Les applaudissements et les ovations debout que reçoit le Palestine Youth Orchestra (PYO) après chaque représentation sont incroyables. Depuis sa création en 2004, le PYO a parcouru de nombreux pays, modifiant la perception du public sur la Palestine et les Palestiniens. Le programme comprend toujours des œuvres de compositeurs contemporains palestiniens et arabes. L’influence des musiciens palestiniens sur la scène musicale mondiale remonte cependant à de nombreuses années avant la création du PYO.
Après la Nakba, de nombreux musiciens palestiniens se sont réfugiés dans les pays arabes voisins et ont joué un rôle vital dans leur développement musical. Les Palestiniens ont dominé la scène musicale jordanienne, y compris la radio et la télévision. Yousef Khasho de Jérusalem et Amin Nasser de Birzeit ont joué un rôle déterminant dans la création du Conservatoire national jordanien de musique à Amman dans les années 1960. A la fin des années 1980, une génération de professionnels et d’amateurs a également joué un rôle crucial dans le rétablissement du Conservatoire national. Dans leurs rangs figuraient Samia Ghannoum, Kareem Bawab et Yusra Arnita. Salvador et Yusra Arnita, en couple, avaient fait du Liban leur nouvelle patrie après la Nakba, et Salvador devint une figure importante du département de musique de l’Université américaine de Beyrouth. Mohammad Ghazi de Beit Dajan a été chargé par les frères Rahbani d’enseigner à Fairuz le style de chant muwashahat, ce qui a eu un impact crucial sur son développement vocal. Les frères Sahab de Jaffa sont devenus des figures culturelles au Liban et dans le monde arabe. Le plus important est probablement Selim Sahab qui dirige l’un des orchestres arabes les plus importants d’Egypte et qui est très influent dans les cercles musicaux du Caire. Il est impossible de parler de la scène musicale irakienne sans mentionner Rawhi Al-Khammash de Naplouse, considéré comme un pilier dans le développement de la vie musicale de Bagdad.
Hussein Nazek de Jérusalem a mené sa carrière musicale à Damas. Ses centaines de compositions ont influencé les Syriens et le monde arabe tout entier, car il a écrit de nombreux thèmes de musique populaire pour une célèbre série dramatique arabe et dirigé d’importants ensembles musicaux.
Des Palestiniens ont également apporté leur contribution au monde de la musique classique en général. En Suisse, l’Académie de violon de Habib Kayaleh, un plus grands professeurs de violon du monde, accueille des jeunes talents du monde entier. Sa fille Laurence est une violoniste star et professeure de violon dans diverses universités canadiennes. Habib Touma, un musicien influent originaire de Haïfa qui a vécu la majeure partie de sa vie en Allemagne, a apporté une contribution significative au monde de l’ethnomusicologie. Son livre “La Musique arabe”, traduit en plusieurs langues, est devenu une référence.
Divers compositeurs palestiniens résidant en Europe ont eu un impact sur la musique contemporaine. Les plus célèbres sont Patrick Lama, Mounir Anastas et Samir Odeh-Tamimi. Issa Boulos de Ramallah est également assez présent en Amérique. Wissam Boustany, fils de feu Nadia Saba de Jérusalem, est l’un des plus grands flûtistes actuels. Alexander Suleiman, dont l’ascendance remonte à Hébron, est un violoncelliste et un enseignant de classe mondiale. Il est actuellement professeur de violoncelle au Conservatoire de musique de Pékin. Saleem Abboud Ashkar de Nazareth est un pianiste de tournée de premier plan, apprécié pour son interprétation des œuvres de Beethoven. Un autre pianiste brillant est Karim Said. Il est associé de la Royal Academy of Music de Londres et dirige le Jordanian Chamber Orchestra. Jenna Barghouti de Ramallah est devenue une violoniste de premier ordre. Son quatuor à cordes Azalea a reçu des distinctions prestigieuses.
Alors que de nombreux musiciens palestiniens sont plongés dans la musique classique occidentale, d’autres ont emporté leur musique arabe avec eux et ont enrichi la scène musicale mondiale de leur authenticité et de leur diversité. Le plus éminent de ces musiciens est sans aucun doute Simon Shaheen de Tarshiha. Il est probablement l’une des figures de la musique arabe les plus importantes en Amérique du Nord, rapprochant la musique arabe du public occidental grâce à son authenticité, d’une part, et sa fusion avec d’autres genres musicaux, d’autre part. Le Trio Joubran, mondialement connu, n’est pas moins important. Les trois frères oudistes de Nazareth, Samir, Wisam et Adnan, aux côtés de leur percussionniste Youssef Hbeish, sont parmi les interprètes palestiniens les plus influents au monde, changeant la perception de la musique instrumentale arabe. Hbeish fait également partie du Duo Sabeel avec le brillant oudiste Ahmad Al-Khatib. Ils ont tous deux inspiré des dizaines de jeunes musiciens du monde entier. Un autre percussionniste influent est Nasser Salameh. Résidant en Jordanie, il se produit avec de nombreux musiciens internationaux et est devenu un nom célèbre.
Wafa Al-Zaghal et Lamees Audeh sont un couple qui fait beaucoup de bruit avec leur école de musique dans la région de Toronto. Leur festival de musique annuel et leur orchestre arabe canadien ajoutent beaucoup de diversité au paysage musical du pays. Wanees Zarour de Ramallah dirige un ensemble similaire, le Middle East Music Ensemble de l’Université de Chicago, et donne des conférences dans son département de musique. Les performances vocales de Nai Barghouti continuent de susciter beaucoup d’intérêt international. Sa maîtrise exclusive des techniques vocales arabes et jazz fascine le public du monde entier alors qu’il écoute les nouveaux sons qui émergent de ce jeune Palestinien prometteur qui pourrait éventuellement créer un nouveau et unique genre de chant. Un autre contributeur essentiel à la scène musicale mondiale est Kamilya Jubran, qui a expérimenté le nouveau chant arabe, en le fusionnant avec la musique électronique.
Suhail Khoury
Suhail Khoury ajoute dans son article que les musiciens palestiniens participent également avec virtuosité à la création de musiques de films ainsi qu’à la scène mondiale de l’opéra.
Article original paru dans This Week in Palestine, octobre 2020.
Traduit de l’anglais par Catherine Fache
AIMER BEETHOVEN ET LA PALESTINE
Catherine Fache Musicien et compositeur, Suhail Khoury dirige le Conservatoire national de musique Edward Said. Créateur de l’Orchestre national de Palestine et de l’Orchestre des jeunes de Palestine, il joue un rôle déterminant dans le développement de la vie musicale en Palestine. Il aime Beethoven et il aime la Palestine. “Aimer simplement Beethoven ne semble pas déranger les autorités israéliennes. Aimer simplement votre pays ne semble pas non plus les inquiéter”, écrit-il dans un message fin juillet, à la suite de son arrestation. Il poursuit : “Parce que si vous aimez votre pays occupé et ne faites rien pour cela, ils n’y voient aucun mal. Si vous agissez violemment pour exprimer cet amour, Israël est devenu expert pour vous déshumaniser et vous présenter au monde comme un terroriste. Mais aimer votre pays et exprimer cet amour en jouant Beethoven semble être dangereux. Les autorités israéliennes n’ont apparemment pas de formule prête pour faire face à cette «menace». Soudainement, vous pourriez devenir humain aux yeux du monde, et Israël déteste apparemment cela”. Une campagne médiatique de diffamation l’accuse de blanchiment d’argent et de financement d’organisations terroristes. Le 22 juillet, son appartement est pris d’assaut ; il est arrêté en même temps que son épouse Rania Elias, directrice de l’important centre culturel Yabous à Jérusalem-Est. Ils sont relâchés le soir même, le temps pour les forces d’occupation de perquisitionner leur appartement ainsi que leurs deux institutions : des fichiers sont saccagés, des ordinateurs, des archives, des documents sont emportés. Daoud al-Ghoul, directeur de Jerusalem Arts Network, est également arrêté, il est libéré huit jours plus tard sous conditions. Suhail Khoury n’est pas disposé à se taire. Sa volonté de mettre à l’honneur un maximum de musiciens palestiniens talentueux qui, depuis la Nakba, à travers le monde, ont acquis une réputation internationale, semble intacte.
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