
Depuis le 15 décembre 2021 l’Unesco a ajouté la broderie palestinienne (tatreez) à la longue et belle liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Non seulement cet art de la broderie est une pratique traditionnelle sociale et intergénérationnelle, mais il traduit des variétés régionales et est aussi un exercice de beauté, vieux de plus de 3000 ans, en soie, coton et lin. Il représente aussi une forme de résistance culturelle du peuple palestinien à une domination sauvage et constitue une source de revenus pour des femmes réfugiées.
Par Gabrielle Lefèvre
D’origine rurale, cet art de la broderie est largement diffusé en Palestine et répandu dans la diaspora, explique l’Unesco. « Les tenues des villageoises étaient généralement composées d’une longue tunique, d’un pantalon, d’une veste, d’une coiffe et d’un voile. Chacun de ces habits est décoré de toute une variété de symboles tels que des oiseaux, des arbres ou des fleurs. Le choix des couleurs et des motifs indique l’identité régionale de la femme, ainsi que son statut marital et économique. Sur le vêtement principal, une robe ample appelée la thobe, le buste, les manches et les manchettes sont recouverts de broderies. Des pans verticaux ornés de broderies vont de la taille jusqu’au bas de la robe. Les broderies sont réalisées avec des fils de soie sur des tissus en laine, en lin ou en coton. »
Cette pratique artisanale est aussi un élément de cohésion sociale très important pour une population soumise à une colonisation brutale et à un manque criant de revenus pour survivre. Depuis l’occupation, la pratique de la broderie a été relancée parmi les réfugiées pour rappeler et souligner leur identité nationale et politique. Grand-mères, mères et jeunes filles se réunissent les unes chez les autres pour broder et coudre. Ainsi, se transmet le savoir ; ainsi, se crée une source de revenus pour leurs familles. Des femmes se sont organisées en groupes de travail collectif dans des centres communautaires qui se chargent de la promotion et de la commercialisation de leurs œuvres.
Symbole politique
Au-delà de l’aspect culturel et économique, cette broderie est aussi un symbole politique. Que l’on se souvienne du dernier concours de Miss Univers, en décembre 2021, qui se tenait pour la première fois en Israël : les candidates au titre sont apparues, revêtues de la traditionnelle robe palestinienne et cuisinant des feuilles de vigne, le tout étant présenté sans vergogne comme des éléments propres à la culture israélienne. Des femmes palestiniennes portant les fameuses robes brodées sont descendues dans le centre-ville de Ramallah et à Gaza, pour protester contre cette usurpation culturelle.
Rappelons-nous aussi que cette robe traditionnelle a fait le buzz aux États-Unis en 2019 lors de la prestation de serment de la députée démocrate palestino-américaine Rashida Tlaib, au Congrès des États-Unis. Elle avait pour l’occasion porté la thobe, ce qui a déclenché une vague de critiques. S’ensuivit « un mouvement de solidarité sur Twitter via le hashtag#TweetYourThobe, qui s’accompagnait de photos de centaines de femmes d’origine palestinienne vêtues de vêtements brodés. Ce qui fut accueilli comme un hommage profond, qui plus est féminin, à la culture palestinienne. », raconte Christophe Lafontaine de terresainte.net.
« Ces broderies reflètent avant tout l’histoire du peuple palestinien. », lit-on dans l’étude de Jeni Allenby. « Par exemple, le modèle de la « tente du pacha » apparut pour la première fois à l’époque où la région était sous le pouvoir de la cour ottomane, alors que le modèle des « galons d’officier » fut adopté durant le Mandat britannique, imitant les symboles des grades militaires britanniques. Par conséquent, la broderie agissait comme un symbole de l’évolution de l’identité palestinienne en rappelant historiquement les interprétations individuelles des événements politiques et culturels qui touchaient les existences des villageoises palestiniennes. »
Cette étude surprenante de Jeni Allenby nous décrypte fort bien comment le costume traditionnel a évolué après l’Intifada à la fin des années 1980 et au début des années 1990. On découvre alors des « robes-drapeaux » ornées de « broderies aux couleurs du drapeau palestinien interdit (à l’époque), avec des motifs nationalistes de broderie telle la mosquée du dôme du Rocher, les motifs repris du keffieh à damier et des cartes de la Palestine, de la calligraphie arabe et anglaise, le tout intégré à la structure du pan de poitrine et des pans latéraux verticaux de la jupe. »
Et l’autrice d’évoquer les paroles d’une femme de Beit Omar : « Des gens étaient emprisonnés pour le port du drapeau, et par conséquent, nous, les femmes, nous le brodions sur nos [robes] thobes. »
La broderie comme arme de résistance, c’est le triomphe de la beauté sur la violence.
Gabrielle Lefèvre
Sources :
Lincoln DigitalCommons@University of Nebraska – Textile Society of America Symposium. Proceedings Textile Society of America. 2002. “Re-inventing cultural heritage: Palestinian traditional costume and Re-inventing cultural heritage: Palestinian traditional costume and embroidery since 1948”. Jeni Allenby. Palestine Costume Archive, Canberra
Voir le texte traduit en français sur : https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2020/12/04/la-broderie-palestinienne-avant-et-maintenant/
Des musées à la Biennale… Par Catherine Fache Ces robes brodées, personne n’ignore leur appartenance au patrimoine vivant palestinien. Elles rejoignent les musées. Le nouveau Musée palestinien de Ramallah (Birzeit) leur a consacré sa seconde exposition en 2018 « Labour of Love ” (Acte d’amour) précisant que « du fait qu’ils sont fabriqués par des femmes et portés sur le corps, les vêtements sont un catalyseur intime pour l’exploration de l’histoire.“ Robes des champs ou robes des villes, robes de travail ou robes de fête, brodées par des femmes et portées par elles, elles ponctuent l’histoire de tout un peuple. La Smithsonian Institution de Washington a proposé récemment un atelier d’initiation au large éventail de la broderie palestinienne, dirigé par Wafa Ghnaim autrice en 2016 de » Tatreez & Tea: Embroidery and Storytelling in the Palestinian Diaspora (Tatreez et thé : broderie et contes de la diaspora palestinienne) ». Les robes entrent dans les collections des musées, pas des musées consacrés spécialement à la mode ou à l’artisanat, mais des musées dédiés à la culture palestinienne. Parmi les musées réceptionnaires de dons, se trouve le Palestine Museum US. Soutien actif de la création palestinienne, le Palestine Museum US a été sélectionné parmi une vingtaine d’institutions artistiques internationales, pour présenter une exposition au prestigieux festival d’art qu’est la Biennale de Venise, qui se tientdu 23 avril au 27 novembre 2022. C’est la première fois qu’une grande institution palestinienne est reconnue par la Biennale. |
Masques en broderie palestinienne « tatreez » La Plate-forme Charleroi-Palestine a commandé pendant la pandémie des masques « tatreez », brodés par les femmes palestiniennes dans les camps de réfugiés au Liban. Vous pouvez, en soutien à ces femmes, commander un ou plusieurs masques en envoyant un mail à charleroi.palestine@gmail.com. Vous recevrez en retour des photos des masques en stock, parmi lesquels vous pourrez faire votre choix, ainsi que les modalités de paiement. |