-labeling/

[3] https://www.haaretz.com/world-news/europe/.premium-eu-states-must-identify-products-from-israeli-settlements-top-court-says-1.811933

[4] Voir Tweet du 10 janvier 2020 de Lara Friedman : https://twitter.com/LaraFriedmanDC/status/1215669785859674115

[5] https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-the-right-wing-think-tank-that-quietly-runs-the-knesset-1.6514722

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