
Voilà une indubitable menace terroriste, qui appelle – on en conviendra ! – une arrestation, un procès et un emprisonnement. Le crime a été commis en 2015. Son auteur s’appelle Dareen Tatour, une Palestinienne d’une trentaine d’années qui habite à Reineh près de Nazareth (en Israël, précisons-le) et qui depuis son enfance écrit de la poésie. L’histoire serait risible et absurde si elle n’était au contraire révoltante et surtout si elle n’avait volé trois ans de la vie d’une jeune femme.
Dareen Tatour a été inculpée d’incitation à la violence et de soutien à une organisation terroriste pour trois publications sur des réseaux sociaux. La première publication sur YouTube était la lecture par Tatour de son poème “Résiste mon peuple, résiste-leur” décrivant des images de Palestiniens se heurtant aux forces de sécurité israéliennes.
Le 4 octobre, D. Tatour publie un article sur Facebook à partir du site Web du Jihad islamique, qui avait appelé à une «poursuite de l’intifada» en Cisjordanie. Le 9 octobre, elle affiche sur sa page Facebook une photo montrant Isra’a Abed abattue à la gare routière d’Afula, avec le sous-titre: «Je serai la prochaine martyre (shahida) »
Au procès, la procureure, incapable de comprendre le poème puisqu’il est rédigé en arabe, a tenté de prouver que Tatour n’était pas une poète légitime et a affirmé que le mot “shahid” glorifiait le terrorisme alors que pour les Palestiniens, il désigne les victimes de la violence de l’État israélien.
Le 11 octobre, Dareen Tatour est arrêtée et emprisonnée. En janvier 2016, elle est assignée à résidence à Tel Aviv parce que “trop dangereuse” pour rester dans sa ville de Reineh, qu’elle regagne cependant neuf mois plus tard quand un bracelet électronique peut finalement lui être placé.
Le procès commence en 2016, il est retardé par l’impossibilité de trouver un traducteur arabe-hébreu compétent. Une traduction littéraire est produite en mars 2017, différente – on s’en doute – de celle de l’accusation. En mai 2018, Tatour et reconnue coupable et est condamnée le 31 juillet à cinq mois de prison. Elle retourne donc en prison pour deux mois afin de compléter les trois mois effectués au moment de son arrestation. Elle est libérée le 20 septembre 2018.
Pendant sa détention, Dareen Tatour fut soutenue de multiples manières (pétitions, collectes de fonds, etc.) par des centaines d’artistes, d’écrivains, de professeurs qui exigèrent sa libération immédiate. Le soutien étatsunien de Pen America, une association internationale qui défend la liberté d’expression et soutient les écrivains persécutés, joua certainement un rôle important. Une association israélienne lança la campagne “Poème en procès” appelant à la création d’oeuvres audio sur la base du poème “Résiste mon peuple, résiste-leur”. Un album, disponible sur des plateformes numériques, regroupe 29 contributions; les bénéfices ont contribué à assurer la défense de l’artiste.
L’obstination israélienne contre Tatour ne faiblit pas, et paradoxalement, contribue à sa publicité (elle était quasiment inconnue avant son arrestation).
Fin décembre 2018, la ministre israélienne de la Culture exige l’arrêt du financement de l’exposition “Barbares” au Centre d’art Mamuta à Jérusalem parce qu’elle présente une oeuvre comprenant un poème de Tatour. Sous la pression, l’oeuvre est enlevée et rejoint “Les archives de la censure”, un espace qui rassemble et commente des oeuvres censurées. L’exposition voulait dénoncer plusieurs cas récents de censure en Israël, dont la menace de fermeture par décision de justice l’été dernier de la galerie Barbur à Jérusalem après une conférence donnée par le directeur de “Breaking the Silence”.
Les atteintes à la liberté d’expression se multiplient en Israël contre les Israéliens eux-mêmes, il faut toutefois noter que Tatour fait partie des quelque 400 Palestiniens arrêtés pour des publications sur les médias sociaux depuis octobre 2015. Son cas est l’un des nombreux cas récents de détention administrative et d’accusations et de poursuites judiciaires portées contre des journalistes et les personnes qui utilisent les médias sociaux pour publier leurs écrits, tant en Israël que dans le Territoire palestinien occupé.
Catherine Fache